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50 millions de victimes

Les mystères de la grippe espagnole de 1918 élucidés

Par Audrey Vaugrente

Les principales victimes de la pandémie du début du siècle dernier étaient celles qui n’avaient pas été exposées à une souche H1 de la grippe.

AP/SIPA

50 millions de victimes, c’est un des plus grands mystères de biomédecine du XXe siècle qui trouve sa réponse. « Depuis la grande pandémie grippale de 1918, le mystère demeure sur l’origine du virus, pourquoi il a été si virulent, et surtout pourquoi il a tué tant de jeunes adultes », souligne Michael Worobey, principal auteur d'une étude conduite avec son équipe de l’université d’Arizona à Tucson (Etats-Unis) et publiée, ce 28 avril dans PNAS.

En effet, la grippe saisonnière classique met surtout en danger les jeunes enfants et les personnes âgées. La plupart des victimes de la grippe espagnole étaient âgés de 20 à 40 ans, surtout à cause d’infections bactériennes opportunistes comme la pneumonie.

 

Un virus présent dès 1900

Les hypothèses qui dominaient jusqu’à aujourd’hui évoquaient une transmission directe de l’oiseau à l’homme, ou un chevauchement génétique entre les souches humaines et porcines. L’équipe américaine a développé une « horloge moléculaire » très précise, qui leur a permis de remonter jusqu’à la pandémie de 1918. Aucune de ces hypothèses n’a été confirmée par leur modèle. 

En revanche, ils ont découvert que le virus pandémique H1N1 est apparu peu avant 1918. Depuis 1900, un virus H1 circulait déjà dans la population, et a « emprunté » du matériel génétique à la souche aviaire du virus. « Cela a l’air d’un tout petit détail, mais c’est peut-être la pièce manquante du puzzle », souligne Michael Worobey. « Une fois qu’on a cette pièce, celles qu’on possédait depuis 1918 se mettent en place. »

 

Les jeunes adultes n’étaient pas protégés

Selon les chercheurs, être exposé au virus de la grippe pendant l’enfance permet de mettre en place des défenses immunitaires. Mais pour être totalement protégé, la souche de l’enfance et celle qui circule doivent être similaires, deux souches H1 par exemple.

Or, entre 1880 et 1900, c’est un virus putatif H3N8 qui a circulé dans le monde. Les enfants qui y ont été exposés sont devenus adultes en 1918. Face au virus H1N1, leur système immunitaire était donc démuni. « Un arsenal d’anticorps dirigés contre la protéine H3 n’aurait pas eu beaucoup d’effets face à des virus grippaux de souche H1. Et nous pensons que cette mésalliance a entraîné une mortalité accrue dans les populations qui avaient une bonne vingtaine pendant la pandémie de 1918 », précise Michael Worobey.
Ceux nés avant et après cette période étaient mieux immunisés, ce qui explique un schéma différent : les enfants et les personnes âgées ont mieux résisté car leur corps avait déjà combattu cette souche du virus. C’est exactement la situation à laquelle sont exposées aujourd'hui les populations d’Asie face à la grippe aviaire H5N1 – particulièrement pathogène et mortelle chez les jeunes adultes.

 

Même une exposition à des souches différentes vaut mieux que rien, signale l’étude. Les populations insulaires, qui n’avaient jamais été exposées au virus de la grippe avant la pandémie, ont connu des taux de mortalité bien plus élevés que toutes les autres populations. Selon les chercheurs, cela vient soutenir l’idée d’une vaccination systématique, qui mime l’immunité développée pendant l’enfance. « Si notre modèle est correct, les interventions médicales actuelles, particulièrement les antibiotiques et les vaccins […] devraient réduire dramatiquement la mortalité si nous faisions face aujourd’hui à une telle combinaison d’éléments pandémiques », estime Michael Worobey.