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"iQOS"

Tabagisme : Philip Morris lance sa "propre" e-cigarette

Par Marion Guérin

Le célèbre fabricant de tabac contre-attaque sur le marché de l'e-cigarette, avec un nouveau produit dit à moindre risque, disponible en Suisse depuis ce lundi.

Ben Margot/AP/SIPA
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Le grand cigarettier Philip Morris n’allait pas rester les bras ballants face à l’arrivée de l'e-cigarette. Bien au contraire. Depuis peu, ses laboratoires préparent un produit qui vise à concurrencer les vapoteuses. Deux milliards de dollars ont été investis ; une usine pimpante a vu le jour près de Bologne pour fabriquer la nouvelle technologie, distribuée par Marlboro. C’est officiel : l’heure de la contre-attaque a sonné.

Tabac chauffé

Après le Japon et l’Italie, la « iQOS » débarque de l’autre côté de la frontière, en Suisse, où elle est disponible depuis ce lundi. Dans le marché complexe de l'e-cigarette, qui semble déjà à bout de souffle, l’entreprise a pris soin de se distinguer des autres. Pas de liquide dans le réservoir du HeatStick, un bâton qui conserve la forme d’une cigarette industrielle, mais bien du tabac, chauffé de manière à produire de la fumée tout en évitant la combustion.

Comme sa petite sœur la vapoteuse, la iQOS serait une « alternative au tabac », qui vise une stratégie de « réduction des risques », fait savoir Philip Morris International (PMI) dans un communiqué. Huit années d’études ont précédé la commercialisation de ce produit, pendant lesquelles des chercheurs se sont activés à mettre au point un produit moins toxique, plus « propre ».

« Concurrencer la combustion »

Mensonge commercial ou réalité certifiée ? En Suisse, certains spécialistes de la santé publique accueillent favorablement la nouvelle. « Tout ce qui fait concurrence à la combustion doit être encouragé », estime ainsi Jean-François Etter, professeur de santé publique à l’Université de Genève. Selon lui, les données exposées aux investisseurs lors de la présentation du produit indiquent une réduction, par rapport à la cigarette traditionnelle, des émissions de substances toxiques. « En l’absence de combustion, il n’y a pas de monoxyde de carbone, par exemple », précise le spécialiste.

Pour autant, des études indépendantes devront être menées pour valider ces résultats, obtenus au sein du Centre Mondial de Recherche et Développement de Philip Morris, un vaste institut de recherche inauguré en 2009. Dans un reportage réalisé par le journal suisse Le Temps, d’autres experts se montrent ainsi réservés sur la double casquette du célèbre fabricant. « L’industrie du tabac serait crédible si elle arrêtait de viser les jeunes pour leur vendre ses produits », juge Jacques Cornuz, responsable des consultations tabac au Centre hospitalier universitaire vaudois, cité par le journal.

Produits du tabac

De fait, la grande inconnue concerne les effets sur le moyen terme – sans parler du long cours –, dont on ignore presque tout concernant les cigarettes électroniques de toutes sortes. L'iQOS peut-elle constituer une porte d’entrée vers le tabac, ou même séduire les non-fumeurs ? « Pour le moment, nous ne disposons pas de ces données », poursuit Jean-François Etter.

Par ailleurs, certains pneumologues s'interrogent sur la présence de tabac au sein du produit. « Certes, les effets sont moins délétères que ceux des cigarettes traditionnelles, mais cela reste un produit du tabac qui contient des substances toxiques telles que les nitrosamines, insiste Bertrand Dautzenberg, pneumologue à la Pitié-Salpêtrière à Paris. Elle est donc plus nocive que la vapoteuse ».

Pour ce spécialiste de l'e-cigarette, l'iQOS constitue surtout un moyen de promouvoir l'idée selon laquelle « on peut continuer à fumer sans nuire à sa santé ». « Il faut se placer des limites dans la réduction des risques. Sur le plan théorique, ça fonctionne, mais en pratique, ce n'est pas aussi simple ».

De juteux projets

En tout cas, les retombées économiques du HeatStick devraient incontestablement combler les pertes – très limitées – de PMI engendrées par la concurrence de l'e-cigarette. Selon le journal Le Temps, les bénéfices espérés pourraient atteindre rapidement le milliard de dollars avec un taux d’adoption de 3 à 5 % des ­fumeurs. Mais encore faut-il que ces derniers l'adoptent... « Des produits similaires ont déjà été lancés et ont tous échoué, souligne Bertrand Dautzenberg. Les consommateurs n'en veulent pas ».

Pour autant, comme d’autres grands cigarettiers reconvertis (Japan Tabacco, Imperial Tobacco…), PMI multiplie les projets technologiques et les nouveaux gadgets pour fumer « à moindre risque » – spray vaporisateur de nicotine, système d’aérosol avec charbon… Le marché promet de belles marges et chacun entend avoir sa part du gâteau.