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Xavier, 49 ans, digital nomad : "Quitte à travailler à distance, pourquoi ne pas faire sa pause du midi en courant sur la plage ?"

Même s'il pourrait connaître un certain recul dans les jours à venir en raison de la "réouverture" générale, la crise sanitaire a signé l'avènement du télétravail. Un mode de fonctionnement qui a mis sur le devant de la scène les "digital nomads", dont le métier peut s'effectuer aux quatre coins du monde, dès lors qu'ils bénéficient d'un ordinateur et d'une bonne connexion internet. Certains n'avaient pas attendu la pandémie pour se lancer : c'est le cas de Xavier, un data scientist de 49 ans. S'il réside à Berlin, il passe le plus clair de son temps entre l'Italie, le sud de la France et la campagne allemande. Portrait.

Xavier, 49 ans, digital nomad : \ Jyliana/iStock

  • Publié le 07.06.2021 à 10h30
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"Tu m'entends en écho ? Attends, je vais enlever ça, ça devrait aller mieux !", s'exclame Xavier en effectuant une manipulation sur GoToMeeting, le logiciel de réunion en ligne sur lequel il nous a donné rendez-vous en cette matinée de début mai. L'homme de 49 ans se trouve en Allemagne, à Höxter, une ville de campagne située à plus de 350 kilomètres à l'ouest de Berlin. Il nous "reçoit" dans la chambre d'une maison qu'il occupe actuellement avec Kerstin, sa conjointe. Séparée en deux parties distinctes, la pièce fait partiellement office de lieu de travail au quadragénaire. "Je me suis acheté un nouveau bureau, précise-t-il en se levant de sa chaise pour nous le montrer. Je ne sais pas si tu vois, il fait un petit peu vieux jeu. Je voulais quelque chose qui ait du caractère".

L'épais meuble en bois semble avoir été confectionné pour l'endroit, auquel le plafond incliné en parquet confère un charme certain. "Pour l'histoire, on est dans la région des frères Grimm, relate le data scientist au look décontracté, vêtu d'un t-shirt bordeaux à col rond. Les habitations de ce style ont dû les influencer quand ils ont écrit leurs contes, comme 'Le joueur de flûte de Hamelin', qui se déroule à une heure d'ici". Xavier et Kerstin y ont posé leurs valises à l'annonce du reconfinement de Berlin, où ils vivent depuis 2010. Du moins, où ils louent un appartement, puisqu'ils sont ce que l'on appelle des "digital nomads", ces personnes qui concilient travail et voyage, fortes d'un métier pouvant s'exercer uniquement via un ordinateur, un portable, et une bonne connexion internet. 

"Je cherchais de la liberté" 

"Enfin, on n'est pas vraiment extrêmes dans le nomadisme numérique", précise le quadragénaire dans un rire. Il s'esclaffe de plus belle lorsqu'on lui demande de nous raconter son parcours professionnel. "Je télétravaille depuis 2008", se remémore-t-il. Un fonctionnement permis par ses employeurs successifs, trois start-ups qui ne possédaient pas systématiquement des locaux dans la ville de résidence de leurs salariés. "Pendant un ans ou deux, j'allais au bureau, mais pas forcément tous les jours, et sans obligation", détaille Xavier, indépendant depuis six mois. S'il est devenu nomade numérique, c'est un petit peu par hasard. "C'est vrai que je cherchais de la liberté", concède-t-il. Il évoque sa lassitude des transports en commun, d'un quotidien rythmé par les trajets en bus, métro, et RER, quand il s'est installé à Paris, en 2005.

"Je voulais tout prix que ça s'arrête. Les contraintes et la routine m'étaient devenus absolument insupportables, reprend le quadragénaire. Je n'ai pas fait de calculs, mais si on compte que l'on passe deux à trois heures par jour dans les transports, on arrive peut-être à un ou deux ans perdus sur toute une vie, seulement pour aller travailler". 300 à 500 envois de CV plus tard, il est engagé dans une première start-up. À l'origine directeur des ventes spécialisé dans l'analyse de données, il devient data scientist en 2016. "Quel que soit mon poste, mes fonctions pouvaient s'effectuer à distance sans aucun problème, assure-t-il. Pendant la période où j'allais de temps en temps sur site, je me suis rendu compte que travailler de chez moi revenait au même. À la rigueur, on me répondait plus rapidement quand je contactais mes collègues par mail".

