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Travail : comment (re)trouver du sens ?

Démissions silencieuses, bullshit jobs, désirs de reconversion... Alors que le rapport au travail est en train de changer, comment les salariés peuvent-ils retrouver un peu de sens dans leur profession, et quel est le rôle des entreprises dans cette optique ? Voici quelques conseils de psys et de responsables des ressources humaines à l’attention des employés... et de la hiérarchie.

Travail : comment (re)trouver du sens ? Nuthawut Somsuk / istock

  • Publié le 09.02.2023 à 12h00
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« Cela fait presque trois ans que je fais officiellement en cinq jours ce que je pourrais faire en deux, admet Nicolas*, âgé d’une trentaine d’années. Je suis chef de projet informatique dans une société de e-commerce, je travaille seul, je rends régulièrement des rapports concernant mon avancée, mais c’est tout. J’en fais le moins possible et c’est très bien comme ça. De toute façon, mon job n’a aucun sens. » Un « bullshit job » (métier à la c..), comme le qualifiait déjà l’anthropologue américain David Graeber en 2013, qui l’a donc mené à cette "démission silencieuse", c’est-à-dire à se désengager de son travail dans l’entreprise, à faire « ce pour quoi [il est] payé et rien de plus ». C’est le premier confinement en 2020 qui a « convaincu » Nicolas* de passer le cap : « J’ai automatisé la plupart de mes tâches avec un logiciel, je n’avais plus qu’à vérifier à la fin de la journée. A quoi bon y passer plus de temps si je n’y trouve aucun intérêt ? Et pourquoi produire plus si mon N+1 est satisfait ? » D’après la psychologue du travail Lucie Offrant, « la démission silencieuse, qui rappelons-le existait avant le Covid, est d’abord un mécanisme de défense. Face à une situation de souffrance au travail devant laquelle il n’a aucune marge de manœuvre ou de négociation, le salarié se désinvestit de son travail pour préserver sa santé. »

Sans forcément aller jusqu’à cette désertion discrète, nombreux sont les salariés qui disent éprouver une baisse de motivation dans leur travail, en particulier depuis que la crise sanitaire a rendu visible le phénomène. « La pandémie et le télétravail contraint pour de nombreux métiers ont réintroduit des questions sur la place que chacun accorde à son travail, sur le sens même du travail dans nos vies », confirme Lucie Offrant, qui intervient auprès de particuliers mais aussi de représentants du personnel. Comment envisage-t-on son travail au quotidien et dans l’absolu ? Dans quelle mesure fait-il partie de notre identité ? Quelle est son utilité sociale ? » Chamboulés par ces questionnements, certains salariés craquent et claquent la porte, d’autres se reconvertissent s’ils le peuvent – selon une étude YouGov réalisée pour le site Meteojob, 70% des salariés âgés de 25 à 34 ans ont envie de changer de travail en 2023. D’autres encore, contraints de rester en poste, sont d’abord en quête d’un peu plus de sens dans leur labeur quotidien. A l’heure d’un bras de fer social sur les retraites, qui ouvre de nombreux débats sur la pénibilité ou la raison d’être du travail, il semble urgent de s’interroger sur le sens qu’on lui accorde. Et de proposer quelques solutions pour en (re)trouver... sans forcément tout plaquer.

Du sens, mais quel sens ?

Dans son livre Le brown-out : quand le travail n’a plus aucun sens (2017, éd. Josette Lyon), le docteur François Baumann décrit un nouveau phénomène : « Directement issu du burn-out (épuisement professionnel) et du bore-out (ennui), le brown-out se traduit littéralement par une baisse de courant. Il exprime la douleur et le malaise ressentis suite à la perte de sens de ses objectifs de travail et à l’incompréhension complète de son rôle dans la structure de l’entreprise. » D’après la psychologue Lucie Offrant, les salariés qui la consultent se plaignent en effet « des demandes de la hiérarchie qui manquent de cohérence, mais aussi des formes d’organisations ou des modes de management délétères qui font obstacle à leurs missions : un jour on leur demande faire A, le lendemain de faire B, puis on redemande de faire A... » C’est aussi sur leur propre utilité que les salariés s’interrogent : quelle est la raison d’être de leur poste mais aussi celle de leur entreprise ? « Ils ont l’impression de devoir toujours faire plus (de productivité et de rentabilité) avec moins (de moyens). En particulier dans les secteurs où il y a une forte valeur d’utilité publique, comme le médico-social, l’éducation ou le monde associatif. »

Le sens n’est pas l’apanage des métiers altruistes ou artistiques, rappelle la psychologue : « On peut trouver du sens dans son travail en tant que comptable ou manager, dans le tertiaire ou à l’usine qui, avec un poste manquant, ne peut pas bien fonctionner. On peut même choisir d’avoir un travail alimentaire, et trouver son bonheur ailleurs, en s’occupant de sa famille ou en voyageant. Le travail prend alors un sens purement financier... ce qui peut avoir beaucoup de sens pour soi ! » Rappelons que, selon une enquête Ifop de mars 2022, les Français voient davantage le travail comme « une contrainte nécessaire pour subvenir à ses besoins » (56%) que comme « un moyen pour s’épanouir dans la vie » (44%). La définition même du "sens au travail" diffère en fonction des salariés, d’après une étude du cabinet d’audit Deloitte de 2017 : le sens peut évoquer aussi bien le « respect des valeurs » et « l’utilité du travail » que « la compréhension des missions » ou encore « l’accession à l’information ». Preuve que la dimension sociale de l’entreprise n’a pas disparu, la coopération et le travail d'équipe constituent même le troisième critère de sens au travail pour les employés. Il suffit parfois d’un simple afterwork ou d’un projet fédérateur avec les collègues pour se sentir mieux dans son job !

