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Interview de la semaine

Maladie de Lyme : "Les symptômes persistants, ce n'est pas du tout psychologique !"

Par Thierry Borsa

Le retour des beaux jours s'accompagne de la reprise des promenades en forêt, l'habitat privilégié des tiques, responsables de la maladie de Lyme. Avec le Dr Alice Raffetin, responsable du centre Lyme du centre hospitalier de Villeneuve Saint-Georges, on fait le point sur cette maladie qui conserve une part de mystère.

iStock/Jens Rother

- Pourquoi Docteur : Qu’est-ce qui provoque la maladie de Lyme ?

Dr Alice Raffetin : La maladie de Lyme est due à une bactérie qui s’appelle borrelia et qui est transmise par une tique, un petit acarien qui vit dans la nature, plutôt dans les sous-bois où il ne fait ni trop chaud ni trop froid et où règne une certaine humidité. C’est donc une maladie vectorielle qui se transmet à l’être humain. Le pic d’activité de la tique, c’est surtout au printemps et à l’automne mais avec les hivers beaucoup plus doux que nous connaissons, l’exposition aux tiques peut aussi arriver durant cette saison.

Lorsque l’on se promène en forêt en dehors des sentiers, à toutes les saisons, il faut se protéger contre les piqûres de tiques. La meilleure façon de ne pas attraper la maladie de Lyme, c’est de ne pas se faire piquer !

- Que faire lorsque l’on se fait piquer par une tique ?

Quand on se fait piquer, tout le monde est à même d’enlever une tique tout seul. Il faut avoir un tire-tique, un petit instrument vendu en pharmacie qui ressemble à un pied de biche que l’on va glisser entre la peau et la tique et en tournant délicatement, la tête de la tique va se dévisser toute seule. Il ne faut pas tirer directement sur la tique parce qu’il y a un rostre et en tirant dessus on risque de laisser le petit éperon qui a pénétré dans la peau.

Si l’on ne parvient pas à enlever la tique, il faut consulter. Les généralistes et les pharmaciens savent le faire.

- Comment se manifeste la maladie de Lyme ?

La maladie évolue en trois stades. Le premier stade qui survient dans les quatre semaines qui suivent la piqûre, c’est une lésion qui est caractéristique et qui s’appelle l’érythème migrant.

- A quoi ressemble cette lésion ?

Elle est centrée sur le point de la piqûre de tique et c’est une lésion circulaire qui va s’étendre vers l’extérieur, cela peut faire jusqu’à trente centimètres de diamètre, et surtout c’est indolore. C’est pour cela qu’il faut absolument inspecter la peau au niveau de la piqûre parce que cela peut passer inaperçu surtout si c’est dans le dos ou le cuir chevelu.

Il faut bien regarder lorsque l’on est allé dans un lieu à risque de piqûre de tique, piqûre qui est elle aussi indolore. Si l’on repère une piqûre de tique, on l’enlève, on désinfecte et on vérifie dans les jours qui suivent l’apparition de ce fameux érythème migrant.

- Pourquoi c’est important de suivre l’évolution de la piqûre ?

S’il est important de diagnostiquer cet érythème le plus précocement, c’est parce que près de 80% des formes de Lyme sont des érythèmes migrants et cette forme n’est pas grave : il suffit de donner une à deux semaines d’antibiotiques et l’on guérit rapidement et sans séquelles. Cela permet d’éviter les autres stades plus difficiles à soigner.

- Quels sont ces stades ?

Les deux autres stades – en fait ce sont les mêmes sauf que le deuxième stade se déclare dans les six mois après la piqûre et le troisième après six mois- il y a la forme disséminée où la bactérie touche les articulations ou le système neurologique. Pour les articulations, cela concerne surtout le genou, cela provoque des gonflements et au niveau neurologique, la forme la plus fréquente est une paralysie faciale avec une partie du visage qui a tendance à s’affaisser.

Pour des phases-là, il faut vraiment consulter pour éviter les symptômes post-infectieux. Mais même si on peut mettre du temps à se remettre d’une atteinte disséminée, au bout de deux ou trois ans, 95% des patients sont complètement guéris.

- Quels sont les traitements pour ces stades de la maladie ?

Le traitement passe là aussi par des antibiotiques mais avec des prescriptions plus longues afin de s’assurer que la bactérie sera bien détruite dans des compartiments plus difficiles d’accès pour une molécule. Et souvent ces antibiotiques sont prescrits en intraveineuse pour les formes articulaires ou neurologiques un peu compliquées.

- Dans la maladie de Lyme, beaucoup de patients connaissent des troubles durables. A quoi cela est-il dû ?

La définition du symptôme persistant post-traitement, c’est lorsque des symptômes vont perdurer plus de six mois après la fin du traitement. Et ce qui va durer longtemps, ce sont tous ces symptômes que le médecin ne peut pas voir mais que le patient va ressentir et ce sont des douleurs réelles, ce n’est pas du tout psychologique ! Cela peut toucher toutes les articulations, avec des fatigues intenses, parfois des fourmillements au niveau des mains ou des pieds. A peu près 10% des personnes qui ont une maladie de Lyme disséminée auront des symptômes persistants.

- D'où cela vient-il ?

