ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > La cigarette électronique séduit les usagers, pas les médecins

Tabac

La cigarette électronique séduit les usagers, pas les médecins

Par Cécile Coumau

Depuis l'interdiction de fumer dans les lieux publics, les ventes de e-cigarettes flambent. Les tabacologues refusent de diaboliser ce produit mais réclament des études pour évaluer ses dangers.

CAPMAN VINCENT/SIPA

La cigarette électronique vendue par un pharmacien comme n’importe quel autre outil de sevrage tabagique, certains fabricants de e-cigarettes en rêvent. Pour le moment, elles sont surtout en vente sur internet et dans des bureaux de tabac, même si quelques pharmaciens la proposent à leurs clients. Mais, l’officine, « c’est notre objectif à moyen terme, affirme Romain Eldert, directeur associé de la société Smoke it. Pour que la cigarette électronique y ait toute sa place, il faut obtenir l’autorisation de mise sur le marché, et donc mener des études scientifiques de grande ampleur qui sont très coûteuses ».
Chaque chose en son temps donc… Pour le moment, les fabricants de cigarettes électroniques engrangent des bénéfices. Depuis l’interdiction de fumer dans les mieux publics, leurs ventes s’envolent. Un demi-million de Français « vapoteraient » quotidiennement, autrement dit produiraient de la vapeur ressemblant comme deux gouttes d’eau de la fumée de cigarettes. « Et dans la majorité des cas, les acheteurs ont pour objectif une diminution – voire un arrêt- de leur consommation de tabac, » témoigne Romain Eldert. Un paradoxe puisque la cigarette électronique n’a pas apporté la preuve de son efficacité dans le sevrage.


Romain Eldert
, directeur associé de Smoke it : "Certains fumeurs achètent une cigarette électronique pour fumer dans les lieux publics, les restaurants..."



A ce jour, quelques rares études semblent indiquer que le vapotage pourrait constituer une arme anti-tabac mais les preuves sont trop maigres pour conclure. En 2011, une synthèse de ces travaux a été publiée dans le Journal of Public Health Policy. Elle met en evidence qu’elles contiennent “peu ou pas de produits chimiques susceptibles de présenter des risques sérieux pour la santé, qu’elles pourraient être moins nocives que les cigarettes ordinaires et comparables, en termes de toxicité, avec les autres substituts (timbres, gommes, inhalateurs) et que les concentrations de substances cancérogènes sont 1000 fois moins élevées que dans les cigarettes.”

Pour les autorités de santé, comme l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm), pas question de recommander le recours à la cigarette électronique. En 2011, elle justifiait sa position en soulignant que « consommer des cigarettes électroniques peut induire une dépendance, pour toute quantité de nicotine contenue dans les cartouches. L’usage de ce produit expose donc les utilisateurs qui n’étaient dépendants ni aux cigarettes, ni à la nicotine, à un risque de dépendance primaire. » Du côté des tabacologues, on reste aussi très circonspect. D’abord, les produits contenus dans cette pseudo-cigarette n’ont pas prouvé qu’ils étaient sans danger.


Dr Marion Adler
, tabacologue à l'hôpital Antoine Béclère (Clamart) : "Les cigarettes électroniques échappent à tout contrôle"




Pour Béatrice Lemaître, tabacologue au CHU de Caen, la e-cigarette a un inconvénient majeur : « elle ne permet pas le déconditionnement du fumeur puisque le geste se perpétue. Du coup, elle n’aide pas à arrêter de fumer. » Pourtant, comme beaucoup de ses confrères, Béatrice Lemaître refuse de diaboliser ce produit. « Quand un de mes patients me dit qu’il a acheté une cigarette électronique, je ne lui dis pas de la jeter à la poubelle. C’est quand même un moindre mal. Et puis, vous savez, chaque personne est différente. Si la e-cigarette peut aider un moment, pourquoi pas ? Le but, c’est qu’ils arrêtent. En revanche, ajoute la tabacologue, je leur conseille de ne pas l’utiliser dans les lieux publics, autrement dit uniquement dans les lieux où la vraie cigarette est autorisée. » Sinon, c’est une occasion de plus pour fumer, même virtuellement. Mais, selon Béatrice Lemaître, beaucoup l’abandonnent au fond d’un tiroir au bout de quelques semaines.

C’est le cas de Philippe, ex-gros fumeur de 48 ans. « Il y a deux ans, j’ai acheté une cigarette électronique. C’était nouveau, tendance, et puis je me disais que ce serait plus facile d’arrêter de cette façon. Finalement, au bout de 2 mois, je l’ai laissé tomber et j’ai progressivement recommencé à fumer comme avant. » Un an et demi plus tard, sa nouvelle tentative de sevrage à base de patchs et de conseils personnalisés a été la bonne. « Mais, je ne crois pas du tout que la cigarette électronique m’ait aidé en quoi que ce soit. Coonserver le geste fait replonger très vite ».

Pour le moment, les fabricants de e-cigarettes se gardent bien de présenter leurs produits comme une aide au sevrage tabagique. « Nous ciblons essentiellement le fumeur qui veut consommer autrement, indique le patron de Smoke it. Et notamment celui qui veut préserver son entourage du tabagisme passif ». Là encore, le Dr Marion Adler n’est pas convaincue : « Rien ne prouve que la vapeur qui se dégage n’est pas toxique ».
Par ailleurs, hors de question d’attirer les jeunes dans leur filet, affirme haut et fort Romain Eldert. Un jeune qui commence à consommer une cigarette électronique risque fort de passer à une vraie cigarette. Nous connaissons bien les effets pervers de notre produit ». Pourtant, « beaucoup de jeunes veulent tester ce produit à la mode, alors même qu’ils ne sont pas encore fumeurs », s’insurge le Dr Adler. Et à la prochaine augmentation du tabac prévue en septembre, la cigarette électronique pourrait bien faire de nouveaux adeptes. Pour 10 euros, les vapoteurs peuvent consommer l’équivalent de de deux paquets et demi.