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Selon Catherine Hill, épidémiologiste

Dépakine : plus de 12 000 personnes souffrent de séquelles

Par Audrey Vaugrente

ENTRETIEN – Les effets néfastes de la Dépakine sur le fœtus sont connus depuis les années 1980. Ils toucheraient plus de 12 000 personnes selon une épidémiologiste Catherine Hill.

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14 322 : c’est le nombre de grossesses exposées à la Dépakine entre 2007 et 2014. Un nombre élevé, alors que cet antiépileptique est déconseillé aux femmes enceintes en raison de ses effets tératogènes. Et pourtant, 8 701 bébés sont nés vivants au cours de cette période. Un rapport de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a estimé pour la première fois l’ampleur du phénomène associé au valproate de sodium.

Le nombre de victimes n’a pas encore été communiqué. Il fait l’objet d’un second travail. L’épidémiologiste de l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif, Val-de-Marne) Catherine Hill, n’a pas attendu ses résultats.
D’après ses estimations, 50 000 grossesses sous Dépakine, Dépakote ou génériques ont été menées entre 1983 et 2015, donnant lieu à 30 000 naissances vivantes. 3 000 personnes souffriraient ainsi de malformations et 12 000 de troubles neuro-développementaux.

Comment avez-vous obtenu cette estimation ?

Catherine Hill : Je suis partie des données entre 2007 et 2014 mises en ligne par l’Agence de sécurité du médicament (ANSM). Les experts ont conclu à 14 322 grossesses exposées et 8 701 naissances vivantes. La Direction Générale de la Santé a communiqué les données de vente par année de 1967 à 2015. J’ai simplement regardé les millions de boîtes vendues entre 2007 et 2014 et extrapolé.
Tout le monde affirme que les malformations surviennent chez 10 % des fœtus. J’ai donc estimé que 3 000 cas sont survenus sur cette période. Les problèmes neuro-développementaux surviennent dans 30 à 40 % des cas. En prenant l’estimation haute, j’ai conclu à 12 000 victimes. Ces chiffres ne s'additionnent pas car on ne sait pas à l'heure actuelle évaluer les associations.


L’ampleur est-elle comparable aux scandales précédents ?

Catherine Hill : Le problème ne réside pas tant dans l’ampleur : le drame reste un drame pour les familles. Mais on n’en a jamais chiffré l’impact parce que c’est un exercice que l’ANSM se refuse à faire. A part dans l’affaire Mediator, ce type d’études est très rarement réalisé. Mon estimation des victimes de la dompéridone (Motilium), qui évaluait à 200 le nombre de cas annuels, a été attaquée par l’Agence. Ces estimations dépendent de l’utilité des traitements.


L’efficacité de la Dépakine exlique-t-elle les réticences ?

Catherine Hill : C’est certainement un élément majeur. Ce traitement est très efficace, mais il ne faut aucune grossesse sous Dépakine. Face à une femme qui fait des crises épileptiques à répétition, et qui ne répond qu’à la Dépakine, les prescripteurs n’ont pas le choix. La logique des événements doit donc s’inverser. Si on donne ce médicament à une femme en âge de procréer, il faut systématiquement une contraception efficace, comme un stérilet. Le traitement doit être le même que pour le Roaccutane.
On ne peut pas savoir quand une femme va commencer une grossesse, et une chance sur deux de malformation ou de trouble neuro-développemental, c’est déraisonnable. Le risque de malformation commence dès le début de la grossesse, avant même que la femme se sache enceinte; quand elle découvre la grossesse c'est déjà trop tard.