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Psychostimulants, hypnotiques...

Médicaments : comment l'armée maintient les militaires en action

Par Marion Guérin

ENQUETE - Pour améliorer ou restaurer les performances des militaires lors de missions à haute dangerosité, les armées peuvent ordonner la prise de substances stimulantes. Elles tentent cependant d’éviter l’émergence de conduites dopantes parmi une population à risque.

Thibault Camus/AP/SIPA
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Parfois, le nerf de la guerre tient dans un médicament. Un petit comprimé blanc, avalé avant une mission ultra-périlleuse. Une molécule qui permet de rester sur le qui-vive pendant au moins 48 heures, et de faire temporairement d’un militaire un homme aux capacités d’alerte décuplées.

Aussi efficace que l’amphétamine sans tous ses effets secondaires, bien moins addictif que la cocaïne, le Modafinil se destine à l’origine aux patients atteints de narcolepsie. En pointe sur sa recherche, l’armée française a vite décelé l’immense potentiel de ce psychostimulant qu’elle a prescrit aux soldats de la guerre du Golfe, en 1991. Son usage n’est encadré que depuis 2008 et l’instruction sur « l’utilisation des substances modifiant la vigilance en opérations ».

« Les gars jouent leur peau »

« On a eu recours au Modafinil pour des opérations coup de poing en situation d’isolement total, où le maintien de l’éveil est essentiel - la destruction d’un site ou d’un personnage, la libération d’un otage…, précise Xavier Bigard, ancien directeur de l’Institut de recherche biomédicale des armées (Irba). Typiquement ce genre de situation où les gars jouent leur peau ». Et où les considérations éthiques passent forcément au second plan. « L’objectif des armées est de maintenir ses soldats en bonne santé, insiste Marion Trousselard, médecin en Chef et chercheuse en neurophysiologie du stress. Mais s’ils doivent se parachuter au-dessus d’un territoire taliban, franchement, on ne se pose pas la question ! »

Difficile, en effet, de comparer le dopage militaire à celui pratiqué dans le sport quand l’objectif est la survie. Dans la guerre, tous les moyens sont permis et la concurrence est parfois rude. Si les molécules médicamenteuses restent l’apanage des armées riches, certains groupuscules extrêmistes ne se privent pas de recourir à de puissants stimulants. Des bruits courent ainsi sur Daesh, dont les combattants utiliseraient du Captagon, une amphétamine aux propriétés hallucinatoires, ainsi que des stéroïdes anabolisants pour développer la masse musculaire de leurs combattants. Une situation typique qui génère un « contexte de guerre asymétrique », comme le souligne Xavier Bigard.

Les armées françaises ne sont pas les seules à avoir recours à des substances pour améliorer les performances de leurs soldats, loin s’en faut. Aux Etats-Unis, l’amphétamine continue d’être utilisée par les pilotes. Surnommées « go-pills », elles sont en particulier consommées par les GI de l’Air Force. En 2003 s’est tenu le procès de deux pilotes américains qui ont bombardé par erreur une base alliée, tuant quatre personnes. A l’époque, la défense a invoqué ces amphétamines comme l’origine de l’erreur de jugement, tout en affirmant avoir été contraint par l’institution de les ingérer.

L’armée israélienne, elle, utilise entre autre des chewing-gums caféinés appelés « Stay Alert ». Mis au point par des laboratoires américains, la gomme diffuse la substance psychostimulante en libération prolongée. Par rapport aux gélules, elle présente l’avantage de la mastication, une activité qui permet de limiter la somnolence. Quant aux armées africaines, elles ont davantage recours à la pharmacopée naturelle. En fait, tous les groupes armés font appel aux aides pharmacologiques, plus ou moins officiellement.


Caféine en pilule

Mais en réalité, le Modafinil est de moins en moins utilisé par les militaires français. S’il était consommé en Afghanistan et garnit encore la trousse d’urgence des soldats en opérations à hauts risques, désormais, il se fait progressivement remplacer par une autre molécule : la Caféine à Libération Prolongée (LP). Ce concentré d’expresso sous forme galénique de 300mg a été développé pour un usage exclusivement militaire par la Pharmacie Centrale des Armées, et utilisé pour la première fois par des pilotes de l’opération Harmattan en Lybie, en 2011. A l’époque, les Rafales sont de sortie pour bombarder les bases libyennes. Les vols durent en moyenne huit heures et se déroulent sept jours sur sept, de jour comme de nuit.