"Je me suis dit que je travaillerais mieux en voyageant"

Les envies de voyages sont venues ensuite. "Petit à petit, je me suis détendu, raconte Xavier. Je me suis demandé : 'Quitte à travailler à distance, pourquoi ne pas faire ma pause du midi en courant sur la plage de Tarifa – dans le sud de l'Espagne, ndlr. – ou en me promenant en montagne, en Autriche ?'". Néanmoins, il faudra attendre son départ de la deuxième start-up pour que le déclic se fasse, il y a huit ans. "Je travaillais beaucoup trop, regrette-t-il. Le matin, sans même m'être douché, j'avais pris le réflexe d'ouvrir mon ordinateur 'seulement' pour regarder ce qui était arrivé. Je répondais à un mail urgent, puis à un deuxième, un troisième… Avant que je ne m'en rende compte, il était 16 heures et j'étais toujours en pyjama". Stress quotidien, journées se terminant entre 19 et 21 heures, absence de frontières entre sa vie privée et professionnelle… "Je me suis dit que, cette fois, j'apprendrais de mes erreurs, que je m'imposerais des règles, et que je travaillerais mieux en voyageant", explique-t-il. 

Au départ, les escapades de quelques semaines à un mois en dehors de Berlin avaient lieu assez rarement, peut-être une fois par an. "Mais, depuis trois ans, je pense qu'on n'y est jamais resté plus de quinze jours de suite, indique Xavier. On trouvait toujours un truc. Ça pouvait être partir seulement une semaine dans les environs, histoire de faire autre chose". En toile de fond, il évoque le "besoin" de changer d'environnement et une forme de ras-le-bol des grandes villes. Le data scientist pause longuement quand on lui demande dans quels endroits il s'est rendu. "Bonne question !, finit-il par lancer en gloussant. Je ne tiens pas vraiment de journal". Il évoque l'Italie, le sud de la France, les environs de Cassis, puis de Nice, l'Espagne, et notamment Tarifa, "une vraie ville de digital nomads", du moins lorsqu'il y était, en 2016 ou 2017. "Je ne peux te pas donner de chronologie, glisse-t-il sans se départir de son sourire. Même pour l'année 2019, j'aurais du mal à répondre".

"On a aussi le côté découverte, mais on prend notre temps"

Il s'interrompt quelques instants, porte son verre d'eau à la bouche, puis s'exclame, le visage animé : "Ah si ! Le dernier séjour que l'on a fait, je me souviens maintenant, c'était dans le sud de la France, vers l'Occitanie, cette fois. On y est resté un bon mois. C'était en septembre 2019… Non, 2020 ! On avait profité que la pandémie se calme pendant l'été". Xavier décrit une petite rivière, "assez grande et peu profonde", située dans des gorges près de son logement, où il allait nager et faire une pause de deux à trois heures chaque midi. En ce moment, il se prépare à repartir dans le sud de la France pour le mois de juin. "Kerstin est en train de planifier notre départ. C'est souvent elle qui est à l'initiative, qui fait les recherches…, énumère-t-il. Elle a la bougeotte avant moi !"

Néanmoins, sur place, rien n'est prévu : plutôt que les attractions touristiques, le couple se penche davantage sur les commerces, les aspects pratiques du quotidien, pour apprendre à vivre au rythme des locaux. "On a aussi le côté découverte, mais on prend notre temps, c'est agréable", explique Xavier. La Dominique, Hawaï, le Mexique… Autant de destinations lointaines que les conjoints se réservent pour les vacances. Pour le télétravail, ils privilégient des villes européennes de taille moyenne, facilement accessibles. En cause notamment : la présence de leur chienne, Lexie. "Elle ne supporte pas les voyages. En voiture, les trajets ne dépassent pas trois heures, et on doit s'arrêter pour la nuit. Rien qu'aller dans le sud de la France nous demande facilement cinq à six jours", s'esclaffe le data scientist.

"J'ai l'impression de réellement profiter de la vie" 

Lorsqu'il est sur la route, le couple fait étape dans nombre d'endroits différents. En plus des pauses, il en profite parfois pour travailler, mais pas systématiquement. "On est quand même assez libres : on peut s'organiser de sorte à ce que nos tâches soit remplies", assure le quadragénaire. Cela se traduit par des journées de deux heures, et d'autres bien plus fournies. Un choix qui n'a pas été laissé au hasard : bien qu'il réfléchisse à son emploi du temps la veille, Xavier essaie d'éviter d'avoir une routine quotidienne. Cette souplesse, ce nomadisme, sont pour lui synonymes d'un état de bien-être "général", d'un gain de sérénité. "J'ai l'impression de réellement profiter de la vie, de ne pas juste attendre les vacances pour le faire", confie-t-il.