« Tout le monde cherche du sens dans ce qu’il fait au quotidien. Mais le sens, c’est d’abord d’être en accord avec soi-même, de trouver ce qui compte à ses yeux, résume Lucie Offrant. La première question à se poser est donc : qu’attend-on de son travail ? Quelles valeurs essentielles veut-on servir ? A quoi aspire-t-on vraiment ? » Y répondre, c’est le premier pas pour retrouver un peu de sens, ou du moins constater ce qui n’en fait pas. Et ainsi pouvoir changer ce que l’on veut et peut changer, par exemple en réclamant de nouvelles missions à son patron, en modifiant son organisation de travail ou encore en développant ses compétences grâce à des formations.

Flexibilité, dialogue et "care"

Cette nouvelle quête de sens tous azimuts, les managers eux-mêmes doivent s’y adapter de manière concrète. « Après le salaire et les avantages, qui restent la priorité quoi qu’on en dise, les candidats et les salariés exigent une plus grande flexibilité dans l’organisation du travail », assure Audrey Richard, présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Une flexibilité qui passe surtout par le télétravail et l’assouplissement des horaires, d’après la psychologue Lucie Offrant : « S’il est choisi par le salarié, le télétravail est une solution qui permet de concilier vie professionnelle et vie privée, et d’économiser sur les temps de transports, tout en ayant des jours de travail en équipe pour renforcer la cohésion du groupe. » Dans cette optique, en France, 5% des entreprises, comme le fournisseur d'électricité Elmy, ont même opté pour la semaine de quatre jours sans baisse de salaire et, selon un sondage Robert Half de juin 2022, plus d’un tiers des employeurs envisagent de l’expérimenter dès cette année. Un vrai gage de liberté pour les employés – mais aussi de responsabilité, car le travail qui était abattu en cinq jours doit désormais l’être en quatre, quoi qu’il arrive.

Au-delà de la flexibilité, ajoute la DRH Audrey Richard, « les salariés demandent également une gestion managériale différente, basée sur le collaboratif et la culture du feedback, avec l’envie d’évoluer dans des espaces de travail adaptés à ce type de gestion ». Sans oublier, bien sûr, « la question de l’éthique et des valeurs comme la transition environnementale ou l’inclusion qui prennent de plus en plus d’importance » quand il s’agit de choisir son futur employeur. Ce qui importe finalement, souligne la responsable RH, c’est « la façon dont l’entreprise traite et s’occupe de ses salariés et candidats : ce qu’on appelle le "care" ». Il est donc essentiel de « toujours répondre aux candidatures, d’expliquer précisément les attentes de l’entreprise lors du recrutement, de préciser les avantages matériels qu’elle offre, ou encore de bien assurer l’intégration du salarié tout au long du parcours professionnel (rappel des droits sociaux, présentation aux équipes, badges, carte de cantine...). » Bref, il faut « susciter l’envie de s’investir dans la société », afin de « donner plus de sens » au travail des employés.

Après les avoir recrutés, c’est notamment par le « dialogue » que les entreprises peuvent espérer « maintenir l’engagement » des salariés, estime Philippe Nagel, président de HR4Tomorrow, une association de DRH de filiales françaises de groupes étrangers. « Faire participer les employés au processus décisionnel, les informer clairement des nouveaux objectifs et missions, et ainsi partager une vision collective de ce que doit être l’entreprise... Tout cela permet de conforter la raison d’être de chacun au sein du groupe : comment son travail individuel participe-t-il à un résultat collectif ? » Pour construire un vrai dialogue susceptible de redonner du sens, le manager doit aussi être dans « une sorte de bienveillance à l’égard des employés, de façon à ce qu'ils se sentent capables d’exprimer librement leurs difficultés passagères ou leur manque d’investissement professionnel sans craindre les remontrances ou les sanctions », estime le DRH, plaidant pour un « décloisonnement entre le monde du travail et le monde privé » afin qu’ils puissent mieux « coexister ». Face à un salarié qui se désinvestit, « mieux vaut solliciter un entretien individuel et tenter de comprendre sa situation plutôt qu’opter pour une solution disciplinaire », confirme Lucie Offrant, pointant du doigt l’importance de la « formation managériale sur les questions de santé au travail ». « Un dialogue libre et ouvert, conclut la spécialiste, c’est une mesure de prévention qui permet de motiver les salariés à rester engagés dans leur travail. » Et à ne pas démissionner en silence...

*Le prénom a été modifié
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