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On vous dit tout

Le télétravail, synonyme de productivité… s'il est source de bien-être

Par Floriane Valdayron

Moins de sollicitations, gain du temps passé dans les transports, possibilité de travailler dans un environnement choisi… Si le distanciel semble synonyme d'une meilleure qualité de vie, ce constat est loin d'être unanime. Dans le deuxième volet de notre série "On vous dit tout sur le télétravail", intéressons-nous aux liens entre distanciel, bien-être et productivité.

fizkes/iStock

Depuis le début de la crise sanitaire, le télétravail s'inscrit peu à peu dans les mœurs. En atteste une étude Harris Interactive, selon laquelle 43% des actifs ont opté pour le distanciel au moins partiellement la semaine du 12 avril, contre 36% pour celle du 18 janvier. "À mon sens, le premier confinement a vraiment permis une certaine libération quant au télétravail, analyse Nolwenn Anier, docteure en psychologie sociale. Avant la pandémie, beaucoup d'entreprises entretenaient un rapport compliqué avec cette formule. Il y avait une problématique de confiance où les managers et les dirigeants avaient l'impression que les salariés ne travailleraient plus s'ils n'étaient pas au bureau".

Pourtant, l'autrice de Confinement : les enseignements à retenir, est catégorique : non seulement elle considère que le télétravail peut être "efficace", mais aussi synonyme de productivité. "D'une part, on se met à l'abri de nombreuses sollicitations assez récurrentes, explique-t-elle. Car, open space ou non, le lieu de travail reste un endroit collectif". Elle évoque notamment la possibilité de se faire interpeller par un collègue, de voir son attention perturbée par le coup de téléphone d'un autre, ou encore par le passage d'un client… "Je ne crois pas que ces contextes distractibles permettent de travailler dans les meilleures conditions", acquiesce Claire Leconte, chronobiologiste.

"Ma productivité est au moins équivalente à celle sur site"

En distanciel à temps plein depuis le début du mois de mars, Frédéric a pu le constater. "Ce qui est bien, c'est que l'on n'a pas toute cette pollution sonore : quand je suis concentré, on ne me dérange pas", témoigne l'expert IT de 55 ans. De la même manière, puisque ces interruptions ne résultent pas de son fait, elles n'apportent pas la satisfaction qu'une pause choisie aurait générée. "Elles peuvent être source de fatigue car elles nécessitent une concentration bien plus importante, avec un coût cognitif non négligeable", reprend Claire Leconte. Frédéric opine. "Je suis moins stressé : comme je ne suis pas interrompu, j'avance aussi vite que prévu", note-t-il. Évoquons également la possibilité d'optimiser ses journées, permettant de prendre du temps pour soi. 

À cela s'ajoute un gain de temps notable quant aux réunions. "On ne doit plus marcher pour passer de l'une à l'autre, on peut les enchaîner, et même arriver en retard : c'est beaucoup plus souple, se réjouit l'expert IT. Ma productivité est au moins équivalente à celle sur site, si ce n'est plus forte". Par ailleurs, Nolwenn Anier fait allusion à l'absence de transports en commun. "C'est synonyme de moins de fatigue : cela permet de mieux récupérer, d'être plus concentré et efficace", développe-t-elle. C'est pour toutes ces raisons que le télétravail peut contribuer au bien-être.

Le bien-être, source de motivation

"J'y gagne en qualité de vie, témoigne Frédéric. C'est pour ça que je ne suis vraiment pas favorable à un retour sur site à 100%". Delphine, 32 ans, partage son ressenti. Si elle reste soumise à des journées à horaires fixes, commençant à 5 heures et se terminant à 12 heures, elle a pu éprouver une certaine liberté quant au lieu d'exercice de ses fonctions. "Mes outils me permettaient d'effectuer parfaitement mes missions depuis n'importe où, donc j'ai fui le confinement", raconte la communicante, en télétravail à temps plein depuis la mi-décembre. Elle s'est d'abord rendue en Allemagne, chez son copain, jusqu'à la mi-février. Ensuite, ils ont passé quatre semaines en Bretagne. Elle est rentrée chez elle, à Paris, un mois à peine, puis est partie pour les Canaries, où elle s'est établie jusqu'au 1er mai. Elle se trouve désormais en Italie, et a déjà prévu de poser ses valises à Biarritz, en juin.

"Je ne me vois pas faire ça sur le long-terme, c'était plutôt contextuel, indique la trentenaire. Je ne m'imaginais pas travailler de chez moi, enfermée dans mon petit appartement. Ça aurait été hyper difficile psychologiquement. Là, j'ai gagné en bien-être. J'ai eu le sentiment de respirer, de souffler". D'un point de vue purement professionnel, cette notion est loin d'être anodine, puisqu'elle génère de la productivité. "Plus on a une bonne qualité de vie personnelle, plus on est motivé par ce que l'on a à faire", estime Claire Leconte. C'est le cas de Delphine, qui "pense, effectivement, avoir été plus productive". En cause notamment : le gain de motivation lié aux différents environnements dans lesquels elle s'est trouvée ces derniers mois.

