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Un milliard d'euros

La sécu vend nos données aux complémentaires

Par Cécile Coumau

Les mutuelles et les assureurs ont payé un milliard d'euros pour accéder aux données de santé de la Sécurité sociale. Un premier pas vers la privatisation de la santé, redoutent certains.

L'hypermarché des données de santé vient d'ouvrir ses portes. Les premiers clients trépignent déjà. Son nom, c'est le Sniiram (système national d'information interrégime de l'assurance maladie). L'arrêté autorisant les organismes complémentaires à accéder à cette base de données est paru le 28 octobre. Et c'est une vraie mine d'or. Dans un entrepôt d'Evreux, la Cnam stocke, depuis 2006, les données concernant les remboursements de 65 millions de personnes, soit l'ensemble des assurés et de leurs ayants droit, tous régimes confondus. Le Sniiram contient aussi les données sur les professionnels de santé et les établissements prescripteurs. On sait donc qui a prescrit quoi.


Bien évidemment, cet hypermarché n'est pas ouvert aux quatre vents. Pour se promener dans les rayons, les complémentaires ont d'abord dû passer à la caisse. En 2009, elles paieront en effet une taxe d'un milliard d'euros. Les députés viennent de voter, dans le cadrede la loi , l'augmentation de la taxe sur le chiffre d'affaires des complémentaires, qui passe de 2,5 % à 5,9 %. Ces données de première main sont donc loin d'être gratuites.


Sous l'oeil de la Cnil
Par ailleurs, le code de la route pour circuler avec son caddy est relativement strict. Tout d'abord, « la loi informatique et libertés stipule que les données ne santé ne peuvent être utilisées que si elles sont anonymisées et que si le consentement des personnes concernées a été recueilli, indique Sophie Vuillet-Tavernier, directrice des affaires juridiques de la Cnil (commission nationale informatique et libertés). Et il faut savoir que nous sommes un des pays à s'être doté d'un des corpus de règles les plus rigoureux. »

En outre, les clients de ce supermarché sont triés sur le volet. Concrètement, ce sont les membres de l'Institut des données de santé, c'est à dire l'Unocam qui représente les complémentaires, l'Union nationale des professionnels santé qui représente les libéraux, le Collectif interassociatif sur la santé, le porte-drapeau des usagers mais aussi les fédérations hospitalières. Autre restriction : ces heureux élus ne peuvent pas circuler dans tous les rayons. L'EPIBAM, autrement dit l'échantillon permanent interrégime de bénéficiaires de l'assurance-maladie qui abrite les données consommant la consommation médicale de 600 000 personnes sur 20 ans. Une exclusion qui laisse un goût amer aux complémentaires.

Autre filtre : celui de l'institut des données de santé. « Nos membres vont, par exemple, devoir nous soumettre leur programme d'étude, explique Richard Decottignies, directeur de l'IDS. Et s'ils ne respectent les règles du jeu que nous sommes en train de définir dans notre charte de déontologie, nous pourrons lancer des audits, et saisir notre comité d'experts qui est présidé par le Pr Didier Sicard ». 

Les contrôles existent bel et bien mais le système n'est pas pour autant parfait. Tout d'abord parce que « le consentement ne suffit pas à protéger les gens contre eux-mêmes, explique Sophie Vuillet-Tavernier. Mais aussi parce que nous manquons encore de produits d'anonymisation et de cryptage disponibles sur le marché. » Cependant, la plus grande crainte est ailleurs. « Nous redoutons que les complémentaires se servent de ces données pour mettre en place des tarifs en fonction du risque de chacun », relève Christian Saout, président du Collectif interassociatif sur la santé. La sélection des assurés en fonction du risque, c'est aussi ce que redoutent les syndicats. « C'est une façon d'aller vers la privatisation de notre système de santé », clame Danièle Karniewicz, de la CFE-CGC. Partager les données de santé avec les assureurs n'est pas non plus du goût des syndicats médicaux.


Des contrats plus ciblés

Loin de nous cette idée, répond en substance la Fédération française des sociétés d'assurance. « Nous voulons seulement ne plus être des payeurs aveugles », affirme la FFSA. « Nous ne voulons pas casser le système de mutualisation, surenchérit Michel Charton, directeur santé, services et innovation chez Axa. Les pouvoirs publics continuent et continueront de définir les règles. » En revanche, ces derniers ne se cachent pas de leur volonté d'aller vers plus d'individualisation.

Les appétits des assureurs complémentaires en la matière sont clairs. Les expérimentations dites « Babusiaux en sont l'illustration. Axa est un des pionniers en la matière. « Depuis un an, nous avons accès aux données de santé anonymes dans dix départements. Et les assurés bénéficient du remboursement d'un panier de médicaments non pris en charge par l'assurance-maladie, explique Michel Charton. A terme, ces informations doivent nous permettre de proposer des contrats plus ciblés qui rembourseraient plus ou moins certaines prestations en fonction du profil de l'assuré. »

Reste à savoir jusqu'où ira cette individualisation. Pour le moment, la question reste en suspend. « L'arrêté qui vient de paraître ne précise pas la nature des données transférées », regrette Christian Saout. Quant au PLFSS, il est étrangement muet sur la question. Et aucun bilan n'a pour le moment été tiré de ces expérimentations. Une seule certitude : le modèle américain, dans lequel les puissantes compagnies d'assurance disposent d'informations précises sur l'état de santé de leurs assurés, fait figure de repoussoir. Le candidat Barack Obama a lui même souffert de l'intrusion des assureurs dans sa vie privée. « Je n'oublierai jamais comment ma mère, morte d'un cancer à 53 ans, a passé les derniers mois de sa vie sur son lit d'hôpital. Elle s'est battue contre sa compagnie d'assurance, qui affirmait qu'elle souffrait d'un cancer avant d'être assurée, et ne voulait pas financer ses soins. »