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Entretien

Et vous, avez-vous déjà vécu le déjà-vu ?

Par Stanislas Deve

Qu’est-ce que le sentiment de déjà-vu ? Comment l’expliquer ? Quel lien a-t-il avec la mémoire ? Peut-il devenir un problème ? Catherine Thomas-Antérion, docteur en neuropsychologie et membre du comité scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires, répond aux questions que vous vous êtes sûrement déjà posées.

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- Mieux Vivre Santé : Qu’est-ce que l’expérience du déjà-vu ?

Catherine Thomas-Antérion : Le déjà-vu est le terme retenu par les scientifiques, mais la littérature en parle sous d’autres termes : déjà parlé, déjà rencontré, déjà éprouvé, déjà su, déjà entendu... C’est, par exemple, goûter un aliment tout à fait nouveau mais avoir l’impression de l’avoir déjà mangé. Le plus souvent, c’est le sentiment d’avoir déjà vécu cette scène, d'être déjà allé dans cet endroit, d'avoir déjà entendu ce discours. C’est imprévisible et extrêmement fugace, pas plus de 30 secondes. Car très vite, le lobe frontal du cerveau, celui du contrôle, va vérifier la plausibilité de la situation et réaliser que c’est impossible : vous n’avez jamais mangé cet aliment, marché dans cette ville ou rencontré cette personne.

- Qui est le plus concerné ?

C’est un phénomène assez banal : selon les études scientifiques, le déjà-vu est arrivé au moins une fois à 70 % de la population, et pour les concernés, à plusieurs reprises. Il y a certains facteurs de prédisposition : il survient à 90 % chez les jeunes de moins de 30 ans (même si tous les âges sont concernés), plus souvent en intérieur qu’en extérieur, et en cas de fatigue ou de stress, car le système de l’attention devient plus fragile. Mais peu importe l’état émotionnel de la personne (colère, joie...), cela peut arriver à tout moment et à tout le monde.

- Est-ce notre mémoire qui nous joue un tour ?

Il y a plusieurs hypothèses. Le déjà-vu pourrait être un problème de perception dite double, qui peut survenir lorsqu’on est épuisé ou stressé, lorsque notre attention se relâche. A ce moment-là, si on détourne subitement le regard ou si on se plonge d’un coup dans ses pensées avant de revenir à ce qu’on faisait juste avant, le cerveau va générer l’impression de vivre deux fois la même scène. Les autres hypothèses, plus nombreuses, sont celles de la mémoire. Le déjà-vu pourrait survenir au travers d’un indice déjà familier (une expérience, un objet, un visage, une couleur...) dont la reconnaissance est empêchée par un contexte différent, à tel point que le cerveau va amplifier cette sensation de familiarité et identifier l’ensemble de la scène comme familière. Si cette scène vous semble déjà vécue, c’est peut-être simplement parce que le rouge d’un vêtement vous rappelle, sans le conscientiser, celui de la robe d’une ancienne petite amie.

- Comment mettre le doigt sur l’indice en question ?

C’est souvent impossible, il est toujours imperceptible, de l’ordre de la milliseconde, car l’indice n’est pas un souvenir en soi : c’est juste une sensation de déjà-vu erroné. Le déjà-vu est une familiarité de la mémoire qui, grâce à tel ou tel élément anecdotique comme une voix ou un goût, remonte à la surface, automatique, involontaire, comme une réminiscence. Comme la Madeleine de Proust. Un simple spot lumineux ou une musique dans un lieu pourtant inconnu peut ainsi « allumer » votre familiarité et vous donner l’impression d’y être déjà venu une fois. C’est presque toujours imperceptible, de l’ordre de la milliseconde, et donc impossible à observer cliniquement chez les patients qui en souffrent.

- Quand le déjà-vu peut-il devenir un problème ?

Le déjà-vu est normal, sauf quand il est associé à des pathologies. Certains patients atteints de troubles psychologiques, de perception et de mémoire notamment, ont un système de contrôle défaillant. Ne sachant pas vérifier la plausibilité de la situation, ils sont persuadés qu’ils connaissent vraiment la femme en robe rouge. Ils vont adhérer au déjà-vu, sans réussir à se corriger. Cela peut être extrêmement dangereux, causer des accidents. D’autres patients atteints d’épilepsie vivent des déjà-vus durant leurs crises, car ils subissent des décharges épileptiques dans des régions de la mémoire, ce qui conduit à exciter les neurones de la familiarité. C’est d’ailleurs toujours la même scène de déjà-vu qui s’impose à eux (par exemple toujours le même oiseau qui chante sur une branche), alors qu’en temps normal, un déjà-vu ne ressemble jamais à un autre.

- Si je suis souvent pris par ce sentiment de déjà-vu, cela signifie-t-il que ma mémoire fonctionne mieux ou moins bien que celle des autres ?

Ni l’un ni l’autre ! Le déjà-vu est un bref moment où, parmi la quantité astronomique d’informations que le cerveau enregistre dans la journée (la plupart du temps à l’insu de notre plein gré), on a perçu ou mémorisé un élément de travers. Mais cela n’a rien à voir avec la capacité de bien ou mal mémoriser. Au mieux, cela montre que votre mémoire et votre système cognitif fonctionnent.