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Consommation

La route des œufs, de la ponte à l’assiette

Par Stanislas Deve

D’où viennent les œufs vendus en France ? Dans quelles conditions les poules sont-elles élevées ? Quels sont les critères des appellations « plein air » et « bio » ? A quoi reconnaît-on un bon œuf ? On vous retrace toute la route de l’œuf, de la ponte au commerce, pour vous aider à bien garnir votre assiette.

vladans / iStock
Quinze milliards. C’est le nombre d’œufs consommés chaque année par les Français, soit plus de 200 par bouche, un record parmi les pays de l’Union européenne. Mangés tels quels ou incorporés dans des plats industriels, ils sont un produit de consommation désormais plébiscité par 99 % des Français, selon une étude CSA de 2021, contre 96 % en 2017. Ils sont au menu de 9 personnes sur 10 au moins une fois par semaine, voire tous les jours ou presque pour certaines (7 %). L’aliment est devenu quasi indissociable du quotidien, sa consommation a explosé lors des récents confinements et il est toujours le champion protéiné des régimes végétariens.

La consommation augmente, tout comme l’exigence des consommateurs : nous ne voulons plus manger n’importe quoi. Et les œufs qu’on met dans notre panier, on les veut pondus par des poules élevées dans un environnement respectueux (critère n°1) et à l’intérieur de nos frontières (n°2). Un souci de bien-être animal et de transparence plus que jamais exprimé par les Français depuis les vidéos-chocs de l’association pro-animale L214 ou le scandale des œufs contaminés au fipronil en 2017. Même l’actualité nous rappelle à la vigilance : en raison d’une réglementation européenne un peu trop souple, des œufs vendus dans des supermarchés sont estampillés « plein air » alors même que les poules pondeuses sont confinées depuis plusieurs mois dans les élevages à cause de l’épidémie de grippe aviaire, comme le révèle Le Parisien.

Rassurez-vous : cette situation, légale, reste exceptionnelle et les consommateurs en sont informés. Tout le système est justement fait pour garantir la traçabilité des œufs, du poulailler jusqu’aux rayons du supermarché. Comment ça fonctionne exactement ?

Avant l’œuf, les poules

Choisir ses œufs, c’est choisir les poules qui les pondent. Pour ce faire, il faut tout simplement décoder le marquage « tatoué » sur leur coquille (par exemple 1FRABT04), obligatoire en Europe depuis 2004 pour les élevages dépassant les 250 poules. Le premier chiffre indique le mode d’élevage des poules pondeuses (bio, plein air, cages...). Les deux lettres suivantes désignent le pays de ponte (FR pour France, PL pour Pologne...). S’ensuivent trois lettres, qui identifient le site d’élevage (ou code producteur), et deux chiffres, qui précisent le numéro du bâtiment où se trouve la poule pondeuse. Le tout est une sorte de « code-barres » qui permet de retracer à tout moment le parcours effectué par l’œuf. A noter que, pour certains œufs, la date de ponte et la date limite de consommation peuvent aussi figurer sur la coquille.

Parmi les quelque 2800 élevages sur le territoire, on distingue quatre modes de production en fonction de la qualité de vie des poules :

Elevage biologique (code 0). C’est le mode d’élevage le plus respectueux de l’animal. Les volailles, au nombre maximum de six par mètre carré, consomment de la nourriture biologique (90 % minimum) et ont accès à des parcours extérieurs (4m2 par poule) avec des abris et de la végétation. Les « bio » représentent désormais à peu près 20 % des œufs mis sur le marché.

Elevage en plein air (code 1). Les poules ont accès à des parcours extérieurs au cours de la journée (comme les bio) et elles ne sont pas plus de neuf au m2 dans les bâtiments. Plus d’un tiers des œufs achetés par les ménages français sont des œufs de poules élevées en plein air.

Elevage au sol (code 2). Les volailles (neuf par m2) évoluent « librement » à l’intérieur d’un hangar, au sol mais sans accès au plein air et sous lumière artificielle. La taille du cheptel n’est pas limitée, et l’alimentation non réglementée.

Elevage standard ou de batterie (code 3). C’est le pire. Les poules sont élevées en cages, par groupe de 12 à 60, dans un bâtiment. Elles vivent dans un espace équivalent à une feuille A4, sur du grillage souple et pentu pour que les œufs roulent sans se briser. Dans de telles conditions, régulièrement dénoncées par les associations de défense animale, une poule produit en moyenne 265 œufs par an, contre 170 pour une volaille menant la vie au grand air. Si les œufs de batterie restent majoritaires parmi les œufs utilisés dans les aliments industriels (plats cuisinés, mayonnaise, biscuits...), ils ne représentaient plus que 28 % de la production nationale en 2021 (contre 81 % en 2008). Et la proportion est vouée à diminuer : des centaines d’entreprises de l’agroalimentaire se sont engagées à exclure les œufs de poules en cage de leur chaîne d’approvisionnement d’ici à 2025.

Malgré la mention du code producteur sur l'œuf, propre à chaque élevage, il s’avère difficile de connaître réellement l’identité du producteur, le seul moyen d’en être sûr étant d’acheter ses œufs directement auprès de l’éleveur, sur son site ou les marchés. On sait néanmoins d’où viennent la majorité de nos omelettes : selon BD avicole, qui centralise toutes les données des professionnels de la filière, c’est en région Bretagne que l’on produit le plus d’œufs (39 % de la production nationale), suivie des Pays de la Loire (19 %) et des Hauts-de-France (9 %). « La quasi-totalité des distributeurs ne vendent que des œufs certifiés français. Et si quelques rares œufs vendus en France sont d’origine étrangère (c’est de l’ordre du détail !), ils proviennent de pays limitrophes comme l’Allemagne, l’Espagne ou la Belgique », selon Maxime Chaumet, secrétaire général du Comité national pour la promotion de l’œuf (CNPO).