Derrière la productivité, l'engagement 

"Savoir que j'allais à la plage, retrouver des amis, ou faire du cheval, m'a permis d'être plus concentrée sur mon travail de manière générale et, finalement, d'assumer mes journées de 7 heures devant mon ordinateur", constate la communicante. Elle mentionne également un projet particulier, qui s'est "très bien passé", malgré l'investissement considérable qu'il lui a demandé. "Si j'avais été chez moi, je pense que j'aurais dû consulter un médecin pour burn-out car j'ai eu énormément de pression, confie-t-elle. Être dans le cadre dans lequel je me trouvais à ce moment m'a aidée à tenir". Le ressenti de Delphine s'inscrit dans la mise en lumière des sujets de santé psychologique au travail qu'a induite la crise sanitaire.

"Comme tout s'est arrêté du jour au lendemain, il semble que le premier confinement ait accéléré une certaine remise en question, une quête de sens et d'équilibre entre la vie professionnelle et personnelle", relève Nolwenn Anier. En conséquence, elle note que les salariés accordent une importance grandissante au souci que porte leur employeur à leur bien-être. "C'est à la base de l'engagement", assure la docteure en psychologie sociale. Ce dernier favoriserait un certain investissement, qui, de fait, engendrerait – là-encore – de la productivité. De la même manière, la confiance accordée aux salariés en télétravail les valoriserait. "Ça peut les conforter dans une certaine reconnaissance, dans le fait qu'ils peuvent se performer à ce niveau", souligne Caroline Diard, enseignante-chercheuse en management des RH et droit.

Sensibiliser aux risques du distanciel

Ainsi, pour tous les motifs précédemment évoqués, il serait raisonnable de penser que les entreprises gagneraient à encourager le distanciel… Du moins, dès lors qu'il est mis en place dans de bonnes conditions et qu'il est souhaité. D'après l'étude Harris Interactive mentionnée plus haut, 33% des personnes ayant télétravaillé au moins partiellement la semaine du 12 avril reportaient mal vivre le distanciel au quotidien, tandis que 34% estimaient qu'il augmentait leur stress, et 31% qu'il leur arrivait d'être angoissées à cause du télétravail. Hasard ou coïncidence, 37% des sondés ne se trouvaient pas aussi performants qu'en présentiel. 

"Avoir un coin de travail complètement indépendant ou partager une pièce de vie avec ses enfants ou un conjoint n'aura pas du tout les mêmes conséquences sur la santé mentale", illustre Claire Leconte. De l'absence de la sociabilisation traditionnellement permise par l'environnement professionnel – un sujet que nous traiterons dans le troisième volet de cette série – aux voisins bruyants, en passant par un équipement inadapté, de nombreux autres facteurs entrent en compte. "Il existe également des inconvénients en termes de rythme de travail, car on a tendance à en faire plus qu'au bureau", ajoute Nolwenn Anier.

"Ces problématiques sont apparues pendant la crise sanitaire, avec la pression que l'on se met parfois, cette forme d'autocontrôle, d'autodiscipline, alerte encore Caroline Diard. Elles peuvent potentiellement mener au burn-out". Surtout, Nolwenn Anier explique le mal-être qui touche une partie des salariés par la pandémie. "En durant, la crise sanitaire fragilise les individus au niveau psychologique : ce n'est pas uniquement lié au télétravail, estime-t-elle. Le ras-le-bol assez général fait que l'on n'est plus du tout dans la même dynamique que celle du premier confinement". Arrêtons-nous sur le cas de Loïc, 27 ans. En distanciel à temps plein depuis fin octobre, il fait référence à ces sept derniers mois comme "une horreur absolue".

"J'ai l'impression d'être un écran"

Le consultant distingue deux périodes. D'abord, le premier confinement, pendant lequel il ne s'est pas rendu une seule fois sur site. "J'étais super content de ne plus prendre les transports, de dormir plus longtemps. Je travaillais vraiment bien, se remémore-t-il. Sur la fin, j'avais des petites pertes de motivation, donc il m'arrivait de faire le minimum, mais je remplissais mes missions". Puis, avec la reprise du présentiel en juillet 2020, il décrit une formule très agréable : une alternance, avec deux jours au bureau et trois jours chez lui. "Ça m'a vraiment re-boosté", raconte-t-il. Par exemple, chaque vendredi, Loïc était en distanciel : il s'organisait en amont pour retrouver ses amis en fin d'après-midi. "Je commençais plus tôt et je faisais une pause déjeuner de 20 minutes, développe-t-il. J'étais très efficace".

