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Antibiorésistance : des virus modifiés pour combattre les bactéries résistantes ?

Par Raphaëlle de Tappie

Des scientifiques ont réussi à programmer rapidement des virus naturels pour tuer deux souches d'E.Coli. Cette découverte représente une avancée majeure dans la recherche contre l'antibiorésistance. 

Dr_Microbe/iStock

Ces dernières années, l’antibiorésistance est devenue un véritable enjeu de santé publique. En 2014, dans un rapport de surveillance effectué sur 114 pays, l’OMS a dressé un constat alarmant : des infections bénignes pourraient tuer à nouveau faute d'antibiotiques efficaces. De nombreux scientifiques travaillent donc depuis plusieurs années sur le sujet, essayant notamment de déployer des virus naturels du nom de bactériophages pour infecter et tuer les bactéries.

Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration a approuvé quelques bactériophages pour tuer les bactéries nocives dans les aliments, mais ils n'ont pas été largement utilisés pour traiter les infections car trouver des bactériophages naturels qui ciblent le bon type de bactéries peut être un processus difficile et long. Dans une étude parue le 3 octobre dans la revue Cell, des chercheurs annoncent toutefois avoir réussi à programmer rapidement des bactériophages pour tuer deux souches d’E.coli grâce des mutations dans une protéine virale se liant aux cellules hôtes.

"Comme nous le constatons de plus en plus dans l'actualité, la résistance bactérienne continue d'évoluer et devient de plus en plus problématique pour la santé publique (…). Les (bactério)phages représentent une façon très différente de tuer les bactéries que les antibiotiques, qui est complémentaire aux antibiotiques, plutôt que d'essayer de les remplacer", explique Timothy Lu, professeur agrégé du MIT en génie électrique et informatique et en génie biologique, en préambule de l’étude. 

Des "échafaudages" viraux

Pour faciliter la mise au point de ces traitements, le laboratoire de Lu a donc travaillé sur des "échafaudages" viraux pouvant être facilement réutilisés pour cibler différentes souches bactériennes ou différents mécanismes de résistance.

En 2015, les chercheurs ont utilisé un phage de la famille T7 qui tue naturellement E.coli et ont montré qu’ils pouvaient le programmer pour cibler d’autres bactéries en échangeant différents gènes des fibres caudales, que les bactériophages utilisent pour s'accrocher aux récepteurs à la surface des cellules hôtes. Ils ont ensuite voulu trouver un moyen d’accélérer le processus d’adaptation des phages à un type particulier de bactéries. 

Modifier l’interaction de liaison avec la bactérie

Cette fois-ci, ils ont réussi à mettre au point une stratégie leur permettant de créer et de tester rapidement un nombre beaucoup plus important de variantes de fibres caudales. Sachant déjà qu’elles se composent de segments appelés feuilles bêta reliés par des boucles, ils ont essayé ne muter que les acides aminés formant les boucles, tout en préservant la structure de la feuille bêta. "Nous avons identifié des régions qui, selon nous, n'auraient qu'un effet minime sur la structure de la protéine, mais qui seraient en mesure de modifier son interaction de liaison avec la bactérie", explique le Professuer Kevin Yehl, l’un des auteurs de l'étude.

Les chercheurs donc créé des phages avec environ 10 000 000 fibres caudales différentes et les ont testés contre plusieurs souches d'E.coli ayant évolué pour résister au bactériophage non modifié. Et alors que E.coli peut devenir résistant aux bactériophages en mutant les récepteurs LPS, les chercheurs ont réalisé que leurs phages modifier arrivaient à tuer même des souches d’E.coli dont les récepteurs LPS étaient mutés.  

"Ce n’est qu’un début"

Forts de ces résultats, les chercheurs prévoient désormais d’appliquer cette approche pour cibler d'autres mécanismes de résistance utilisés par E. coli. Ils espèrent également développer des phages capables de tuer d'autres types de bactéries nocives. "Ce n'est qu'un début, car il y a beaucoup d'autres échafaudages viraux et bactéries à cibler", expliquent les chercheurs qui envisagent également d’utiliser des bactériophages pour cibler des souches spécifiques de bactéries présentes dans l'intestin humain à l’origine de nombreux problèmes de santé.

Cet été, des chercheurs de l’université de Caroline du Nord aux États-Unis avaient déjà montré que modifier un médicament déjà existant pourrait permettre de mettre au point un produit plus fort, capable d’attaquer des staphylocoques dorés qui peuvent survivre dans des environnements avec peu d’oxygène, résistants à la méticilline (SARM), à la tobramycine ou encore les staphylocoques persistants.

Fin septembre, des scientifiques de l'Université de Surrey (Royaume-Uni) ont ensuite montré que combiner de l’épigallocatéchine, un antioxydant présent dans le thé vert, à l’aztréonam, régulièrement utilisés pour traiter les infections causées par la bactérie pathogène Pseudomonas aeruginosa, aiderait à venir à bout de cette dernière, aujourd’hui résistante à de nombreuses classes d’antibiotiques.