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Pensées positives

Gratitude : comment écrire un journal peut améliorer votre vie

Par Aude Solente

La pratique quotidienne ou régulière de la gratitude est très en vogue chez les tenants de la psychologie positive. Mais est-ce que tenir un journal dans lequel on note les éléments positifs de notre journée en vaut vraiment la peine ? Quels peuvent-en être les bénéfices ?

ChristianChan/iStock

Le monde des bisounours. C’est souvent l’image qu’aura un novice à la mention de la psychologie positive. A quoi bon écrire un journal de gratitude ? A quoi bon prendre le temps de gribouiller chaque jour, ou plusieurs fois par semaine, les choses qui nous ont marquées dans un petit carnet ? Mais pourquoi donc perdre son temps ? N’avons-nous pas mieux à faire ? 

Ces réflexions, Samuel Colaud, enseignant en primaire et Président de l’AREPP (l’association romande d’éducation et de psychologie positive), se les faisait aussi. Mais ça, c’était avant. Avant d’être formé à la  psychologie positive. “Avant ma formation, j’avais l’impression que la gratitude et le remerciement n’entraient pas dans le cadre de la recherche scientifique donc je ne m’y intéressais pas plus que ça”, analyse le Suisse. 

Une pratique à la mode

Comme Samuel, avec ou sans formation en psychologie positive, nous sommes de plus en plus nombreux à franchir le pas. Que ce soit en achetant un journal de gratitude pré-rempli sur internet ou en écrivant dans un carnet, nombreux sont ceux qui pratiquent aujourd’hui régulièrement la gratitude. La première à avoir lancé la mouvance ? La mania des médias américains Oprah Winfrey. “Elle a déclaré qu’elle tenait un journal de la gratitude et ça a créé un buzz immédiat de l’autre côté de l’Atlantique”, détaille Nayla Chidiac, docteure en psychopathologie, psychologue clinicienne et fondatrice des ateliers d’écriture thérapeutique à Sainte-Anne.

Une tendance croissante qui, toujours selon la psychologue, découle directement de la crise sanitaire. “N’oubliez pas qu’on est en plein confinement avec des on et des off. Beaucoup d’individus se retrouvent seuls et la solitude donne place à l'introspection. C’est aussi une période qui a été assez sombre pour beaucoup et donc nombreux sont ceux qui ont pensé : pourquoi ne pas essayer le journal de gratitude ? Prendre un papier et un crayon et écrire tous les jours dans son cahier de gratitude, c’est très accessible et porteur d’espérance”, résume ainsi la thérapeute.

Une thérapie low cost

Le principe de base est, en effet, on ne peut plus simple :  il suffit de revenir sur sa journée et d'annoter plusieurs choses qui nous ont fait plaisir le jour-même ou la veille. Il peut s’agir d’un remerciement, “merci à mon mari d’avoir cuisiné pour moi”, ou d’une observation, “aujourd’hui j’ai réussi à faire 10 min de sport”. Quoi qu’il en soit, l'idée reste la même : se poser le temps d’un instant sur les aspects positifs de notre quotidien sans avoir besoin, forcément, d’en écrire des tonnes. “Ce qui compte c’est de prendre le temps d’écrire et de se connecter véritablement à l’émotion de gratitude (..) il est préférable d’écrire cinq phrases à propos d’un événement qui a généré de la gratitude, plutôt que cinq  phrases à propos de cinq événements différents”, explique Rebecca Shankland, professeure des Universités en psychologie à l’université Lumière Lyon 2. 

L’important c’est de comprendre ce qui a occasionné un sentiment de gratitude et qu’on le fasse tous les jours ou uniquement quelques fois par semaine, les bienfaits sont nombreux. En outre, Nayla Chidiac souligne que “ce moment d’introspection améliore la santé, notre relation aux autres et l’estime que l’on a de nous-même”. Et n’en déplaise aux sceptiques, nombres d’études scientifiques lui donnent raison. 

Une méthode qui marche

L’une des plus célèbres d'entre elles a été réalisée par le professeur en psychologie à l’Université de Californie, Robert Emmons, et son collègue Michael McCullough. Les deux hommes ont divisé plusieurs centaines de participants en trois groupes : les membres du premier groupe tenaient un journal centré sur leur vie quotidienne, les membres du deuxième tenaient un journal centré uniquement sur leurs expériences négatives et les membres du troisième ne relataient que leurs expériences positives. Résultat, au bout de dix semaines le groupe exprimant quotidiennement sa gratitude se sentait globalement mieux, était plus enthousiaste et plus optimiste au jour le jour. Mais ce n’est pas tout, ces mêmes individus étaient également dorénavant en meilleure santé, moins stressés, dormaient mieux, faisaient plus de sport, étaient plus déterminés, etc. 

Ainsi, en entraînant notre cerveau à se focaliser davantage sur les moments positifs de notre quotidien nous améliorons notre santé, notre bien-être mais aussi nos relations sociales. En clair, ajoute Rebecca Shankland : “En étant plus attentifs à ces moments, nous les savourons davantage, et le soir, nous sommes capables de nous rappeler de ce qui s’est bien passé pendant la journée. Cela a un effet apaisant pour soi et pour les relations”. 

