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Dispositifs médicaux

Prothèses de hanche : les dangers de la course à l'innovation

L'entreprise Ceraver aurait contourné la réglementation en vendant des prothèses de hanche sans attendre les autorisations nécessaires. Une nouvelle affaire de santé publique qui illustre la difficulté à règlementer sur les dispositifs médicaux sans entraver l’innovation.

Prothèses de hanche : les dangers de la course à l\'innovation DURAND FLORENCE/SIPA




Sale temps pour les implants. Alors que la société PIP est actuellement jugée à Marseille pour la commercialisation de prothèses mammaires frauduleuses, c’est au tour des prothèses de hanche de l’entreprise française Ceraver d’être pointées du doigt. Le journal Le Parisien a révélé jeudi matin que la société avait contourné la réglementation en mettant sur le marché des prothèses de hanche non conformes aux normes européennes et en réalisant un essai clinique chez l’homme sans autorisation. Pourtant, si des prothèses sont au centre des deux affaires, la comparaison s'arrête là.


La chirurgie orthopédique, pionnière de la gestion du risque


Alors que l’entreprise PIP doit répondre de tromperie aggravée, dans le cas de Ceraver, il semble plutôt que le numéro deux français de la prothèse orthopédique se soit pris les pieds dans sa course à l’innovation, en faisant délibérément fi des autorités sanitaires qui tardaient à le suivre. Les chirurgiens orthopédistes soulignent unanimement la qualité des produits de cette entreprise. La chirurgie orthopédique est même plutôt connue pour sa culture de la gestion du risque. Elle a été la première spécialité médicale à mettre en place un organisme d’accréditation auprès duquel les chirurgiens déclarent tous les « presque accidents » évités in extremis pour pouvoir les décortiquer et y apporter des solutions. Elle a également mis en place en 2007 un registre pour assurer la traçabilité des prothèses de hanche implantées en France. Problème, il n’est rempli que sur la base du volontariat. « Seules 2 à 3% des 120 000 prothèses totales de hanche implantées chaque année en France se trouvent dans le registre, faute de décision politique pour le rendre obligatoire », regrette le Dr Christian Delaunay, chirurgien orthopédiste à Longjumeau et coordonateur de ce registre. Mais même exhaustif, ce registre n’aurait pas permis de détecter plus vite les manquements de Ceraver.

Des prothèses sans risque sanitaire « a priori »


Il a donc fallu une visite de contrôle inopinée de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur deux sites de la société qui a permis de découvrir près d’un millier de prothèses non conformes à la réglementation européenne. Six cent cinquante prothèses non conformes auraient déjà été implantées à des patients dans une soixante d’hôpitaux français. « Il s’agit d’une non-conformité administrative, les prothèses ne présenteraient a priori pas de risque sanitaire », a assuré jeudi François Hébert, le directeur-général adjoint de l'ANSM. Selon l'agence, Ceraver aurait dû demander une modification du marquage CE de ces prothèses après l'entrée en vigueur en 2009 d'une nouvelle réglementation européenne. La société ne l'a pas fait, considérant les modifications apportées entre temps à ses prothèses suffisamment mineures pour ne pas nécessiter une nouvelle procédure. Le PDG de Ceraver Daniel Blanquaert a reconnu cette « entorse règlementaire ».

 

Ecoutez le Dr Jacques Caton, chirurgien orthopédiste à Lyon, fondateur de l’organisme d’accréditation Orthorisq : « Le problème du marquage CE, c’est que l’entreprise peut attendre la réponse pendant 2 ans »

 

Eviter les infections de prothèses, un enjeu de santé publique


Mais l’enquête de l’ANSM a également révélé que Ceraver s’était affranchi de la réglementation pour  tester chez l’homme un nouveau type de prothèse sans disposer des autorisations nécessaires. En juin 2011, à l'hôpital Ambroise-Paré de Boulogne (92), des médecins ont implanté dans le fémur de quatre patients des tiges métalliques portant un nouveau bio-revêtement antibactérien de Ceraver. L’enjeu sanitaire et commercial autour de ce nouveau dispositif semble particulièrement important puisqu’il devrait permettre d’éviter les infections qui surviennent sur 1 à 2% des prothèses.

 

Ecoutez le Dr Christophe Piat, chirurgien-orthopédiste au CHU Henri Mondor à Créteil (94) : « Ce biofilm a pour but d’empêcher les bactéries d’adhérer à la prothèse et de créer l’infection. »



Un enjeu scientifique a peut-être aussi pesé dans la balance. Les médecins ont peut-être, eux aussi, chercher à être les 1ers à implanter ces prothèses avec un revêtement antibactérien. Selon les dires de Daniel Blanquaert, le PDG de Ceraver, « le professeur Lortat-Jacob, qui travaille à l'hôpital Ambroisé-Paré de Boulogne depuis des années sur ces questions, partait en retraite » et lui aurait demandé « d'être le premier à poser ce revêtement ». Une version des faits contestée par les médecins.


L’entreprise a donc lancé son essai clinique sans autorisation, arguant notamment de la pression de ses concurrents. Le directeur-général adjoint de l’ANSM a précisé qu’une demande d'essai clinique avait été faite à posteriori et refusée par l’agence au vu de son protocole insatisfaisant. L’enquête demandée par la ministre de la Santé devrait éclaircir les responsabilités du fabricant, des chirurgiens et de leur hôpital. L’ensemble des dispositifs Ceraver non homologués ont été immédiatement retiré du marché et l’ANSM en a communiqué la liste détaillée pour que les chirurgiens orthopédistes puissent rappeler leurs 650 patients concernés, effectuer un contrôle clinique et radiologique et adapter leur suivi.

 

Mais en attendant, cette nouvelle affaire illustre la difficulté à règlementer sur les dispositifs médicaux sans entraver l’innovation. Impossible d’exiger qu’une prothèse de hanche ou un pace-maker démontre son efficacité dans une étude où la moitié des patients recevraient une prothèse placebo. A l’heure où les valves cardiaques sont quasiment faites sur mesure pour chaque patient, comment s’assurer que chacune d’entre elle soit dûment homologuée ? Experts et fabricants ne semblent visiblement pas sur la même longueur d’ondes que les autorités sanitaires. Une situation qui pourrait refroidir les patients souvent légitimement désireux de bénéficier des derniers progrès de la médecine mais pas forcément enclins à lui servir de cobayes.    

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