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Election du nouveau Président

OMS : "Les financeurs privés prennent de plus en plus de place"

Par Anne-Laure Lebrun

ENTRETIEN. Fondée en 1948, l'Organisation mondiale de la santé est l'une des agences de l'ONU les plus puissantes, mais peu à peu, les Etats se désengagent financièrement. 

Margaret Chan quitte la présidence de l'OMS, le 22 mai 2017 - Salvatore Di Nolfi/AP/SIPA

C’est une première pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Réunis en Assemblée générale, les 194 Etats membres vont élire à bulletin secret le nouveau directeur général de l’agence onusienne. Jusqu’à maintenant, le patron de l’OMS était désigné par un comité exécutif. Trois candidats sont en lice : l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, la Pakistanaise Sania Nishtar et le Britannique David Nabarro. Ils devront recueillir deux tiers des voix pour prendre la tête de l’une des institutions les plus influentes des Nations Unies.

Mais aussi l’une des plus critiquées ces dernières années. Son manque de discernement a notamment été pointé du doigt lors de l’épidémie d’Ebola en Guinée, Libéria et Sierra Leone. Une flambée meurtrière qui a mis en évidence des dysfonctionnements internes à l’OMS, juge Auriane Guilbaud, maître de conférence en sciences politiques à l’université Paris 8.

 

Qu’est-ce qu’a révélé l’épidémie d’Ebola sur les politiques de santé internationales ?

Auriane Guilbaud - Elle a révélé la faiblesse des systèmes de santé nationaux, et montré que cela avait été un point négligé par l’OMS et les politiques de santé mondiales. Ces dernières s’étant surtout focalisées sur certaines maladies. L’épidémie d’Ebola a rappelé que, sans un système de santé national performant, la santé des populations ne peut pas être protégée, et en particulier lors d’une crise sanitaire.

 

Cette insuffisance de l’aide au développement sanitaire est-elle due au désengagement des Etats ?

Auriane Guilbaud - Le budget de l’OMS est financé en grande majorité par les Etats membres, même si les contributeurs privés prennent de plus en plus de place, comme la Fondation Gates. Mais les Etats membres conditionnent de plus en plus l’utilisation de cet argent. Un Etat peut par exemple dire à l’OMS d’allouer uniquement ses contributions à la lutte contre la tuberculose. Le Secrétariat de l’OMS ne peut alors pas en faire autre chose. Aujourd’hui, ces contributions volontaires des Etats représentent 80 % du budget de l’OMS.

Les priorités sont donc déterminées en fonction de celles des Etats financeurs. Ainsi, si le renforcement des états de santé nationaux n’apparaît pas comme une priorité, alors il n’y aura pas de financement. Ces restrictions laissent peu de flexibilité à l’OMS.

Cette année, cette question budgétaire est un gros enjeu. Pour la première fois depuis 10 ans, une augmentation de 3 % des contributions fixes (les 20 % restants du budget de l’OMS) a été négociée. C’est en deçà des volontés de la directrice générale de l’OMS, qui espérait une augmentation de 10 %, mais cette hausse devrait être adoptée lors de cette Assemblée mondiale de la Santé.

Ecoutez...
Auriane Guilbaud, maître de conférence en sciences politiques à l’université Paris 8.

 

 

 

De ce fait, les contributeurs privés influencent aussi la politique de l’OMS ?

Auriane Guilbaud - Effectivement, car, là encore, ces contributions d’acteurs privés, principalement celles de la Fondation Gates, qui est le 2e plus gros financeur de l’OMS derrière les Etats-Unis, sont attribuées à des programmes spécifiques, ou à la lutte contre certaines maladies.

On peut donc se demander qui représentent ces acteurs et à quel point est-ce légitime de les laisser définir les objectifs de santé mondiale.

Quelle place occupent les laboratoires pharmaceutiques ?

Auriane Guilbaud - Depuis la fin des années 1990, l’OMS et l’ensemble des organisations des Nations Unies se sont lancés dans des partenariats public-privé, notamment sous l’influence des Etats membres. Dans ce modèle, les entreprises pharmaceutiques sont mises sur le même pied d’égalité que les Etats, ou les ONG. Donc là encore, comment défendre l’intérêt public et l’accès aux soins des individus, sachant que les entreprises défendent leur intérêt propre qui est de faire du profit.

L’élection d’un nouveau directeur général changera-t-elle la donne ?

Auriane Guilbaud - Tout dépend tellement des Etats membres que c’est difficile à dire. Cela va être un jeu de négociations, et le nouveau directeur devra se positionner face aux Etats membres. Mais à ce stade, la marge de manœuvre est encore difficile à définir.