Pas trop mal pour une méthode bisounours, non ? Et si vous avez besoin de l’entendre en termes scientifiques pour en être pleinement convaincu, la chercheuse en psychologie positive se plie à l’exercice : la gratitude pratiquée au quotidien “permet de contrecarrer ce que l’on appelle le biais de négativité : une tendance spontanée de notre cerveau consistant à porter l’attention en priorité sur les aspects négatifs, car ils sont potentiellement menaçants pour notre bien-être et notre survie. Avec ce type de pratique, nous entraînons notre attention à mieux observer l’ensemble de la réalité, pas uniquement ce qui nous dérange”. 

Résultat, poursuit Rebecca Shankland, en entraînant “notre mental à ne pas passer à côté de ce qui donne du sens à la vie” nous sommes de plus en plus capables “de repérer ce que nous apprécions dans la relation (NDLR avec l’autre)” et donc nous sommes “plus en mesure de l’exprimer à l’autre, ce qui renforce les comportements solidaires”. In fine, développe la chercheuse, “la gratitude est une émotion socialement utile car elle nous pousse à nous intéresser davantage à l’autre, à être attentionné envers lui, et à augmenter les gestes altruistes”.

La mécanique du cerveau

La gratitude, Nicolas Bressoud, enseignant spécialisé en inclusion scolaire en Suisse, la pratique tous les jours depuis sa formation en psychologie positive avec Rebecca Shankland. Il la met en œuvre aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle, avec les enfants qu’il encadre. Pendant un temps il a tenu un journal, puis il l’a mis de côté lui préférant désormais une pratique en temps réel. C’est comme ça que tous les soirs, en rentrant du travail, il s’offre “quinze secondes pour souffler” et se “dire merci”. Dans une même logique, Nicolas confie “prendre le temps de remercier les gens et de passer d’un merci de politesse et de conventions sociales à un merci honnête”. Au supermarché, par exemple, il remercie sincèrement la caissière et prend deux à trois secondes pour la regarder véritablement et lui dire “merci”. Se rend-t-elle compte de la différence ? Apprécie-t-elle ce merci sincère ? “C’est difficile de le dire”, précise Nicolas mais peu importe, ce qui compte c’est l’intention. 

Dans un même ordre d’idées, les adeptes de la psychologie positive peinent à déterminer si c’est la gratitude seule ou l’ensemble de ces pratiques qui impactent positivement leur quotidien. En effet, à la question “qu’est-ce que la gratitude a changé pour vous dans votre vie quotidienne ?”, Samuel comme Nicolas hésitent. Le premier assure en percevoir les effets dans sa vie de tous les jours mais ne pas savoir s’ils découlent “de la prise en main de (sa) qualité de vie ou du journal” en temps que tel. “C’est difficile de savoir si les effets viennent du journal ou du développement personnel en général, mais au fond ça m’est un peu égal, l’important est plutôt d’être dans une démarche positive”, tranche l’enseignant. 

Chez Nicolas le constat est le même : est-ce véritablement la pratique quotidienne de la gratitude qui a transformé sa vie ou la psychologie positive dans son ensemble ? S’il est compliqué d’en différencier les résultats, il confie avoir l’impression que la gratitude “(l’)a aidé à prendre confiance en (lui-même), à faire preuve de plus de bienveillance et d'auto compassion”. En outre, Nicolas explique : “Avant, par exemple, j’avais l’impression que l’on me jugeait au travail, que l’on doutait de mes compétences. Le fait d’être dans le remerciement m’a rappelé à quel point on est interdépendant. J’ai compris que je n’étais pas grand chose sans mes collègues, qu’ils pouvaient m’aider et que je pouvais en faire de même en retour. Ayant ce côté timide, ça m’a donné confiance en la générosité des gens et en moi-même”.  

Une pratique efficace mais… pas de miracle

Psychologie positive et gratitude ne sont donc pas réservées uniquement aux hippies. Non, il n’est pas nécessaire d’être convaincu de l’existence des licornes pour en expérimenter les retombées positives. Chacun gagnerait probablement à mettre ces préceptes en application dans sa vie de tous les jours. En revanche, il n’est pas non plus question d’une solution miracle capable de soigner tous les maux. Certes quelqu’un qui tient un journal de gratitude pendant quinze jours en ressentira les effets pendant six mois, comme l’indique Rebecca Shankland, en revanche tout le monde n’expérimentera pas des effets comparables. 

Effectivement, si, comme le souligne l’universitaire, “sur la population générale ces pratiques peuvent agir en termes de prévention pour réduire les risques de développement d’un anxieux ou dépressif “, Nayla Chidiac rappelle, de son côté, qu’il faut évaluer chaque individu au cas par cas. Bien évidemment, poursuit Rebecca Shankland, le journal de gratitude ne permet pas de “guérir d’un trouble anxieux ou dépressif”, mais il peut être utile “en complément d’une thérapie cognitive et comportementale et non en remplacement de celle-ci”. 

A l’instar de bien des méthodes de développement personnel, la gratitude n’est donc pas la réponse ou la solution à tous vos problèmes. Cependant, insérée dans votre quotidien, elle vous permettra de mettre quelque peu de distance entre vous-même et vos tracas. Plus qu’une réponse à tout, c’est un peu une philosophie de vie. Une manière d’interpréter son quotidien différemment, et plutôt que de se plaindre, de se poser un instant et d'apprécier ce que l’on est et où on en est.