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La chronique du Docteur Lemoine

Le fer, de Molière à Axel Kahn

Par le Dr Jean-François Lemoine

L'hémochromatose est la première maladie génétique en France ; facile à diagnostiquer, facile à traiter, bénigne si elle est diagnostiquée à 20-35 ans ; souvent grave et parfois mortelle, trente ans plus tard. On vient de trouver l’hormone régulatrice. En revanche, le traitement existait déjà à l’époque de Molière.

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On parle peu de l’importance du fer dans notre organisme, et pourtant, sans lui, la vie est impossible. Il est vital pour nos cellules, en servant de catalyseur à la plupart des réactions chimiques qui s’y déroulent. C’est grâce à lui que l’on peut oxygéner notre sang par la respiration, car il fixe l’oxygène respiré à l’hémoglobine des globules rouges. L’alimentation apporte en moyenne 15 à 20 mg de fer par jour. L'absorption par l’intestin est proportionnelle aux besoins, et se limite en général à 10 % du fer, soit 1 à 2 mg par jour, pour maintenir un bon équilibre dans l'organisme.

Dans le cas de l’hémochromatose, le corps absorbe tout le fer, sans parvenir à en éliminer le surplus. L’excès – alors qu’il n’en faut que quelques grammes, certains en stockent 1 kilo – est réparti dans plusieurs organes dont le cerveau, le cœur, et surtout le foie où il finit par déclencher de sérieux désordres, diabète, cirrhose, ou cancer. Mais les symptômes de l’hémochromatose peuvent être beaucoup plus anodins et ne pas attirer l’attention vers la surcharge en fer : rhumatismes, troubles sexuels, dépression, ostéoporose, fatigue inexpliquée… Une véritable encyclopédie médicale dans laquelle les médecins se perdent, seule explication de la discordance entre le nombre de gens atteints et la très faible notoriété de cette maladie. Il faut en effet 10 ans en moyenne pour aboutir à ce diagnostic pourtant aisé : une simple prise de sang suffit, dans l’immense majorité des cas.

L’hémochromatose nous vient des Celtes : il y a environ 4 000 ans, quelque part en Europe du Nord, un enfant celte fut, par pur hasard, victime d’une mutation génétique lors de sa conception. Aujourd’hui, la descendance de cet enfant porte sa marque de fabrique sur ses gènes. Inconnue dans la population noire et maghrébine, peu répandue en Espagne et en Italie, l’hémochromatose est très fréquente en terre celte, c’est-à-dire en Irlande et sur notre territoire en Bretagne.

La plus fréquente des maladies génétiques est aussi la seule maladie que l’on sache soigner. Son traitement est une autre originalité de la maladie et emprunte le remède favori des médecins de Molière : la saignée. Cette thérapeutique de comédie soigne parfaitement aujourd'hui les 200 000 personnes qui en souffrent. Quelques centaines de millilitres de sang qui doivent être ponctionnées régulièrement pour diminuer le stock de fer contenu dans l’organisme. Trois à quatre saignées par semaine – équivalente chacune à un don de sang – pendant plusieurs mois, qui permettent l'élimination de globules rouges très riches en fer : 500 ml de sang prélevés correspondent à une perte de 250 mg de fer. Pour fabriquer de nouveaux globules rouges, l'organisme a besoin de molécules de fer. Il ira donc les puiser dans les surcharges déposées sur les différents organes. Progressivement, on peut espacer les saignées, mais le bien-être retrouvé rend le geste presque agréable ! Un traitement efficace et moderne à condition que l’hémochromatose soit détectée à temps. Il faut demander à son médecin de prescrire, au moins une fois dans sa vie, avant l’âge de 35 ans, le dosage du fer dans le sang. Un examen très simple et peu coûteux qui fera le diagnostic.

C’est au professeur Axel Kahn et à ses collaborateurs de l’institut Cochin à Paris que l’on doit une découverte fondamentale pour l’avenir : celle d’une hormone recherchée depuis plus de 40 ans. L’hepcidine – c’est son nom – est au fer ce que l’insuline est au sucre. Le régulateur, qui décide de la pénétration du fer au niveau de notre intestin. La découverte de l’hepcidine ouvre incontestablement une nouvelle fenêtre sur les maladies liées au fer. À court terme, on devrait disposer d’un test permettant de doser cette hepcidine dans le sang. Pour dans un premier temps faire le diagnostic. Quant aux retombées thérapeutiques à long terme – on peut rêver de médicaments accélérateurs ou freinateurs de l’hepcidine plus high tech que la saignée –, elles devraient être considérables.

Docteur Jean-François Lemoine

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