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Des traitements sur mesure

Concilier cancer et grossesse

Par Mathias Germain

Pour la première fois en France, un réseau labellisé  apporte une expertise aux gynécologues et une alternative à l'interruption de grossesse pour les femmes victimes d'un cancer

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Au cinquième mois de sa grossesse, une femme de 32 ans, qui attend son premier enfant, remarque un nodule dans le sein droit. Inquiète, elle consulte. Après échographie et une biopsie, son gynécologue lui dignostique un cancer et lui propose une interruption de grossesse. « Cette personne a demandé un autre avis médical, et elle est arrivée dans notre service, témoigne le Dr Roman Rouzier, chirurgien gynécologue dans le service du Pr Serge Uzan à l'hôpital Tenon (AP-HP). Nous avons réalisé une chimiothérapie, et la grossesse a été menée jusqu'à son terme. La patiente a été césarisée car le bébé se présentait par le siège, mais il va très bien, le traitement n'a pas eu de conséquence sur lui, et la tumeur a été éradiquée ».

Un cancer découvert pendant une grossesse ? Comparé aux 800 000 naissances par an, ce type d'événement est rare en France. Elle concerne entre 1/1 000 et 1/6000 patientes. D'après la littérature médicale, son incidence est estimée à 450 – 500 cas par an. « Cependant, leur fréquence est en augmentation, notamment les cas de cancer du sein, parce que les femmes ont leur premier enfant de plus en plus tard », indique le Dr Rouzier. La moyenne d'âge se rapproche de la trentaine. Or, le cancer est la deuxième cause de mortalité chez les femmes âgées de 25 à 44 ans. « Le cancer du sein associé à la grossesse représente la situation la plus fréquente suivi par le cancer du col ; viennent ensuite les lymphomes et les leucémies », constate le Dr Rouzier.

« Mais nous voyons aussi émerger d'autre cancers, comme le cancer du poumon, ajoute le Dr Olivier Mir, cancérologue et pharmacologue à l'hôpital Cochin/St Vincent de Paul. Dans la littérature internationale, en 50 ans, seulement 10 cas cancers du poumons associés à une grossesse ont été répertoriés, mais entre 2006 et 2007, 12 cas ont été étudiés et publiés. C'est un phénomène de génération, cela correspond à celle des femmes de 25-35 ans qui fument deux paquets de blondes depuis l'âge de 16 ans… »


Face à ces situations complexes et angoissantes, tant pour les patientes que pour les soignants, des équipes médicales(1) de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (Tenon, Béclère, Cochin/St Vincent de Paul) et de l'Institut Gustave Roussy ont organisé un réseau dédié à la prise en charge des cancers pendant la grossesse. C'est une première en France et en Europe. Financé par l'Institut national du cancer (INCa) a hauteur de 150 000 euros pour deux ans dans le cadre de la prise en charge des cancers rares chez l'adulte (voir document), ce réseau aidera à diffuser les pratiques homogènes et optimales pour les patientes, et permettra l'obtention de données épidémiologiques et pharmacologiques. Le réseau bénéficie aussi de l'appui du Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) et du relais de centres hospitaliers en Province.
« Les conduites à tenir sont jusqu'à présent assez empiriques. Par le biais de ce réseau, nous allons rationaliser les prises en charge, annonce le Dr Philippe Morice, chirurgien gynécologue à l'IGR, spécialiste des cancers du col utérin. « Souvent une interruption de la grossesse est proposée, cela est discutable, développe le Dr Rouzier qui a élaboré un référentiel de prise en charge pour le cancer du sein. Aujourd'hui, nous commençons à avoir quelques données et un peu de recul ». Pour ces cancers qui surviennent pendant la grossesse, la question des traitements à mettre en ½uvre est complexe. Ces situations mettent en jeu le pronostic maternel et celui de l'enfant à venir. D'une manière générale, l'attitude thérapeutique dépend de l'avancement de la grossesse, du type histologique et de l'extension de la tumeur. » Et des effets secondaires des traitements sur l'enfant.
D'après les données existantes, la chirurgie est envisageable au cours de la grossesse. « Elle reste un traitement de choix face au cancer du sein, y compris pendant la grossesse » explique le Dr Rouzier.
La chimiothérapie est aussi possible. « Malgré la toxicité des agents antinéoplasiques, la chimiothérapie peut être envisagée au cours de la grossesse. Les traitements utilisés sont les antimétabolites, les anthracyclines (doxorubicine), les agents alkylants (cyclophosphamide) et les alcaloïdes de la pervenche, décrit le Dr Rouzier. D'une manière générale, on évite la chimiothérapie au 1er trimestre de la grossesse. Si un traitement doit être entrepris, la doxorubicine est préférée aux autres traitements. Au cours des 2 et 3èmes trimestres, les possibilités thérapeutiques sont plus larges, sous réserve d'une surveillance foetale stricte. »

