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Neurologie

Trouver le bonheur dans ses gènes

Par Cécile Coumau

Les temps difficiles incitent les scientifiques à remonter la piste du bonheur. Notre capacité à la plénitude dépendrait, pour moitié, de l'inné et, pour l'autre, des relations familiales et sociales.

P + (5 x E) + (3 x H) = le bonheur. L'équation mathématique du bonheur a de moins en moins d'inconnues. Après avoir interrogé un millier de personnes, des psychologues britanniques ont même réussi à doser précisément les ingrédients du bonheur. Selon eux, il faut une dose de « P », autrement dit de caractéristiques personnelles, 5 de « E », entendez la santé, la capacité financière et l'amitié et 3 de « H », c'est-à-dire d'estime de soi, d'ambition et de sens de l'humour.

Si cette équation vous semble encore bien mystérieuse, voire loufoque, sachez tout de même que le bonheur fait bouillonner le cerveau de nombreux scientifiques. Des neurologues, des psychiatres, et autres sociologues ont tenté de mettre le bonheur dans leur éprouvette et de l'observer au microscope. L'un de ceux qui a plus fait avancer la recherche est le généticien David Lykken. Pour mesurer l'aptitude au bonheur de chacun d'entre nous, il a comparé l'état de bien-être de jumeaux monozygotes. Résultat : « Même si les vrais jumeaux ont grandi dans des milieux fort différents, le niveau de bien-être qu'ils éprouvent face à la vie est statistiquement le même », observe le professeur. Ces études ont permis à David Lykken d'affirmer qu'environ 50 % de notre bien-être serait inné, donc programmé dès notre naissance dans notre bagage génétique.


Cette part de bonheur qui ne dépend pas de nous s'analyse aussi dans le cerveau. Les scanners nous permettent en effet de suivre le bonheur à la trace. Concrètement, s'il y a sécrétion de dopamine, il s'agit d'un bonheur lié à l'accomplissement personnel. En revanche, des traces d'opioïde nous mettent sur la piste d'un bonheur relié aux sensations. L'exploration du cerveau révèle également le rôle central de la sérotonine. Ce neuromédiateur sécrété dans l'espace entre deux neurones régule en partie notre humeur. Nous en fabriquons naturellement lorsque nous mangeons des produits sucrés. Mais tous les humains ne sont pas égaux en la matière.
Comme le rappelle le neuropsychiatre Boris Cyrulnik dans son livre « De chair et d'âme » (éditions Odile Jacob), « certains individus ont des gènes qui synthétisent de longues protéines capables de véhiculer beaucoup de sérotonine, alors que d'autres sont de petits transporteurs. » Pour autant, les champions de la sérotonine n'ont pas forcément une longueur d'avance sur leurs congénères qui en sont peu dotés. Car, selon le Dr Cyrulnik, les gros transporteurs de cette protéine ont tendance à prendre des risques. Et à force de prendre des coups, ils sont plus sujets à des dépressions.


Le bonheur, c'est avec les autres

Tout ne se joue donc pas avant la naissance. Et le malheur n'est pas une maladie génétique. Environ 40 % du bonheur viendrait de nous et rien que de nous. Quels sont ces ingrédients à cultiver ? Là aussi, les chercheurs en sciences humaines nous éclairent. Tout d'abord, le bon vieil adage « L'argent ne fait pas le bonheur » se vérifie-t-il ? Non, si l'on en croit un très récent sondage CSA réalisé pour « Le Parisien ». A la question : « Quelles sont les choses que vous aimeriez avoir pour être plus heureux aujourd'hui ? », 52 % des Français répondent l'argent et 32 % la santé. Pourtant, l'indice de bien-être économique, un cocktail de plusieurs paramètres, n'a pas bougé en Grande-Bretagne au cours des 30 dernières années alors que le revenu des ménages a été multiplié par 2, 5.

L'impact des relations familiales et sociales sur notre humeur serait beaucoup plus net. Selon une étude québécoise, les membres de couples divorcés auraient quatre fois plus de risque de connaître un épisode dépressif que ceux vivant toujours en couple. De même, l'implication associative serait un bon anti-dépresseur. Le Dr Eric Galam, spécialiste du burn-out, déclarait récemment au micro de medecinews que « les médecins impliqués dans des associations ou dans des groupes Balint par exemple, sont protégés contre l'épuisement professionnel parce qu'ils croient encore en leur métier ».


Les événements extérieurs ne sont pas neutres non plus. Ils seraient responsables des 10 % restants de notre capital bonheur. Le climat politique du pays dans lequel nous vivons peut, par exemple, mettre nos nerfs à rude épreuve. Le niveau de couverture sociale joue aussi sa petite symphonie du bonheur.
Mais inutile de faire un putsch pour accéder à la béatitude. Pour booster son capital bonheur, la science délivre des conseils plus réalistes. La méditation, par exemple, serait un bon antidépresseur. C'est ce que démontre l'expérience menée par Richard Davidson, chef de laboratoire de neurologie affective à l'université du Wisconsin. Il prétend visualiser par imagerie médicale ce qui se passe dans le cerveau lorsqu'on est heureux. Sur la centaine de personnes ayant participé à son étude, c'est Matthieu Ricard, bras droit du Dalaï Lama, qui obtient les meilleures notes. Et décroche en quelque sorte le titre très convoité d'homme le plus heureux du monde.


Les gens heureux sont contagieux

Pour les rétifs à la méditation, il existe d'autres « trucs », tel que passer par la case malheur. Cette thèse, développée par le Dr Cyrulnik, suppose évidemment d'être capable de surmonter ce malheur. Celui qui aura fait  preuve de résilience sera ensuite mieux armé pour s'ouvrir aux autres.  Or, le fait est admis par le plus grand nombre : les relations humaines sont la clé de la félicité. Dernière astuce : côtoyer des gens heureux. Selon une étude récemment publiée dans le BMJ, le bonheur serait contagieux.
« Le bonheur, c'est comme une onde de choc », a déclaré le Pr Nicholas Christakis, professeur en sociologie à l'université de Harvard. Il se propage sur trois cycles, allant jusqu'aux amis des amis et la « contamination peut durer un an ». Selon les auteurs de l'étude, chaque ami heureux augmente de 9 % votre probabilité d'être heureux et avoir des amis ronchons vous fait chuter votre capital de 7 %.

L'ultime « porte-bonheur » s'appelle parfois le médecin. « Les patients font de plus en plus pression sur nous pour que nous leur apportions le bonheur, témoigne le Dr Henri Rubinstein, neurologue et auteur de « La médecine du bonheur » (1). Mais, ce n'est pas notre rôle. Le bonheur est en chacun de nous ».