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8 degrés d’ici 2100

Réchauffement climatique : "Le seuil des capacités de vie sera franchi"

Par Marion Guérin

ENTRETIEN - Une étude prévoit une hausse de huit degrés des températures dans les villes d’ici 2100. La faune et la flore pourraient ne pas y survivre.

kwest/epictura

Huit degrés. C’est la hausse des températures dans les villes très peuplées d’ici 2100, selon une étude publiée dans la revue Nature Climate Change. Une augmentation particulièrement élevée liée au réchauffement climatique, qui surpasse toutes les prévisions actuelles. C’est pourtant le scénario qui se dégage si aucune mesure n’est prise pour endiguer ce phénomène.

Sur le plan sanitaire, les prévisions n’augurent rien de bon – bien que la science ne soit encore qu’à ses tâtonnements. L’élévation des températures induit déjà des conséquences que la littérature parvient à évaluer, mais celles à venir, les plus pessimistes, restent incertaines. Passage en revue des différents effets sanitaires attendus du réchauffement climatique avec Jean-François Guégan, spécialiste de l’écologie des maladies infectieuses et parasitaires à l’IRD (Institut de recherche pour le développement).


L’Homme peut-il survivre à telle hausse des températures ?

Jean-François Guégan : Huit degrés supplémentaires, c’est un scénario particulièrement extrême. On se situe là dans des zones qui franchissent les seuils des capacités de vie. Certaines fonctions essentielles ne pourront plus se faire, à la fois pour des animaux, des plantes et éventuellement pour l’Homme. Il peut s’agir de fonctions physiologiques de production et d’action d’enzymes par exemple, des fonctions qui permettent de découper des molécules en plus petites molécules pour pouvoir être assimilées pour l’alimentation par l’intestin.

Ces fonctions vitales humaines, animales et celles des plantes seront moins efficaces, sinon supprimées. Les Hommes pourraient survivre à cela, mais si derrière vous n’avez plus de plantes, ou des plantes moins nutritives… Il peut y avoir une cascade de conséquences qui sont à la fois encore mal comprises et surtout très mal appréhendées.

Toutefois, l’être humain est une espèce qui a su s’adapter à de très nombreux contextes, extrêmement froids et chauds, ce qui n’est pas le cas de la plupart des organismes animaux. Mais s’il le peut, c’est par voie d’utilisation des procédés technologiques. Il faudra ainsi développer des moyens d’adaptation. Les programmes internationaux y réfléchissent intensément : adapter les moustiques, l’agriculture, l’agronomie… Mais il y a une sorte de fatalisme dans cette adaptation. Nous construisons un univers dans lequel le changement climatique serait inéluctable, alors que nous avons des moyens pour limiter le réchauffement climatique et de contrarier le dégagement de CO2. C’est dans ces moyens qu’il faudrait investir davantage.

Qu’en est-il des risques infectieux liés à l’augmentation des températures ?

Jean-François Guégan : Les climats plus chauds favorisent les conditions de développement des vecteurs, des réservoirs hôtes, des agents infectieux. Nous aurons très certainement plus de moustiques, d’arthropodes… On observe par exemple beaucoup de virus et de bactéries vivant dans les systèmes maritimes côtiers (plages, estuaires, lagunes), qui ont pu se développer parce que la température de l’eau a augmenté de 0,6 degré ces 20 dernières années. Il y aura une augmentation de ces bactéries et virus marins, qui vont soit infecter les moules, les huîtres et les autres coquillages, soit se loger en eux et induire des infections alimentaires chez les consommateurs (gastroentérites, septicémies…). Ce phénomène est plutôt bien vérifié.

Ceci dit, il y a aura aussi des vecteurs, des réservoirs hôtes et des agents infectieux qui pourraient disparaître, parce qu’ils trouveront de moins bonnes conditions pour se développer. On parle peu de cela. En fait, la science peine encore à déterminer ce qui relève du réchauffement climatique ou d’autres facteurs. La présence de moustiques tigres en Europe, à ce jour, est liée aux échanges commerciaux et aux voyages internationaux. Le réchauffement climatique pourrait favoriser sa prolifération, mais il est difficile de déterminer dans quelle mesure on peut attribuer sa présence aux seules conditions climatiques.

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L'intégralité de l'entretien avec Jean-François Guégan 

 

On parle également d’une augmentation de l’exposition aux pollens… Quel est le mécanisme qui sous-tend cela ?

Jean-François Guégan : Il y aura une modification de la flore en France et en Europe. Pour se forger une idée, les cépages de vigne que l’on trouve dans le Bordelais pourront se cultiver sur une latitude qui est celle de la Lorraine et de l’Alsace. Certaines plantes fleuriront d’elles-mêmes et produiront des pollens auxquels les populations exposées dans ces régions risquent d’être très sensibles.

On peut ainsi imaginer que des espèces de plantes natives du sud de l’Europe puissent être plus présentes dans les latitudes au nord, alors que les populations n’auront jamais été au préalable exposées à ce type de pollen. Cela provoquera des asthmes et des allergies que l’on n’avait pas avant.

En fait, il peut y avoir de très nombreuses conséquences, la science est encore en pleine exploration. On peut notamment évoquer le développement de maladies chroniques, avec des événements comme la canicule de 2003 et la surmortalité massive observée chez les populations sensibles, induite par des malaises respiratoires et cardiovasculaires.