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Non-respect de la demande d'accord préalable

Statines : l'Assurance maladie accuse à tort des milliers de généralistes

Par Bruno Martrette

EXCLUSIF. Des milliers de généralistes ont reçu, à tort, un courrier accusateur de leur Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) sur leurs prescriptions de statines. 

CLOSON/ISOPIX/SIPA

« Nous avons constaté que vous avez initié des traitements par l'une de ces molécules sans appliquer la procédure préalablement citée. Cette mesure s'imposant, j'attire votre attention sur la nécessité de la respecter, sauf à vous exposer à des actions contentieuses. » Voici l'extrait du courrier menaçant de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) des Yvelines (78) reçu ces derniers jours par 700 généralistes du département au sujet de leurs prescriptions des dernières statines mises sur le marché (non génériquées et prescrites largement à l’hôpital).

En effet, depuis le 24 juin 2014 , les généralistes doivent obtenir l'accord préalable du service médical de leur CPAM avant d'initier tout traitement par rosuvastatine (CRESTOR®) et ézétimibe (EZETROL®). Ils peuvent, en revanche, renouveler, sans l'accord de la caisse primaire, la prescripiton initiée dans la pluplart des cas par les cardiologues. Les raisons ? Un trop grand nombre de prescriptions et une prise en charge estimée « particulièrement coûteuse », par la CNAM (1).

Et il semble bien que l'Assurance maladie se soit pris les pieds dans le tapis en adressant des milliers de courriers d'avertissement à des généralistes qui avaient seulement renouvelé des ordonnances. Ils étaient donc en toute conformité avec les récents décrets, confirme la Fédération des Médecins de France (FMF) qui a révélé l'affaire.

Un courrier vécu comme un harcèlement

Résultat, ces courriers qui arrivent depuis plusieurs jours dans les boîtes aux lettres des cabinets déclenchent la colère chez les généralistes, dans un contexte où les rapports avec leurs tutelles sont déjà très tendus. Le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, de la Cellule juridique de la FMF, explique en effet que « les généralistes subissent régulièrement ce type de harcèlement au sujet de leurs prescriptions. »

Mais cette fois-ci, les médecins ont décidé de monter au front. C'est le cas notamment du Dr Richard Talbot, généraliste dans la Manche (50), qui n'a pas hésité à dénoncer le 14 juin ce courrier dans une tribune nommée : « Rosuvastatine et ézétimibe : la caisse joue l’intimidation. »

Ecoutez...
Marcel Garrigou-Grandchamp, responsable de la Cellule juridique à la FMF : « Depuis 3-4 ans, le harcèlement des caisses n'arrête pas. Il y a eu d'abord la campagne sur les prescriptions de transports sanitaires, après sur les indemnités journalières... »

 

Contactée par Pourquoidocteur, le Dr Isabelle Luck, généraliste à Élancourt (78), évoque, pour sa part, « le choc » à le lecture du courrier. Depuis, cette praticienne est très remontée : « J'attends que le médecin conseil de l'Assurance maladie me donne le nom des patients incriminés. Je n'ai pas inité ces traitements, j'en suis sûre à 99,9 %. D'autres confrères ont fait les vérifications nécessaires et ils m'assurent à 100 % n'avoir jamais initié ces traitements », martèle-t-elle.

Ecoutez...
Dr Isabelle Luck, généraliste dans les Yvelines (78) : « J'ai fait une lettre de réponse à ma CPAM. Dedans, je demande la liste de tous les patients incriminés avec les dates des ordonnances (...). Depuis le 11 juin, je n'ai pas encore de réponse... »

 

Une bévue « nationale »

Et cette fronde contre l'Assurance maladie ne va pas s'apaiser dans les prochains jours. Car ces courriers des CPAM ne concernent pas que les médecins des Yvelines. La lettre a été adressée à de très nombreux généralistes dans plusieurs départements. Dans le Morbihan, par exemple, où le Dr Ivane Audo, généraliste à Lanester, confirme que « pratiquement tous les médecins du 56 ont reçu ce courrier. »
« Ici, sur les 500 généralistes en exercice, 488 sont concernés par ces accusations. Seuls ceux installés après le 1er novembre 2014 y ont échappé », précise-t-elle.

Selon ce médecin, le service médical de sa CPAM aurait même obtenu de l'Assurance maladie  « l'aveu » qu'il s'agissait bien d'un envoi « national » et que donc « bientôt » tous les généralistes de France allaient recevoir les courriers.
D'après un recensement effectué par Pourquoidocteur, les premières lettres sont déjà arrivées dans les territoires suivants : Essonne (518 médecins), Haute-Marne, Bouches-du-Rhône, Gers, Cher, Yonne, Nord, Saône-et-Loire, etc. 
Dans ce dernier département, une praticienne a même demandé son avis au Conseil Départemental de l'Ordre du 71, qui a estimé qu’il s’agissait d’une attitude « agressive et conseille de remplir une déclaration d’incident. »

Enfin, plus surprenant encore, le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp affirme que des confrères ayant arrêté leur activité (en retraite) les ont également reçues. Ceux-là envisagent aussi de saisir l'Ordre des médecins.

 

Des poursuite pénales à l'étude 

D'autres praticiens projettent d'aller encore plus loin. A tort, les CPAM évoquent, il est vrai dans leur courrier, des « suites contentieuses. » Ne pas respecter cette réglementation expose en effet le médecin à des sanctions réglementaires : mise sous accord préalable (art. L162-1-15), reprise d’indus (art. L133-4), pénalités (art. L162-1-14).

Les médecins rétorquent que, sur le plan pénal, cela s'appelle de la « dénonciation calomnieuse » (art. 226-10 du code pénal) et des « menaces. »

De son côté, au national, l'Assurance maladie a répondu qu'elle ne souhaitait faire aucun commentaire sur le sujet. Certains médecins contactés avouent, pourtant, avoir déjà obtenu des excuses « non officielles » de leur CPAM par téléphone.

(1) Caisse Nationale de l’Assurance Maladie