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Après la mort de dix soldats français en Afghanistan

L'armée tire les leçons de son dispositif sanitaire

Par Cécile Coumau

Les régiments français comptent quatre fois plus de médecins dans leurs rangs que les autres pays de l'Otan. Pourtant, le 18 août, la section prise en embuscade a attendu les secours pendant plus de trois heures. 

« Ils nous ont laissé là-bas pendant des heures », témoigne un rescapé. Là-bas, c'est dans la vallée d'Uzbin, en Afghanistan, où dix soldats français ont trouvé la mort le 18 août dernier. Tout a commencé vers 13 h 30, quand la trentaine de soldats s'est retrouvée coincée entre deux murailles de montagnes pierreuses, sous le feu des insurgés. Or, les premiers blessés ne sont arrivés au groupement médico-chirurgical de Warehouse, situé à 50 km de là, qu'à 20 h 30. Que s'est-il passé pendant ces sept longues heures ? Y a-t-il eu un dysfonctionnement dans la chaîne de soins ?

 

Pour le Pr Philippe Juvin, anesthésiste-réanimateur qui a fait une mission de trois mois à Kaboul pour le service de santé des armées, il est légitime de s'interroger. « Quand un militaire est blessé au combat, le service de santé des armées dispose de moyens considérables pour la réanimation et le traitement. J'ai par exemple vu se pratiquer deux thoracotomies d'hémostase en même temps, déclarait-il à notre micro le 5 septembre dernier. Mais, encore faut-il avoir les moyens d'acheminer les blessés en temps et en heure à l'hôpital ? C'est une véritable question qui se pose actuellement. » Il n'est pas le seul à soulever le problème des transports. Pour Guy Tessier, député UMP et président de la commission de la Défense, le point faible, c'est sans doute le manque d'hélicoptères. La France ne dispose que de deux appareils en Afghanistan, pour 3000 hommes sur le terrain.


Sous le feu, les médecins sont impuissants

Le 18 août, « les premiers hélicoptères américains sont arrivés vers 17 h mais ils n'ont pas pu se poser car la situation n'était pas stabilisée. Et après, on ne les a plus revus, » explique le médecin en chef Edouard Albert, chef du bureau des opérations à la direction centrale du service de santé des armées. De son côté, le Dr Georges Hyver, chef santé des forces françaises en Afghanistan, reconnaît que si « les hélicoptères avaient pu évacuer les blessés plus tôt, nous aurions sans doute eu moins de morts ».

Il n'empêche. Dans le cas présent, si la France avait pu compter sur davantage d'hélicoptères, le sort de la section du 8e RPIMA n'aurait sans doute pas été très différent. « Sous le feu, on ne peut pas faire grand chose, rappelle le médecin en chef Hyver. Le blindage des hélicoptères n'est pas excellent ». Et quand les balles fusent, envoyer des médecins au front présente trop de risques. Le caporal chef Rodolphe Penon, brancardier de la section, a d'ailleurs trouvé la mort en portant secours à des soldats. Et du côté du service de santé des armées, la tragédie d'Uzbin ne remet pas en cause la stratégie sanitaire française, autrement dit la « médicalisation de l'avant ». Elle consiste à apporter des soins au plus près du front et à n'évacuer les blessés que quand ils sont stabilisés.

Dans beaucoup d'autres pays de l'OTAN, et notamment dans l'armée américaine, les soldats sont évacués au plus vite, sans médicalisation. Le système français, calqué sur le modèle civil du Samu, a manifestement fait ses preuves. En l'an 2000, un rapport du Sénat sur le service de santé des armées soulignait « la validité du concept français de soutien médical. Il donne des résultats exceptionnels. Aucun blessé pris en charge au niveau des antennes chirurgicales n'a succombé ».

Former le 1er maillon sanitaire

Là où le bât blesse, c'est que cette stratégie est coûteuse en hommes. Concrètement, l'armée française doit pouvoir compter sur un nombre important de médecins militaires pour assurer la « médicalisation de l'avant ». « Nous avons en moyenne quatre fois plus de médecins sur le terrain que les autres pays de l'OTAN. Dans un bataillon de 800 hommes, il y a quand même en moyenne cinq médecins ! », insiste le médecin en chef Edouard Albert. Pas facile de tenir de tels ratios alors que le service militaire fournissait près du quart des médecins au service de santé des armées. Certes, les opérations extérieures, comme celle de l'Afghanistan, sont prioritaires et les besoins en médecins formés à l'urgence sont assurés. Mais « la France est engagée dans un nombre d'opérations extérieures très important. Quand on voit le Tchad, le Liban, la Côte d'Ivoire, le Kosovo, est-ce qu'on pourra tenir partout ? », s'interroge le président de la commission de la Défense à l'Assemblée nationale.

En outre, des théâtres d'opération comme celui de l'Afghanistan ont montré la nécessité de «  renforcer le premier maillon de la chaîne sanitaire, indique le médecin en chef Albert. Nous allons faire des efforts pour mieux former les soldats au sauvetage de combat. » Quelques semaines avant l'embuscade meurtrière, cette faiblesse avait été pointée du doigt. Un rapport du lieutenant-colonel Benoît Desmeulles critiquait l'absence de certaines formations pour les hommes envoyés en Afghanistan. Et notamment celle de récupération de soldats portés disparus…