Du poulailler à l’étal, les œufs suivent un chemin tout tracé. « Une fois pondus et identifiés, ils sont acheminés par palettes vers un centre de conditionnement, explique le spécialiste du secteur. C’est là qu’ils sont sélectionnés soit pour l’industrie agroalimentaire (ceux qui sont sales ou ont des micro-fêlures par exemple), soit pour être vendus en l’état aux consommateurs. Ils sont ensuite triés en fonction de leur taille et de leur poids, avant d’être – si cela n’a pas été déjà fait à l’élevage – marqués de renseignements (provenance, type d’élevage...). Enfin, les œufs sont emballés dans des alvéoles, puis transportés en camion vers les distributeurs (commerces, industries, restauration collective...). Et ce, dans les dix jours maximum suivant la date de ponte. » A noter que les élevages sont dépistés régulièrement « pour s’assurer notamment qu’il n’y a pas de présence de salmonelle. Et si un élevage est contaminé, on abat le lot et les œufs ne partent plus sur le marché, évidemment. »

Pas moins de 170 boîtes d’œufs différentes

Sur la boîte d’emballage doivent figurer d’autres informations qui viennent compléter la « carte d’identité » de l’œuf :
La catégorie. A pour les œufs vendus aux particuliers (« frais », qui a moins de 28 jours, ou « extra frais », qui a moins de 9 jours) et B pour les œufs destinés à l’industrie agroalimentaire (vous ne les verrez jamais dans les rayons de supermarché).
Le calibre. Il y en a quatre : S pour les petits œufs de moins de 53 grammes, M pour les moyens de 53 à 63g, L pour les gros de 63 à 73g, et XL pour les très gros œufs de plus de 73g.
Les indications sur l’élevage (pays d’origine, mode d’élevage et code producteur), comme inscrites sur l’œuf?
Le code du centre de conditionnement qui a emballé les œufs.
La date de consommation recommandée (DCR). Celle-ci correspond à un délai de 28 jours après le jour de ponte. En cas de doute, il existe une méthode infaillible pour vérifier la fraîcheur d’un œuf : plongez-le dans un verre d’eau. Si l’œuf coule, il est frais, s’il reste entre deux eaux, il faut le consommer rapidement, et s’il flotte complètement, il n’est plus comestible (même constat s’il fait du bruit lorsqu’il est secoué).

Si le consommateur dispose de toutes les mentions nécessaires pour faire son choix, il n’est pas toujours facile d’y voir clair quand on fait ses courses. Et pour cause, plus de 170 références d’œufs, c’est-à-dire 170 boîtes d’œufs différentes coexistent désormais dans les rayons, contre une petite poignée il y a vingt ans. Avec le projet de se démarquer tout en rassurant les consommateurs, les emballages rivalisent d’informations positives : œufs sans OGM, avec oméga-3, sans antibiotiques, lutte contre la déforestation, sigles bio, terroirs de région... Des logos publics ou privés qui répondent à des cahiers des charges plus ou moins stricts. « Il faut considérer chaque label au cas-par-cas et faire attention, car les industriels n’hésitent pas à jouer avec les règles pour convaincre les consommateurs, assure Olivier Andrault, de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir. Oubliez, par exemple, les jolis paysages champêtres sur les boîtes d’œufs, qui ne sont là que pour faire joli, mais également les mentions fantaisistes comme "oeufs frais de nos campagnes", "œufs de ferme" ou encore "œufs datés", qui ne garantissent absolument rien. L’objectif des industriels est juste de vous faire oublier la réalité de l’élevage intensif. »

Certaines références seraient ainsi plus fiables que d’autres. C’est le cas, bien sûr, des labels bio, mais également des œufs estampillés Label Rouge, Bleu Blanc Cœur ou Œufs de France, rappelle Maxime Chaumet. « Le label Œufs de France, validé par le CNPO, garantit non seulement que les œufs sont pondus à l’intérieur de nos frontières, mais également qu’ils sont bien emballés ou transformés en France, que les poules pondeuses sont nées sur le territoire et qu’elles y ont vécu toute leur vie. En parallèle, il y a des exigences alimentaires et des contrôles sanitaires plus stricts que ceux imposés par la réglementation classique. »

Et au-delà des étiquettes ?

Peut-on se faire une idée de la qualité d’un œuf rien qu’en le regardant ? La réponse est... non. La taille, par exemple, n’a aucun rapport avec le goût, assure le secrétaire général du CNPO. « Le calibre de l’œuf dépend surtout de l’âge de la poule : plus elle avance en âge, plus elle pond des œufs gros. Les œufs dans la grande distribution sont, pour la quasi-totalité, des œufs de taille intermédiaire, préférés par les distributeurs, et les petits et les très gros partent dans l’industrie et la restauration pour la confection d’ovoproduits. »

Même constat pour la teinte de l’œuf : zéro incidence. « Certains œufs sont beiges (surtout en France, où on les préfère) et d’autres blancs (aux Etats-Unis notamment), mais contrairement aux idées reçues, cela n’a rien à voir avec les vertus de l’œuf : la coloration de la coquille dépend uniquement de la race de la poule pondeuse. C’est une question de génétique et non d’alimentation ou d’environnement. Il existe ainsi des œufs blancs (poule Leghorn par exemple), bruns-roux (Marans) et même verts (Araucana) ! »