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"Rupture anthropologique"

PMA pour toutes : comment l'Académie de médecine explique ses "réserves"

Par Raphaëlle de Tappie

Alors que l'Assemblée s'apprête à examiner le projet de loi de bioéthique qui comprend l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, l’Académie nationale de médecine a publié le 21 septembre un rapport où elle exprime des "réserves". 

BET_NOIRE/ISTOCK

"Il y a des risques qu’on ne peut pas négliger". Alors que l’Assemblée s’apprête à examiner mardi 24 septembre le projet de loi bioéthique qui comprend l’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires, l’Académie nationale de médecine a publié samedi 21 septembre un rapport où elle exprime des "réserves". "La conception délibérée d'un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure qui n'est pas sans risques pour le développement psychologique et l'épanouissement de l'enfant", note l'Académie nationale de médecine.

Dans son rapport, l’Académie, qui peut être saisie par une demande d’avis par le gouvernement et peut s’auto-saisir sur toute question concernant les domaines de la santé et de l’éthique médicale, assure que son but n’est pas de "donner un avis" sur une "mesure sociale" mais "estime de son devoir de soulever un certain nombre de réserves liées à de possibles conséquences médicales". Cet avis a été adopté par l’Académie par 69 voix pour, 11 contre et 5 abstentions en séance par l’Académie mardi 17 septembre.

L’Académie "reconnait la légitimité du désir de maternité chez toute femme quelle que soit la situation" mais explique qu’"il faut aussi, au titre de la même égalité des droits, tenir compte du droit de tout enfant à avoir un père et une mère dans la mesure du possible". "L'argument régulièrement avancé pour rejeter le risque pour l'enfant se fonde sur certaines évaluations, essentiellement dans quelques pays anglo-saxons et européens, faisant état de l'absence d'impact avéré sur le devenir de l'enfant", note l’Académie. Mais elle ne juge "pas très convaincantes ces données au plan méthodologique, en nombre de cas et en durée d'observation sur des enfants n'ayant pas toujours atteint l'âge des questions existentielles". Et d’insister : "De plus en plus malmenée par les évolutions sociétales, la figure du père reste pourtant fondatrice pour la personnalité de l'enfant comme le rappellent des pédopsychiatres, pédiatres et psychologues". 

Pour Agnès Buzyn, "ce n’est pas forcément un avis médical"

Suite à la publication de ce rapport, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a critiqué un avis "daté". "Considérer qu’il y a un lien direct entre défaut de construction de l’enfant et famille monoparentale est faux", a déclaré la ministre dimanche 22 septembre lors du Grand Jury LCI/RTL/Le Figaro. "Heureusement on arrive à se construire même quand on est élevé par un parent seul", a-t-elle poursuivi. 

"Aujourd’hui, a ajouté Agnès Buzin, nous avons un quart des familles françaises qui sont des familles monoparentales. On connait les difficultés de certaines de ces familles, notamment qui sont paupérisées (…). Mais ne me dites pas qu’un quart des enfants qui vivent et qui naissent dans ces familles ont des difficultés de construction. On a tous autour de nous des familles avec des enfants qui sont élevés par leur mère ou leur père, et on sait très bien qu’ils trouvent l’altérité, ils trouvent l’autre schéma ailleurs, dans des oncles, dans des tantes, à l’école (…). Je crois que les enfants se construisent avec la nécessité de comprendre quel est le rôle d’une mère ou d’un père. De là à dire qu’ils sont indispensables…".

La ministre en a par ailleurs profité pour rappeler que le vice-président de l’Académie nationale de médecine Jean-François Mattei est "un ancien ministre de la santé de droite (de 2002 à 2004, NDLR)" qui "exprime aussi son avis."  "Ce n’est pas forcément un avis médical, c'est un avis sociétal. Ce n’est pas là-dessus qu’on attend l'Académie de médecine", a-t-elle assené.

Ce lundi 23 septembre, le principal intéressé s’est défendu de tout conservatisme. "Je ne pense pas non plus qu’il soit tout à fait réactionnaire de constater que les hommes possèdent un chromosome Y et que les femmes n’en n’ont pas", a ironisé Jean-François Mattei au micro d’Europe 1 . "Et que pour faire un enfant, il est admis que l’espèce humaine est une espèce animale à reproduction sexuée. C’est-à-dire deux sexes". Aussi, "nous pensons qu’il y a des risques qu’on ne peut pas négliger".

"Nous parlons d’une rupture anthropologique"

"Les psychiatres, les pédopsychiatres et les psychologues, en très grande majorité, nous disent : "nous serions bien en peine de dire dans le détail ce qu’apporte la présence d’un père, mais en revanche, nous savons parler des conséquences de l’absence d’un père" (…) Quand il n’y pas de père biologique, qu’il n’y a pas de père social, qu’il n’y a pas de père parent, on est quand même dans une situation qui est nouvelle. C’est pour ça que nous parlons d’une rupture anthropologique. Et nous sommes dans l’inconnu", insiste-il.

D’après lui, certains de ses collègues refuseront d’ailleurs d’appliquer la PMA pour toutes. Quant aux manifestations prévues pour s’opposer à cette mesure, il déclare : "Quand on annonce des changements de société et qu’on n’est pas d’accord, on peut le faire savoir (…) J’ajoute qu’on manifeste pour les retraites, pour le climat, pour les fins de mois... Je trouverais assez curieux qu’on ne manifeste pas pour s’opposer ou pour faire savoir que les enfants sans père, dans une société comme la nôtre, ça n’est peut-être pas ce qu’il y a de mieux à faire."

Selon l’Insee, 1,7 millions de familles sont monoparentales en France, soit plus d’une sur cinq (22%). Dans 85% des cas, la mère est le chef de famille.