Autant dire que la fatigue n’est pas une option. Les effets de la Caféine LP sont moins puissants, mais relativement similaires à ceux du Modafinil pris à faibles doses. Une gélule permet « le maintien de la vigilance, des performances cognitives, et un sentiment de bien-être lors de privation de sommeil allant de 34 à 64 heures », peut-on lire dans une étude menée par des médecins militaires sur l’opération Serval (Mali) où un quart du personnel navigant de la base aérienne de N’Djamena (Tchad) l’ont ingérée, soit 27 personnes.

Mais même les soldats doivent dormir. Sauf que sous psychostimulant, en pleine journée, dans la chaleur et le stress, difficile de trouver le sommeil. Le recours aux hypnotiques – Zopiclone ou Zolpidem - peut s'avérer utile. « Bien sûr, on ne restaure pas vraiment les cycles de sommeil, précise Marion Trousselard. Il s’agit de les faire dormir quelques heures avant de repartir ».

« Apprentis sorciers » ?

Mais aussi nécessaire soit-elle, cette maîtrise des cycles veille-sommeil avec un usage des molécules hors AMM n’est pas sans poser problème. En France, le Modafinil a vu sa prescription restreinte aux troubles sévères du sommeil en raison, notamment de l’émergence de symptômes psychotiques et maniaques. Les effets secondaires de la Caféine à LP rapportés par les militaires vont de la tachycardie au sentiment d’anxiété, même s’ils restent assez rares.

« C’est sûr que l’on joue un peu aux apprentis sorciers, commente Sylvie Royant-Parola, psychiatre spécialiste du sommeil. Les somnifères induisent un sommeil léger, peu réparateur. La vigilance observée lors de la prise de psychostimulants ne relève pas de performances normales. Si l’usage de ces molécules est trop répété, au mieux on mine la fonction naturelle du sommeil, au pire, cela entraîne des effets secondaires graves ».

Selon les médecins du Service de Santé des Armées (SSA), ce risque est bel et bien pris en compte. L’usage de ces molécules n’excèderait jamais 48 heures et serait très ponctuel. Marion Trousselard parle même d’un « épiphénomène » qui concerne peu de militaires, mais soulève malgré tout des questions puisque la perception des risques sous psychostimulants peut être modifiée et le temps passé en mission allongé. « Toutefois, les essais montrent que le Modafinil n'engendre pas vraiment d'erreurs d'interprétations de l'information, comparé aux amphétamines », nuance Xavier Bigard.

Observations de fortune

De fait, si des études cliniques ont été menées sur ces molécules, la pharmacopée militaire relève d’une science empirique – dans les premiers usages, en tout cas. En Afghanistan, après l’embuscade d’Uzbin qui a coûté en 2008 la vie à dix militaires français, les soldats sont restés traumatisés et en état de stress aigu. « Nous avons dû les prendre en charge pour éviter les syndromes post-traumatiques, raconte Marion Trousselard. Mais il n’y a pas de traitement pour cela, et encore moins en pleine brousse ! Ils ont reçu quelques gouttes de Lopaxine et cela a très bien fonctionné. Ce sont des observations de fortune qui nous permettent d’affiner la pharmacopée militaire ». Un essai est en cours pour un usage militaire de cet antipsychotique, utilisé dans le traitement de la schizophrénie.

L’autre problématique soulevée concerne le consentement éclairé des militaires. Les unités médicales sont tenues de le recueillir et un soldat peut refuser la prise d’une molécule. Mais dans les faits, peu s’y risquent. « Dans un groupe de dix personnes que l’on projette d’envoyer loin, peut-on prendre la responsabilité que l’un des membres s’endorme et soit une charge pour les neuf autres ? », s’interroge Xavier Bigard. Des astuces leur permettent toutefois d’éviter la prise s’ils le souhaitent. « On leur dit que s’ils ne sont pas en mesure de refuser, ils peuvent toujours le jeter discrètement, explique Marion Trousselard. Ils ne doivent pas être forcés si cela ne correspond pas à leurs valeurs, au risque de développer des états de stress. »

D’ailleurs, à l’image du reste de la société, les armées tentent de recourir davantage aux méthodes non médicamenteuses. A terme, une séance de méditation pourrait bien remplacer les hypnotiques ; l’auriculothérapie viendrait compléter la morphine des blessés. « Mais cela demande un entraînement régulier et de l’investissement personnel », souligne Marion Trousselard. Et probablement quelques années avant que ces méthodes ne remplacent les molécules. 

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