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Pourquoi ça vous passionne

"Le fait-divers joue avec les émotions, et c'est ce que j'aime"

L'enquête en deux volets de "Society" sur l'affaire Xavier Dupont de Ligonnès en rupture de stock l'été dernier, l'adaptation de l'affaire Jacqueline Sauvage à l'audience record de près de 8 millions de téléspectateurs en 2018, celle de chaque épisode de "Faites entrer l'accusé" avoisinant le million dès la première diffusion… Indéniablement, les faits-divers suscitent l'engouement des Français. Bérengère, 30 ans, fait partie des adeptes. Elle témoigne.

\ BrianAJackson/iStock

  • Publié le 18.05.2021 à 14h00
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Identifiée comme "fanatique" de faits-divers par sa famille et ses amis, Bérengère se voit offrir chaque année plusieurs livres sur le sujet. Du Dictionnaire amoureux des faits-divers, à Anatomie du fait divers, en passant par Chanson douce – le roman dans lequel Leïla Slimani s'est largement inspirée d'une affaire qui s'est déroulée en 2012, aux États-Unis – les ouvrages abondent dans la bibliothèque de la journaliste de 30 ans. Elle écoute également le podcast Affaires sensibles sur France Inter, regarde l'émission Enquêtes criminelles sur W9 et consomme avec assiduité les épisodes de Faites entrer l'accusé, que l'on peut intégralement trouver sur YouTube. 

En parallèle, dès qu'elle tombe sur un article de presse écrite qui parle d'un fait-divers, la trentenaire s'y arrête. Moins il est sensationnaliste, plus il est documenté, plus il attirera son attention. À ce titre, elle a choisi pour thème de mémoire de fin d'études, en 2017, le traitement journalistique de l'affaire Jacqueline Sauvage. Vous l'aurez compris, Bérengère est passionnée par les faits-divers. Entre l'intérêt pour le cheminement qui mène au meurtre, la volonté d'être choquée et celle de ressentir des émotions comme l'empathie, elle nous raconte d'où lui vient sa fascination.

"Parfois, ça s'apparente à de l'addiction"

"Depuis que je suis petite, je suis très attirée et intriguée par la mort, qu'il s'agisse des personnes qui la reçoivent ou de celles qui la donnent. Je pense que c'est de là que vient ma fascination pour les faits-divers. Ensuite, elle s'est développée au gré de mes lectures. J'aimais déjà beaucoup les romans qui s'apparentaient aux affaires criminelles, puis je les ai découvertes à proprement parler dans la presse et les émissions. Je ne saurais dire quand j'en ai consommé pour la première fois, mais je me suis réellement rendu compte que j'avais un goût prononcé pour les faits-divers avec Faites entrer l'accusé.

J'ai commencé à regarder l'émission à la fin des années 2000, lorsque Christophe Hondelatte la présentait encore. Je pouvais enchaîner plusieurs épisodes, ce qui est encore le cas aujourd'hui. Même s'il m'arrive aussi de ne pas en visionner pendant plusieurs semaines, parfois, ça s'apparente à de l'addiction. Je les choisis en fonction du résumé. Je suis surtout sensible aux sujets qui abordent des assassinats particulièrement 'calculés' ou des meurtres en série, comme si je cherchais à repousser les limites du supportable, du soutenable, comme pour vérifier que l’inenvisageable existe, que l’homme peut être l’incarnation du mal.

"Qu'est-ce qui pousse quelqu'un à commettre l'acte ?"

J'ai eu d'autres déclics, notamment avec des affaires qui m'ont vraiment marquée. C'est le cas de celle de Jean-Claude Romand, cet homme qui a tué toute sa famille en 1993 car il s'est fait dépasser par un ensemble de mensonges. Tout est parti d'un événement des plus anodins. Il a raté son année de médecine et se sentait tellement mal à l'idée de le révéler à ses parents, qu'il a agi comme s'il avait réussi. Durant sa vie entière, il s'est fait passer pour un médecin, et jamais personne n'a réalisé que c'était faux. 

Je n'avais que deux ans lorsque les faits se sont produits, mais j'en ai beaucoup entendu parler par la suite. Puis, j'ai lu le livre L'Adversaire, d'Emmanuel Carrère, sorti en 2000, où il parle de sa rencontre avec Jean-Claude Romand. Cette affaire m'avait saisie de par le raisonnement qu'elle suscitait. Comment cela a-t-il pu se passer ? Qu'est-ce qui pousse quelqu'un à commettre l'acte ? Qu'est-ce qui l'amène à être englouti par son mensonge, à être tellement dépassé qu'il voit le meurtre comme seule issue ? Comment cela a-t-il pu partir de quelque chose de si dérisoire ?

"C'est l'inimaginable qui se produit"

C'est un des aspects des faits-divers qui m'intéresse énormément, essayer de comprendre le cheminement, comment une telle chose est possible. Je trouve ce côté énigmatique palpitant, de même que la manière dont l'humain fonctionne, à quel point l'issue d'une décision peut être dramatique, à quel point on peut aboutir à une situation complètement dingue. Même si certains ont un lourd passé qui peut en partie expliquer le passage à l’acte, on parle parfois de personnes qui sont nées dans un milieu sain, avec une vie tout à fait 'normale'.