Cependant, les études doivent être poursuivies car les cohortes de patientes sont assez faibles, seulement 200 cas traitées avec de l'endoxan, et pour des molécules plus récentes, comme le taxotere, on compte une dizaine de cas, précise le Dr Olivier Mir. La chimiothérapie peut avoir de graves conséquences sur la santé du f½tus : risques de malformation, avortement. Et les effets néfastes peuvent survenir longtemps après la naissance. Le Dr Olivier Mir cite le cas d'un enfant né normalement après que sa mère ait été traitée. « A 14 ans, le garçon développait un lymphome, et à 17 ans, un cancer de la thyroïde… » Le réseau mettra en place, grâce à l'unité 149 de l'Inserm, un registre de suivi des patientes et des enfants.

Le suivi du dosage est primordiale. En effet, la pharmacocinétique des médicaments est modifiée par les changements physiologiques qui surviennent pendant la grossesse. « Le remplissage de l'estomac est plus lent et la motilité gastro-intestinale est diminuée, ce qui affecte le taux d'absorption des médicaments administrés par voie orale, explique le Dr Rouzier. Et durant la grossesse, la quantité d'eau totale dans l'organisme est considérablement augmentée. Le volume plasmatique croît d'environ 50% ce qui induit un volume de distribution augmenté pour les drogues hydrosolubles. »
Pour limiter ces effets toxiques, un gros travail de pharmacologie clinique est nécessaire, nous devons faire des mesures pontuelles dans le sang de la mère, du cordon, et de l'enfant. « Nous étudions aussi le passage éventuel du médicament à travers le placenta. Pour cela nous récupérons des placentas et nous les perfusons pour voir s'il y a passage ou non. Mais ce type d'études n'est valable que pour le stade tardif de la grossesse pas pour le début, explique le Dr Olivier Mir.

Les données collectées par le réseau montre aussi que la radiothérapie est possible « pour les cancers à distance du pelvis, mais les précautions à prendre sont importantes (doses irradiantes, protection foetale) ». En pratique, on évite la radiothérapie au 1er trimestre. Elle est envisageable au cours des 2 et 3èmes trimestres, mais il est préférable de la programmer après l'accouchement.

Ainsi, des alternatives à l'interruption de grossesse existent pour résoudre ce double problème posé par la survenue d'un cancer au cours d'une grossesse. Néanmoins, dans cette délicate équation, il faut aussi prendre en compte l'opinion et le projet des parents.. « Notre objectif sera de donner une information honnête et intelligible pour les patientes », ajoute le Dr Olivier Mir. « Ces questions ne se tranchent pas dans le cadre des réunions pluridisciplinaires du réseau mais auprès de la patiente, explique le Dr Roman Rouzier. Notre rôle du réseau sera d'apporter à l'équipe médicale et au couple toutes les connaissances fiables dont il dispose ».


(1) A l'hôpital Tenon où se situe le secrétariat du réseau : Le Pr Serge Uzan et le Dr Roman Rouzier. A l'Institut Gustave Roussy, les Dr Philippe Morice et Catherine Uzan. A l'hôpital Béclère, le Pr René Frydman et le Dr Aurélia Chauveaud. A Cochin/St Vincent de Paul, le Pr Jean-Marc Treluyer et le Dr Olivier Mir. Ainsi que l'Unité 149 de l'Inserm spécialisée dans les recherches épidémiologiques en santé périnatale et santé des femmes.

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