ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > La médecine esthétique entre dans le cabinet du généraliste

Projet de réglementation

La médecine esthétique entre dans le cabinet du généraliste

Par Lucile Woodward

Face à une demande grandissante, de plus en plus de généralistes sont séduits par l’exercice de la médecine esthétique. Les pouvoirs publics et l’Ordre veulent encadrer cette pratique.

Dans son cabinet cossu d’un arrondissement parisien, un médecin généraliste s’apprête à recevoir sa énième patiente de la journée. Après avoir diagnostiqué quelques grippes et délivré un certificat d’aptitude à la pratique sportive, sa prochaine consultation est d’un autre type. C’est la troisième fois qu’il reçoit cette femme à qui il injecte des produits de comblements pour lisser ses rides. Un acte qu’il décrit lui-même comme "très simple et très efficace". A 300 euros la demi-heure, on pourrait aussi rajouter "rentable". 


Exercer la médecine générale et pratiquer des actes de médecine esthétique, ils sont plusieurs à avoir franchi le pas, principalement dans les grandes villes. Par vocation, disent certains. D’autres ne cachent pas leur volonté de se tourner vers une médecine moins contraignante, plus valorisante mais aussi plus lucrative. Il faut dire que le désir de rester jeune et de masquer l’épreuve du temps a fait grimper la demande. Même si cette médecine reste en marge de la légalité. Voilà pourquoi, un amendement vient d’être déposé dans la loi HPST pour encadrer cette pratique. Déjà en décembre 2008, la Direction générale de la Santé avait dénoncé les dangers d’une médecine exercée sans réel contrôle avec une absence de validation des formations proposées. Une demande de mise en conformité de la part des autorités sanitaires comme ce fut le cas en 1994 pour les chirurgiens esthétiques.


Qui sont les médecins esthétiques ?
Ce sont avant tout des médecins exerçant en secteur libéral. Ils sont généralistes, mais aussi dermatologues, ophtalmologistes, gynécologues ou même encore rhumatologues. Le plus souvent, ils complètement leurs consultations traditionnelles par ce type de pratique. Ils ne seraient que 150 à ne faire qu’une pratique exclusive de médecine esthétique.


Combien sont-ils ?
Les chiffres sont très approximatifs car il est impossible de déclarer une pratique non reconnue. Selon le syndicat national de médecine esthétique (SNME), ils seraient 1500 à 2000 en France à exercer médecine générale et médecine esthétique. Mais ils seraient le triple si l’on compte les spécialistes qui pratiquent aussi l’esthétique.
Pour les assureurs, ces chiffres sont également très vagues. Le Sou avoue assurer 500 à 700 médecins généralistes pour l’esthétique, et plus de 2500 dermatologues.


Où pratiquent-ils ?
Dans la grande majorité des cas, les médecins esthétiques exercent dans leur cabinet. Ils sont généralement installés dans des grandes villes et choisissent préférentiellement des beaux quartiers. Pour les actes nécessitant un matériel onéreux, comme les lasers ou les lampes, le médecin loue généralement une salle dans une clinique proposant l’appareil, pour la journée ou pour quelques heures par semaine.


Leur formation.
Seule la formation à la médecine morphologique et anti-âge est reconnue par le Conseil national de l’Ordre des médecins. Ce DIU, proposé depuis 2 ans dans cinq universités, est ouvert à toutes les spécialités médicales. Ce diplôme vise une prise en charge globale de la gestion du vieillissement qu’il soit intellectuel, affectif, cardiovasculaire, nutritionnel ou encore sexuel. En revanche, les actes à la frontière de la chirurgie esthétique comme les injections de toxine botuliques ou d’acide hyaluronique, et l’utilisation de lumière pulsée leur sont interdits.

Seuls 80 médecins peuvent y accéder chaque année après un examen probatoire. Autre formation possible, celle délivrée par le CNME. « Notre diplôme est le plus complet pour acquérir les compétences nécessaires à la pratique de la médecine esthétique, explique le Dr Charles Gadreau, président du SNME. Il coûte 9000 euros, dure 2 ans à raison de 3 jours par mois de cours théoriques à Paris, plus des stages pratiques d’une journée à une semaine. A ce jour, nous avons formé 800 médecins à toutes les techniques esthétiques non chirurgicales. Nous aimerions que notre enseignement privé soit reconnu par les autorités françaises.»

Dernière possibilité de se former, lors d’ateliers proposés par les laboratoires pour la promotion de leurs produits, et sans cours théoriques. C’est certainement cette méthode-là la plus utilisée, soit pour démarrer, soit pour se former aux nouvelles techniques.


Les prix pratiqués.
D’un cabinet à l’autre, la facture peut varier du simple au double puisque ces tarifs échappent à toute déclaration à la Sécurité sociale, la médecine esthétique pratique les tarifs qu’elle souhaite. En moyenne, il faut une heure et deux ampoules d’acide hyaluronique pour repulper les lèvres, effacer les ridules et atténuer le sillon nasogéniens. Le prix peut atteindre 650 € pour la patiente. Une somme à laquelle il faut retrancher le prix des ampoules (100 à 150€ chacune) et celle de l’anesthésie loco-régionale, soit un revenu de 350€ de l’heure avant les charges pour le médecin.

Les produits. L’acide hyaluronique ou la lumière pulsée par exemple sont des produits ou des techniques utilisés régulièrement en esthétique mais qui ne sont pas validés par l’Afssaps. Elles ne bénéficient que d’un marquage CE, lui-même basé sur les référentiels de la FDA (Food and Drug Administration) aux Etats-Unis.

Les dérives. Les autorités sanitaires craignent l’émergence d’accidents en série, où un seul médecin pourrait porter atteinte à l’intégrité physique de plusieurs patients. Ce fut le cas notamment à Epinal où 14 patients avaient été infectés par un streptocoque présent dans les canalisations d’un médecin pratiquant la mésothérapie anti-cellulite. Les lipotomies - ou l’injection d’eau salée dans les tissus graisseux pour éliminer la cellulite - ont aussi été le terrain de nécroses très importantes déformant à vie les patients trop naïfs.
Mais globalement, en 2007, les assureurs n’ont enregistré que 2 % de plaintes en médecine esthétique, et 2, 8 % en dermatologie esthétique. Une sinistralité qui reste très faible comparée aux 20 % de déclarations d’accidents en chirurgie esthétique.


Comment l’état veut contrôler.
La loi exige qu’avant tout acte esthétique dépassant 300 euros, le médecin propose un devis et une quinzaine de jours de réflexion au patient. De plus, depuis 2004, l’état et le Conseil national de l’Ordre souhaitent réguler cette pratique en pleine émergence.  La première idée serait que les généralistes puisse être autorisés à injecter des produits de comblement sous-cutanés après avoir été formés. « Les médecins généralistes ont le droit de faire des points de sutures ou des injections articulaires, conclue le Dr Gadreau. Il est donc normal qu’ils puissent aussi faire des actes simples de médecine esthétique, à condition d’être formés. »

C’est pourquoi le rapport de la DGS demande une harmonisation et une validation des formations à l’esthétique. Par ailleurs, il semble impératif de laisser perpétuer cette activité dans le cadre de la médecine générale, tout comme l’acupuncture ou l’homéopathie. L’état veut surtout éviter la pratique exclusive de médecine esthétique qui viderait le stock déjà limité de médecins généralistes français.

Consultez notre ouvrage vidéo numérique,

seule une création de compte est requise pour y accéder.