Pour lui, il s'agit d'une manière de brouiller la frontière entre la liberté qui leur est associée et le caractère obligatoire du travail, assorti d'une forme d'épuisement inhérent à la vie quotidienne. "Ce n'est pas que les deux se mélangent, mais je profite plus, même de mon travail : j'ai commencé à l'apprécier", développe-t-il. Il s'arrête pour chercher ses mots. "Je ne sais pas trop comment l'expliquer, mais ça a changé ma vision sur le sujet, ça m'a donné envie de trouver quelque chose qui me plaise vraiment". Xavier s'est déjà demandé s'il continuerait à exercer son métier s'il gagnait au loto. La réponse ? "Oui, probablement""Ça veut dire que je suis satisfait de ce que je fais, ce qui était moins le cas avant, lâche-t-il dans un sourire. J'ai essayé de redéfinir mon rapport au travail et à la vie en général".

"On le prendrait chacun comme petit pied-à-terre"

Les règles sont également redéfinies en matière de logement : parfois, Xavier et Kerstin prêtent leur appartement à des amis, le laissent, "juste comme ça", ou essaient de le sous-louer lorsqu'ils s'absentent pour une longue période. "C'est aussi pour financer les voyages, car ça coûte de l'argent : on ne part pas au format campeur, on cherche toujours un endroit agréable, confortable, avec une bonne connexion internet", détaille le quadragénaire. En ce moment, sa compagne s'intéresse de près au home-sitting, qui consiste à habiter gratuitement une maison et à s'en occuper pendant quelques semaines. "Parfois, il faut prendre soin des animaux, précise le data scientist. Tu peux avoir des chiens ou des chats, mais aussi des chèvres, des moutons ou des lamas. Ça peut être marrant".

En parallèle, Xavier a une idée : garder leur appartement à Berlin tout en le partageant avec quelques amis, qui le loueraient en même temps qu'eux. "On le prendrait chacun comme petit pied-à-terre et on s'arrangerait entre nous pour savoir quand y aller", explique-t-il avec entrain. Lorsqu'on lui demande s'il imaginait avoir un jour ce mode de travail et de vie quand il était plus jeune, il marque un temps d'arrêt, puis boit quelques gorgées d'eau en silence. "Non, non, pas du tout", répond-il, avant de pauser longuement. "Quoique…", hésite-t-il en levant un sourcil, l'air interrogatif. "J'étais un petit con, je ne pensais pas trop à l'époque, finit-il par lâcher dans un rire. Ça m'aurait déjà beaucoup tenté, mais ça n'existait pas, à moins d'être explorateur ou…".

"Il ne faut pas avoir d'attaches trop fortes à un endroit"

Simultanément, la caméra et le micro se coupent. Quelques minutes passent, avant que l'image d'un Xavier tout sourire, en train de se déplacer avec son ordinateur, n'apparaisse. "Ah, c'est bon, je crois que ça revient !", s'exclame-t-il en reprenant place à son bureau. Il réajuste l'angle d'inclinaison de son écran, puis termine la phrase qu'il avait entamée : "explorateur ou reporteur, et ce n'était pas vraiment une option. Puis, Internet n'était pas encore très développé. Je me souviens de mon premier travail, où on m'envoyait des fax". Plus que les moyens matériels, le data scientist évoque la notion d'enracinement. "Pour mener ce genre de vie, peut-être qu'il ne faut pas avoir d'attaches trop fortes à un endroit", envisage-t-il. Il acquiesce lorsqu'on lui demande s'il a le sentiment de "tout" avoir avec lui.

"Je crois que personne n'a vraiment d'attaches géographiques ; du moins, peu en ont des naturelles", constate-t-il. Il prend l'exemple de ses amis à Paris et Berlin : la plupart viennent d'une autre ville. "Donc je ne suis pas un bizarre qui n'a pas d'attaches, s'esclaffe-t-il. C'est peut-être le fait d'être parti aux États-Unis assez jeune – il s'est installé à Los Angeles en 1998, ndlr." Il évoque également le plaisir de la découverte, qui les pousse toujours davantage, Kerstin et lui, à vouloir expérimenter d'autres lieux. "Peut-être que le jour où on trouvera un endroit absolument parfait, on y restera… Pour l'instant, ce n'est pas le cas, reconnaît Xavier avant de marquer un temps de pause. Ça ne veut pas dire que les endroits dans lesquels nous sommes allés ne sont pas parfaits. On se dit plutôt : pourquoi ne trouverait-on pas aussi quelque chose d'intéressant ailleurs ?".

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