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Décision de l'ANSM

Baclofène : les médecins regrettent le manque de concertation

Par Anne-Laure Lebrun

Depuis le 24 juillet, les médecins n'ont plus le droit de prescrire le baclofène à haute dose. Une perte de chances pour certains patients.

SERGE POUZET/SIPA
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Le baclofène ne pourra plus être prescrit à des doses supérieures à 80 mg/jour. Cette décision de l’Agence du médicament (ANSM) a été annoncée ce mardi 25 juillet et doit être appliquée dès aujourd’hui par les médecins. Sur les réseaux sociaux, les praticiens, les associations d’usagers et de prescripteurs dénoncent une décision brutale prise sans concertation avec les acteurs de terrain.

Pour l’ANSM, limiter la dose maximale est une mesure de précaution. Elle a fondé sa décision sur une étude menée par ses services, l’Assurance maladie et l’Inserm et présentée début juillet. « Les résultats montrent que le risque d’hospitalisation et de décès augmente très clairement avec la dose de baclofène prescrite, rappelle le Pr Michel Reynaud, joint par Pourquidocteur. Il faut en tenir compte. Mais cette étude rappelle aussi que peu de patients prennent des doses supérieures à 180 mg/jour. »


"Les médecins doivent se débrouiller"

Pour traiter leur dépendance à l’alcool, environ 3 % des patients reçoivent des doses dépassant les 180 mg/jour et pouvant aller jusqu’à 300 mg de baclofène. Des patients qui vont donc voir la posologie de leur traitement divisée par 2 ou 3 quasiment du jour au lendemain. « Les médecins ont reçu de nombreux appels de patients angoissés par cette annonce, indique Jean-Pierre Couteron, président de Fédération Addiction. Et parmi eux, il y a des patients qui vont bien et qui sont suivis par leur médecin. Ce n’est jamais facile de modifier l’équilibre d’un traitement, surtout si ce dernier était bon ».

D’autant que la période ne s’y prête pas. « Nous sommes en plein milieu des vacances. Les médecins doivent gérer cette nouvelle décision en plus de celle de la codéine à un moment où certains cabinets sont fermés et que les centres de soins en addictologie sont en manque de personnels, regrette Jean-Pierre Couteron. L’ANSM a pris sa décision sans tenir compte des personnes qui doivent la mettre en œuvre, et les laisse maintenant se débrouiller ».

 

Mieux encadrer la prescription

Même son de cloche du côté du Pr Reynaud. S’il juge que la décision de l’ANSM « est compréhensible au vu des problèmes qu’ils ont rencontrés avec le Mediator et d’autres médicaments », il déplore le manque de concertation. Il rappelle aussi que cette décision pourrait compromettre la guérison de milliers de malades.

A ce jour, les études n'ont pas encore mis en évidence un lien entre la dose et l'efficacité du traitement. Les médecins prescrivent donc au cas par cas cette molécule en augmentant progressivement la dose. L’addictologue estime ainsi que limiter la dose maximale à 80 mg fera perdre des chances à des patients qui auraient pu bénéficier de doses plus importantes. « Au-delà de 80 mg/jour, je pense qu’il faut mettre en place une collaboration étroite entre le médecin traitant et une équipe spécialisée en addictologie pour traiter les comorbidités, les troubles psychiatriques ainsi que les co-consommations, et éviter les consommations importantes d’alcool sous baclofène ».

Des médecins militants ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne respecteraient pas les nouvelles conditions de prescription. Les deux spécialistes craignent que cette décision de l’ANSM relance les discussions « malsaines » autour de ce médicament et appellent à un débat serein. « Grâce au baclofène, le nombre de patients suivis pour des problèmes d’alcool a doublé en 5 ans. Nous sommes passés de plus de 100 000 patients à 200 000 chaque année, c’est un énorme progrès. Il s’agit maintenant de trouver la place de ce médicament dans l’arsenal thérapeutique contre l’alcoolisme », conclut le Pr Reynaud.