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Trouble du comportement alimentaire

Anorexie mentale : comment l’effet « récompense » de l’effort physique aggrave la maladie

Par Charlotte Arce

Une nouvelle étude de l’Inserm montre que chez certaines jeunes filles souffrant d’anorexie mentale, la maladie est davantage centrée sur le plaisir de maigrir en pratiquant une activité physique que sur la peur de prendre du poids.

PORNCHAI SODA/iStock
L’effort physique génère des émotions positives chez les patientes atteintes d'anorexie mentale, alors même que la maladie entraîne une diminution des capacités physiques.
Pour les chercheurs, qui ont suivi des patientes anorexiques ainsi que des membres de leur famille, il existe un "effet récompense" à l'effort physique : il génère des émotions positives chez les patientes.
Cet effet récompense est non seulement constaté chez les jeunes femmes souffrant d'anorexie, mais aussi chez des membres de leur famille (notamment leurs mère et soeurs), ce qui suggère une héritabilité de la maladie.

Touchant entre 1 et 2 % de femmes et entre 0,2 et 0,4 % des hommes, l’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire qui se caractérise par une perte dangereuse du poids, souvent de l’ordre de 15 % ou plus du poids initial.

Chez les jeunes femmes souffrant d’anorexie mentale, cette forte perte de poids est souvent accompagnée d’une grande fatigue et d’une diminution des capacités physiques. Pourtant, nombreuses sont celles à continuer de pratiquer une activité physique, de manière parfois intense, ce qui contribue davantage à leur amaigrissement. Dans une étude publiée dans l’International Journal of Eating Disorders, des chercheurs de l’Inserm et de Université de Paris à l’Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris et au GHU Paris psychiatrie & neurosciences montrent que l’effort physique génère des émotions positives chez les patientes mais aussi - de manière plus étonnante -, chez des membres de leur famille qui ne souffraient pas d’anorexie. Selon les chercheurs, cet effet récompense par l’effort physique constituerait un aspect important de l’anorexie mentale, et serait génétiquement influencée.

Un effet "récompense" de l’effort physique

"Nous savons que l’anorexie mentale s’organise sur un cercle vicieux, où ce qui me fait maigrir est tellement gratifiant dans ce que j’en ressens, que je peux passer outre les dangers que j’arrive pourtant à comprendre. Cette anomalie du processus décisionnel est clairement en lien avec l’effet récompense (le cerveau renvoie des messages valorisant le maintien du trouble). Mais il est compliqué de comprendre comment un manque (la carence alimentaire) peut être en soi un 'renforçateur'. C’est pourquoi nous nous sommes plutôt penchés sur l’autre versant de la perte de poids, l’activité physique", explique Philip Gorwood, de l’Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris.

En partant du postulat que le plaisir de maigrir serait un aspect génétiquement influencé de l’anorexie mentale (plus que la peur de grossir), les chercheurs ont mis en place un protocole original : ils ont suivi non seulement 88 patientes souffrant d’anorexie mentale, mais également 30 de leurs proches non malades. Par ailleurs, 89 individus "contrôles" sains ont été recrutés dans cette étude. Tous ont été invités à pratiquer un exercice physique standardisé puis à répondre à des questionnaires portant notamment sur leurs émotions après l’effort et sur la perception de leur image corporelle.

Les résultats montrent que les patientes anorexiques rapportent plus d’émotions positives que les contrôles. "Le fait de faire du sport leur envoie un message de renforcement positif qui fait que les patientes poursuivent cette activité en dépit de leur fatigue ou de leur faiblesse. La dépense calorique associée à cette activité physique est un facteur déterminant qui conduit à poursuivre cet effort", détaille Philip Gorwood.

Fait intéressant, si cet effet récompense n’était pas présent chez les contrôles, il l’était en revanche chez les proches des patientes, ce qui suggère que ce trait est partagé au sein de la famille des personnes atteintes d’anorexie.

Pour les chercheurs, ces résultats ont des conséquences sur la prise en charge des patientes souffrant d’anorexie mentale. Ils estiment en effet qu’il faut travailler avec les patientes pour leur réapprendre à découvrir l’effort physique plaisir (donc modéré) et donc de désapprendre l’effort physique addictif, probablement associé à une finalité de perte de poids. Cet aspect de la prise en charge était déjà considéré comme important par des équipes spécialisées, mais l’étude permet d’apporter des arguments scientifiques concrets pour poursuivre dans cette voie, légitimer cette pratique de soin et en généraliser l’utilisation.