Le fait-divers, c'est l'inimaginable qui se produit. Forcément, ça joue avec les émotions, et c'est ce que j'aime beaucoup : je cherche à être choquée, à être horrifiée. C'est une sorte d'électrochoc qui permet de voir que l'on ressent des choses devant le drame, la tragédie, la mort, comme un frisson à l'idée que ça arrive aux autres, alors pourquoi pas à nous.

"Le réel décuple les émotions"

Mais je ne suis pas uniquement dans la volonté d'être choquée. Malgré tout, ça me touche et me fait éprouver de l'empathie, car je me mets énormément à la place de la victime. Je ne peux m'empêcher de m'associer et de m'assimiler à elle, d'imaginer ce qu'elle ou ses proches ont pu ressentir. C'est ce que je recherche déjà beaucoup dans les films et les séries qui tournent autour de la mort et des tueurs, mais le réel ajoute une dimension complètement dramatique. Il décuple les émotions.

Pour les auteurs de crimes, je ne ressens aucune fascination, seulement de la haine. Finalement, c'est comme si on pouvait diviser la société en deux, avec, d'un côté, les bourreaux, et, de l'autre, les victimes. Il y a quelque chose de rassurant dans cette classification, et dans le fait d'identifier ceux qui ont fait le mal et qui ont été appréhendés, jugés pour ça. Savoir que l'on a un début et une fin, que la boucle est bouclée, est vraiment une source de satisfaction pour moi. C'est pourquoi j'évite de regarder les émissions où l'affaire n'est pas résolue, la frustration est trop grande.

"J'étais dans un état de transe"

C'était différent pour l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès. Elle m'a véritablement frappée, plus que tous les autres crimes non élucidés que j'ai pu voir passer. Je ne compte pas le nombre d'émissions, de podcasts et d'articles que j'ai vues, écoutés, et lus sur l'affaire.

Quand Society a publié ses deux volets l'été dernier, j'étais dans un état de transe au moment de les lire, car je savais que c'était une enquête de longue haleine. On y apprend énormément de choses, c'est une histoire que l'on nous raconte. C'était dur, éprouvant, à lire. J'ai même dû faire une pause à un moment donné ! Maintenant encore, en en parlant, j'ai la chair de poule. C'est affreux, c'est là que l'on se rend compte à quel point c'est réel, à quel point l'inimaginable entre dans le quotidien. Une de mes plus grandes satisfactions sera le jour où cette affaire sera résolue. Je ne saurais comment le décrire, mais j'éprouverai un immense soulagement. Rien que la dernière fois que les médias ont révélé des pistes, j'étais comme une dingue. Je ne m'explique pas pourquoi je prends cette histoire autant à cœur, mais je la trouve incroyable, je veux qu'elle ait un point final. Ne pas savoir est terrible.

Un autre fait-divers me fascine tout particulièrement. C'est l'affaire Véronique Courjault, la femme qui a été condamnée en 2009 pour avoir congelé ses bébés. Quelques années plus tard, alors stagiaire dans un cabinet en droit pénal, j'ai été confrontée à un cas similaire. Forcément, ça a eu un impact considérable sur moi et m'a fait me questionner sur mon aptitude à devenir avocate. J'ai pris conscience de la difficulté à travailler sur ces affaires, et je pense que c'est en partie pour cette raison que j'ai laissé tomber l'avocature pour le journalisme. J'avais peur que tout ça m'engloutisse. Car, j'ai beau suivre énormément de faits-divers, je n'arrive pas à me blinder. Chaque fois, je ressens la même stupéfaction, la même horreur.

"Il y a une part de voyeurisme"

Cela ne m'empêche pas de reconnaître qu'il y a une part de voyeurisme, chez ceux qui traitent les faits-divers, comme chez ceux qui les consomment. Je l'accepte totalement, c'est en chacun de nous. Mais je me dis qu'il n'y a pas que ça. C'est du voyeurisme pour se rassurer, pour s'exposer à des évènements qui nous font ressentir des émotions. Ce n'est pas gratuit, car on se met en situation d'empathie. Certes, on assiste aux derniers instants d'une personne, on revient sur un évènement tragique qui lui est arrivé, et on s'insère dans sa vie privée pour le faire, mais ce n'est pas seulement le cas des faits-divers. Aujourd'hui, on nous montre énormément de choses, de manière générale. 

Je pense qu'à partir du moment où l'on n'est pas uniquement dans la fascination morbide, mais que ces affaires nous indignent, nous révoltent, c'est différent. Elles permettent aussi de voir les avancées au niveau du droit pénal, par exemple. À chaque fois, elles interpellent par rapport à la prescription et suscitent des questions quant au fonctionnement de la justice. Je trouve que beaucoup de sujets sont passés au crible au travers des faits-divers : la société dans son ensemble, la justice, le dysfonctionnement de certaines institutions. Par ce biais, il y a aussi une volonté d'amélioration, que les choses soient mieux faites. Alors, même si ça peut partir d'un petit peu de voyeurisme, ce n'est pas ce qu'il faut retenir."

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