Désormais, il souffre du prolongement incessant du télétravail à temps plein. En plus de mois d'hiver moralement difficiles et du manque d'interactions sociales, le consultant évoque une difficulté grandissante à trouver du sens à ce qu'il fait en étant seul, sur son écran. "Avant, quand j'étais chez mon client, même si j'étais devant un ordinateur, je faisais des ateliers avec lui ou avec un chef d'équipe, donc c'était concret, explique-t-il. Ça me liait un petit peu au réel, alors que, maintenant, je suis complètement déconnecté. Je passe la journée sur mon ordinateur, le même que celui sur lequel je regarde des appartements Airbnb, des vidéos YouTube, des matchs de foot. J'ai l'impression d'être un écran, au final".

Le cercle vicieux du mal-être et de la perte de motivation

Loïc trouve également que la notion de train-train quotidien devient "dix fois plus forte". Il raconte la période de janvier à mars, pendant laquelle il faisait de longues semaines, tandis que sa compagne travaillait sur site. "Je me levais, je montais dans l'espace de travail que l'on a aménagé dans la mezzanine, puis j'en descendais seulement pour déjeuner, décrit-il. Je remontais, puis quand je finissais ma journée, j'avais 45 minutes pour faire quelques courses avant le couvre-feu". Puis, il lançait une machine à laver ou faisait une tâche ménagère, et jouait à la Playstation. "Cette routine est devenue un rouleau compresseur, reprend le consultant. Au moins, avec mes collègues, je déjeunais, j'allais ailleurs, ou on commandait. Il y avait des variantes, pas seulement la certitude du Microsoft Teams".

À l'instar du lien entre bien-être et productivité, celui entre mal-être et manque d'efficacité existe bel et bien. "En ce moment, c'est évident que je suis moins efficace qu'en présentiel", reconnaît Loïc. Parfois, s'il n'a pas envie de travailler un après-midi, il lui arrive de "faire semblant", en restant connecté à son ordinateur. La quantité de travail assignée n'ayant pu être faite, il la rattrape le lendemain, en débutant sa journée à 6 heures, par exemple. "C'est vraiment quand je sais que le retard ne pourra pas être expliqué par une excuse acceptable", précise-t-il.

"Il ne faut pas garder ce que l'on vit mal pour soi"

Comment se sortir d'un tel cercle vicieux ? Claire Leconte préconise aux personnes qui, comme Loïc, vivent mal le télétravail de se concentrer sur les avantages que la situation peut leur apporter, à l'instar de ceux abordés au début de cet article. "Dans certains cas, le distanciel permet de passer plus de temps avec sa famille, envisage également la chronobiologiste. Si c'est possible, cela peut-être l'occasion de faire une véritable pause déjeuner ensemble, pour échanger". C'est cette notion de temps qu'elle met en avant. "Il faut mettre à profit ce gain, ne pas le gâcher, se rendre compte que l'on est plus disponible pour des activités et des interactions choisies", insiste-t-elle.

Au niveau de l'entreprise, elle estime que la clé réside dans la communication. "Les salariés devraient pouvoir parler de leurs problèmes sans hésiter : il ne faut pas garder ce que l'on vit mal pour soi", souligne la chronobiologiste. Nolwenn Anier suggère des solutions alternatives, flexibles, tel que le coworking. "Aujourd'hui, de plus en plus d'entreprises paient des abonnements à leurs employés pour qu'ils travaillent près de chez eux, tout en ayant accès à toutes les infrastructures d'un bureau professionnel", détaille-t-elle.

Rédiger un guide du manager et du télétravailleur

Pour sa part, Caroline Diard insiste sur la nécessité d'un suivi. "Le premier niveau doit être managérial, avec un entretien par lequel on s'enquiert de la santé de ses employés", martèle-t-elle. Cela passe par des questions telles que : "Travaillez-vous trop ?", "Arrivez-vous à déconnecter ?". Par ailleurs, des actions réglementaires existent déjà, comme les négociations sur la qualité de vie au travail, obligatoires au sein des entreprises, et dont le distanciel fait partie. "Mais, dans l'urgence, et de manière assez simple, on peut rédiger un guide du manager et du télétravailleur", envisage l'enseignante-chercheuse en management des RH et droit.

Objectifs : les sensibiliser aux nouvelles compétences et formes de communication requises par le distanciel. "Cela peut se traduire par des formations basiques sur les outils technologiques, reprend la co-autrice de Prévention des risques psycho-sociaux et des accidents du travail, en citant l'exemple des personnes angoissées à l'idée d'utiliser certaines plateformes. Il suffirait parfois de deux à trois heures pour éliminer le stressPuis, c'est l'occasion d'évoquer les nouvelles modalités d'évaluation et la manière de fixer les objectifs, entre autres". En somme, il s'agit d'instaurer une forme de contrat psychologique entre le salarié et l'entreprise, mais, surtout, de redéfinir les règles du jeu.