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Epigénétique

Dépression héréditaire : et si cela ne passait pas par les gènes ?

Par Charlotte Arce

En étudiant des souris mâles souffrant de dépression, des chercheurs chinois ont constaté qu’elles étaient capables de transmettre ces traits à leur progéniture. Non pas par le biais des gènes, mais grâce au matériel génétique codé dans leur sperme.

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La dépression héréditaire ne serait pas le fait des gènes, mais des microARN des spermatozoïdes.
L'étude menée sur des souris mâles dépressives montre que les microARN du sperme peuvent recevoir des signaux provenant de l'environnement paternel. Ces signaux sont ensuite intégrés aux profils génétiques des zygotes.
Cette découverte ouvre la voie au potentiel développement traitements antidépresseurs.

Trouble mental parmi les plus répandus, la dépression est-elle vraiment transmissible à ses enfants par les gènes ?

Si de nombreuses études se sont déjà penchées sur le caractère héréditaire de la dépression, une nouvelle étude publiée dans la revue Science Advances par des chercheurs de l’université médicale de Nanjing (Chine) apporte de nouveaux éléments de réponse et bouleverse ce que l’on pensait jusqu’ici savoir. Selon eux, la dépression ne se transmet pas de manière génétique mais via des altérations épigénétiques. Ces changements génétiques n’altèrent pas la séquence de base de l’ADN, mais affectent la façon dont les cellules expriment cet ADN par conversion chimique, en ARN puis en protéines. "Nous montrons que les descendants de pères déprimés développent une sensibilité accrue à la dépression lorsqu'ils sont exposés à un léger stress, et que les ARN du sperme (en particulier les microARN) jouent un rôle causal dans l'hérédité de la dépression. Un tel mécanisme d'héritage épigénétique de la lignée germinale ouvre une nouvelle voie pour combler le vide dans nos connaissances sur la physiopathologie de la dépression", explique Xi Chen, auteur principal des travaux.

Une transmission par les microARN des spermatozoïdes

Pour mener leurs recherches, les scientifiques ont soumis des souris mâles à des expériences stressantes pour faire naître chez elles un comportement dépressif. Ces souris mâles ont ensuite été accouplées avec des souris femelles non stressées. Les souriceaux nés n’ont montré aucune différence biologique par rapport à ceux issus de souris mâles en bonne santé. Cependant, lorsque les chercheurs ont soumis les progénitures à des expériences de stress léger, ces dernières ont adopté les mêmes changements de comportements en réponse que leur géniteur.

Les chercheurs ont donc cherché à comprendre comment les souris dépressives avaient transmis leur comportement à leur descendance. En examinant le sperme des souris mâles, ils ont constaté qu’il y avait des changements dans le contenu génétique. Ils ont isolé tous les ARN non codants des spermatozoïdes et les ont injectés dans un zygote sain. Ce dernier a ensuite implanté dans une souris porteuse. Les souriceaux nés de l’expérience présentaient eux aussi sensibles à la dépression.

L’équipe a en revanche montré que lorsque les changements induits par le stress observés dans l’ARN étaient bloqués, la progéniture n’héritait pas du comportement dépressif de son géniteur. "Bien que précédemment considérés comme des restes négligeables de la spermatogenèse, les ARN du sperme (en particulier les microARN) sont démontrés ici pour transmettre une dépression paternelle à la progéniture. Mécaniquement, les ARN du sperme peuvent recevoir des signaux provenant de l'environnement paternel, puis remodeler les profils génétiques chez les zygotes, induisant ainsi un changement en cascade au cours du développement embryonnaire précoce, détaille le Pr Chen. Ainsi, les expériences de vie et les signaux environnementaux (par exemple, le stress) peuvent être mémorisés dans les ARN du sperme en tant qu'informations épigénétiques pour la communication intergénérationnelle."

Selon lui, ces résultats pourraient "offrir une nouvelle dimension pour le développement de nouveaux traitements antidépresseurs". De nombreuses étapes sont cependant nécessaire pour que ces travaux soient applicables sur l’humain. "Notre prochaine étape consiste à explorer les rôles potentiels des microARN du sperme humain dans la dépression. Nous avons déjà contacté plusieurs hôpitaux et avons commencé à évaluer la portée de l'autorisation éthique pour mesurer les profils de microARN du sperme chez les patients souffrant de dépression", conclut le scientifique.