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Avant l’âge de 6 ans

Grandir dans la pauvreté nuit au développement du cerveau

Par Afsané Sabouhi

Moins de matières grise et blanche, un hippocampe et une amygdale plus petite, le cerveau des enfants ayant grandi dans la pauvreté en garde des séquelles durables.

F.LEPAGE/SIPA

8,7 millions de Français vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 977 euros par mois, selon les derniers chiffres de l’Insee parus en septembre. Leurs difficultés économiques et sociales ont un retentissement direct sur leurs enfants. Une étude publiée ce mardi dans la revue JAMA Pediatrics fait le lien entre une enfance défavorisée et des troubles du développement cérébral.
Sur un groupe de 145 enfants scolarisés de 6 à 12 ans, cette équipe de chercheurs de St Louis a observé grâce à l’IRM que les enfants des familles les plus pauvres avaient un cerveau moins développé que la moyenne, avec moins de matière grise et de matière blanche. Le volume de deux structures essentielles du cerveau, l’amygdale, qui assure le décodage des émotions et l’hippocampe, très impliqué dans la mémoire et l’apprentissage, étaient également réduits chez les enfants ayant grandi dans la pauvreté.

« La difficulté c’est ce qu’on met derrière le mot pauvreté, explique le Pr Antoine Guédeney, pédopsychiatre à l’hôpital Bichat à Paris. Est-ce qu’on parle de la précarité alimentaire et nutritionnelle, de l’exposition accrue à des substances toxiques, ou d’attitudes parentales hostiles ? On observe depuis longtemps que grandir dans un milieu défavorisé agit comme une accumulation de facteurs de risque sur le développement des enfants sans pouvoir conclure à l’existence d’un lien de cause à effet ». Ce qu’apporte cette étude, ce n’est donc pas le lien de causalité, mais la localisation des zones du cerveau touchées et le rôle négatif joué par le manque d’implication éducative, l’hostilité des parents et le fait de vivre enfant des évènements stressants.

 

Un plaidoyer pour des actions ciblées de prévention précoce

Pour les auteurs de l’étude, constater des séquelles visibles sur le cerveau d’enfants si jeunes doit inciter à mener des actions de prévention précoce en direction des familles défavorisées. C’est ce qu’a fait l’équipe d’Antoine Guédeney entre 2006 et 2011, dans le cadre du projet CAPEDP qui proposait à des familles défavorisées de la région parisienne la visite régulière à domicile d’un psychologue entre le dernier trimestre de grossesse et les 2 ans de l’enfant.

Le fait de cibler les actions de prévention sur ces familles vulnérables a été beaucoup critiqué, comme si les chercheurs partaient du principe que des parents pauvres ne sauraient pas éduquer leurs enfants. « Ce n’est pas vrai, insiste le pédopsychiatre, mais on sait qu’au delà de 3 facteurs de risque indépendants, le QI de l’enfant est durablement affecté, sans que ses capacités de résilience ne lui permettent de tout compenser. Or grandir dans la pauvreté, c’est être exposé au stress, aux difficultés économiques, c’est souvent avoir des parents jeunes, de faible niveau d’études, eux-mêmes sujets aux troubles psy et aux addictions, c’est donc une accumulation de bien plus de 3 facteurs de risque ».

La désorganisation de l'attachement source de psychopathologies

Ce type de troubles du développement cérébral et de retard émotionnel peut également s’observer dans les familles à l’abri des difficultés financières. Ce qui est source de pathologie pour l’enfant, c’est la désorganisation de l’attachement, c’est-à-dire des liens qui s’établissent entre le nourrisson et ses parents pour réguler son stress et son sentiment de sécurité. On parle d'attachement désorganisé quand l'enfant recherche le réconfort auprès de son parent tout en ayant peur de lui. « C’est le cas face à des parents maltraitants, absents, abdiquants ou émotionnellement violents, en dehors de toutes difficultés économiques », explique Antoine Guédeney.

Mais les facteurs liés à la précarité économique pèsent lourds. « Une méta-analyse canadienne a récemment montré que l’accumulation de 5 facteurs de risque psychosociaux relativement répandus (âge maternel très jeune, membre d’une minorité, faible niveau d’étude, addiction et faible niveau économique) avait un impact de désorganisation sur l’attachement moitié aussi important que le fait de battre ou d’abuser de son enfant », souligne le pédopsychiatre. L’argument des ces spécialistes à travers ces différentes études n’est donc pas de stigmatiser les parents pauvres mais de démontrer que puisque leurs difficultés économiques et sociales peuvent porter à ce point atteinte à la relation parents-enfant et à son développement cognitif futur, elles justifient qu’une aide à la parentalité leur soit proposée le plus tôt possible, idéalement dès la grossesse.
« Cette exposition à l'adversité dès la petite enfance devrait être considérée comme aussi toxique que l'exposition au plomb, à l'alcool ou à la cocaine, écrit le pédiatre et chercheur en neurosciences à Harvard Charles Nelson, dans l'éditorial qui accompagne l'article du Jama Pediatrics. De ce fait, elle mérite une attention similaire de la part des autorités de santé publique ».