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Médecins du Monde

Santé des prostituées : MDM dénonce la pénalisation des clients

Par Marion Guérin

Le texte de loi sur la prostitution est examiné ce mercredi en commission mixte paritaire. Des associations alertent sur les conséquences sanitaires de la pénalisation des clients.

SINTESI/SIPA

Députés et sénateurs examinent ce mercredi la proposition de loi « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées » en commission mixte paritaire. A cette occasion, Médecins du Monde appelle les législateurs à prendre en compte certaines réalités de terrain.

« L’instauration du délit de racolage passif par la Loi de Sécurité Intérieure du 18 mars 2003 a contribué à dégrader les conditions de vie et l’état de santé des personnes proposant des services sexuels tarifés. Depuis lors, elles sont obligées de se cacher et de s’isoler pour ne pas être arrêtées au motif de racolage. Par là même, elles s’éloignent des associations de santé et de toutes les autres institutions, y compris la police », peut-on lire dans un communiqué.

Dans les bois, tenues à l’écart des soins

Médecins du Monde se réjouit de l’abrogation de ce délit de racolage passif prévu par le texte. Pour autant, l’ONG s’alarme de la disposition prévoyant de pénaliser les clients, qui produira, selon elle, les mêmes effets délétères sur la santé des personnes prostituées.

« Tout comme le délit de racolage passif, la pénalisation des clients pénalisera avant tout les personnes se prostituant. Pour conserver leur clientèle, elles devront d’autant plus se cacher. Pour protéger leurs clients, ce sont elles qui s’exposeront à plus de risques », écrivent les auteurs du communiqué.

En mars dernier, plusieurs associations s’étaient déjà émues de cette disposition et avaient alerté les autorités des conséquences perverses de la pénalisation des clients. « Très concrètement, en dehors de tout argument moral, il faut comprendre que ces mesures forcent les travailleuses du sexe à se planquer. Elles s’éloignent des centre-ville et des lieux dans lesquels elles sont identifiées, pour s’isoler dans les campagnes, les routes nationales et le fin fond des bois », expliquait en mars à Pourquoidocteur Fred Bladou, militant pour l’association AIDES. 

Là, elles perdent tout contact avec les associations qui, au cours de leurs maraudes, font de la prévention, distribuent des préservatifs, leur viennent en aide si besoin. Cette action associative essentielle a d’ailleurs été reconnue dans un rapport de l’IGAS comme l’une des rares ayant, à ce jour, prouvé une certaine efficacité en termes de santé des prostituées, dans un cadre institutionnel parfaitement impuissant.

Ecoutez...
Fred Bladou, militant pour l’association AIDES (Interview réalisée en mars 2015) : «Maintenant, il faut faire 40 kilomètres autour de la ville pour les trouver... En stigmatisant les prostituées, on ne les incite pas à prendre soin de leur santé. »

Risque accru d'Infections Sexuellement Transmissibles

L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on… Mais en cherchant à protéger les prostituées, les parlementaires pourraient bien les exposer à des risques accrus de développer des Infections Sexuellement Transmissibles (IST). En mars 2013, un rapport de l’InVS montrait que, malgré une santé globalement déclinante, les prostituées ont tendance à se protéger lors des rapports sexuels. 

« C’est une condition qu’elles pourront de moins en moins négocier si on pénalise le client, précise Fred Bladou. Lorsqu’elles sont isolées, les clients sont plus rares - du moins, pour la prostitution de rue - et elles doivent garder le même niveau de revenu, subvenir à leurs besoins. Quand on a le choix du client et des tarifs, quand on se sent en sécurité, il est beaucoup plus facile d’imposer le préservatif ».

Déplacer la prostitution

En fait, la pénalisation du client n’aurait aucun effet sur la prostitution, si ce n’est de mieux cacher celle qui s'exerce dans la rue, préviennent les associations. Et le modèle suédois tant loué serait un leurre. « On dit que la prostitution a drastiquement diminué dans le pays depuis la pénalisation des clients ; c’est faux. Seulement, elle est moins visible, elle s’est déplacée sur Internet et dans des appartements », nous prévenait, toujours en mars dernier, Irène Abudaram, coordinatrice à Médecins du Monde.

Les proxénètes l’ont d’ailleurs bien compris. « Lorsqu’ils envoient une fille à Stockholm, ils lui louent un appartement, c’est aussi simple que ça. Du coup, elles sont beaucoup plus vulnérables aux violences des clients. Au contraire, lorsqu’elles sont ensemble, en groupe, les unes peuvent venir en aide aux autres en cas d’agression… »

Ecoutez...
Irène Abudaram, coordinatrice à Médecins du Monde (Interview réalisée en mars 2015) : « La loi ne correspond pas la réalité de la prostitution. Pourquoi prendre le risque de rendre moins accessibles les personnes qu'on cherche à protéger ? »


L’argument est effectivement repris par plusieurs institutions internationales – ONUSIDA, OMS… En juillet, une série d'études publiées dans la revue The Lancet concluait à l’inefficacité de la répression en matière de sécurité sanitaire et de droits de l’homme. Ses auteurs appelaient à dépénaliser la prostitution pour mieux la combattre, si telle est la volonté des gouvernements.