Ce que l’on sait c’est que ce n’est pas la bactérie qui cause cela. La bactérie, elle a été éliminée par le traitement antibiotique. Mais lorsqu’elle arrive dans le corps, cette bactérie dé-régule la réponse immunitaire et active cette réponse de manière très intense en provoquant des cascades inflammatoires importantes. C’est comme si le corps n’avait pas compris que la bactérie était partie et qu’il se trouvait encore en alerte maximale.

Il y a alors des molécules inflammatoires qui sont secrètées de façon anormale et qui sont responsables de douleurs. C’est un phénomène que l’on voit dans d’autres maladies, notamment dans d’autres syndromes post-infectieux.

- Quelle est la prise en charge pour ces symptômes persistants ?

Ce qui serait formidable ce serait d’avoir une molécule anti-inflammatoire qui permette de casser directement ces cascades inflammatoires anormales ! Mais sur ce point, on n’en est qu’au stade de la recherche.

En revanche, ce que l’on sait, c’est que l’on secrète naturellement un anti-inflammatoire très puissant qui sont les endorphines. Donc tout l’objectif va être de remettre au sport les gens, ce qui peut sembler simple mais est en fait très compliqué avec des patients qui ont mal partout ! Mais une activité physique sur ordonnance, donc encadrée par un médecin, permet en fait d’éviter la chronicisation de la douleur. On peut aussi suivre des séances avec un kinésithérapeute.

- Oui, mais cette activité physique prescrite, elle est souvent difficile à concilier soit avec les effets de la maladie, soit avec les contraintes de la vie quotidienne…

Aujourd’hui il y a un programme qui s’appelle Sport Santé où toute personne prise en charge à 100% peut bénéficier d’une réadaptation sportive avec des éducateurs spécialisés dans des salles de sport prise en charge par l’Assurance Maladie.

- Et là on touche un sujet qui fait débat à propos de la maladie de Lyme qui n’est pas reconnue comme une affection de longue durée et donc pas couverte à 100% par l’Assurance Maladie. Pour quelles raisons Lyme, en cas de symptômes persistants, n’est pas toujours considérée comme une ALD ?

Elle n’est pas systématiquement reconnue comme une longue maladie parce qu’il n’y a pas de définition précise aujourd’hui de ce qu’est un symptôme post-infectieux, que l’on n’a pas encore compris d’un point de vue scientifique la physiopathologie, c’est-à-dire comment cela fonctionne et pourquoi des gens en font et d’autres n’en font pas, pourquoi certaines maladies infectieuses comme Lyme ou la Covid vont générer ces symptômes et pourquoi d’autres ne font pas du tout cela.

Toutefois, le médecin-conseil peut décider d'accorder le statut d'ALD pour les patients atteints de Lyme au titre de l'ALD 31 ou hors-liste.

- Dans le cas de symptômes persistants, y a-t-il un espoir de guérison et dans quels délais ?

Ces patients guérissent tous, le pronostic est toujours très favorable, mais les patients passent dans un tunnel durant des mois ou des années et quand on ne peut plus travailler, ne plus avoir des activités quotidiennes, que tout a une répercussion majeure au quotidien, c’est insupportable. Mais si on sait qu’il y a de la lumière au bout du tunnel et que l’on peut être pris en charge pour la rééducation, éventuellement un soutien psychologique, on aura gagné. Mais il va falloir attendre un peu que la recherche progresse et le temps de la recherche n’est pas le temps de l’urgence…

- A part l’activité physique prescrite, avec les limites évoquées plus haut, quels autres traitements existent pour les patients atteints de la forme persistante de Lyme ?

Les anti-inflammatoires fonctionnent assez bien, il y a aussi les corticoïdes au niveau articulaire. Nous avons aussi d’assez bons retours sur ce que l’on appelle les thérapies brèves comme l’autohypnothérapie qui peut être pratiquée par les patients chez eux au moment des pics douloureux

- Avec des symptômes comparables à ceux d'un Lyme persistant, beaucoup de patients semblent être confrontés à une errance diagnostique. Vous le confirmez ?

Ce qui se passe réellement en ville, je ne peux pas vous dire. Dans les cinq centres de référence créés pour cette maladie, on ne voit que des patients qui sont adressés par leur médecin traitant. C’est là que l’on voit la plupart des personnes qui rencontrent des difficultés de suivi et cela a sans doute permis de réduire l’errance de patients. Mais il est vrai que parmi toutes les personnes que l’on reçoit avec une suspicion de Lyme persistant, au final il n’y en a pas beaucoup dont l’état est lié à une infection par la borréliose.

- Une suspicion de Lyme peut-elle cacher d’autres maladies ?

Lorsque l’on souffre de douleurs articulaires, de maux de tête, c’est toute la médecine qui est concernée. Tout l’enjeu va être de pouvoir donner le bon diagnostic avec le bon traitement ou en tout cas le bon parcours de soins. Et dans tous les patients que l’on voit, il y en a 15% qui ont un Lyme actif et que l’on va traiter avec des antibiotiques.

Souvent ce sont des Lyme disséminées qui n’ont pas été traités en ville et c’est pour cela qu’on nous les adresse parce qu’il faut notre expertise.

Mais il y a aussi des cas où ce sont potentiellement des Lyme mais qui ne cochent pas toutes les casses connues et dans ce cas le doute doit bénéficier au patient et on préfère lui faire administrer des antibiotiques à l’hôpital et s’assurer de son suivi.

Mais 60 % des personnes que nous voyons relèvent de diagnostics différents de Lyme comme des maladie inflammatoires, rhumatologiques, neurologiques.