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En France et dans le monde

La course des chercheurs pour redonner une motricité à des paralysés

Par Mathias Germain

Des chercheurs anglais ont réussi à refaire marcher des chiens paralysés. En France, un centre de recherche unique au monde est autorisé à développer des protocoles interface homme-machine. 

MOTS-CLÉS :

Redonner de l’autonomie à un paralysé n’est plus un rêve impossible. Des scientifiques de l’université de Cambridge ont réussi récemment à faire marcher des chiens paralysés des pattes arrière à la suite d'une lésion de la moëlle épinière. Les chercheurs ont utilisé une thérapie cellulaire. Le traitement a consisté à injecter à l'endroit de la blessure, qui s’était faite naturellement, des cellules prélevées dans les cavités nasales des animaux. Les cellules olfactives ont la particularité étonnante de permettre la «réparation» des liaisons nerveuses sectionnées. « Nous sommes persuadés que cette technique pourrait au moins restaurer une petite part de mouvement aux personnes qui ont des lésions de la moelle épinière mais c’est un long chemin avant de dire qu’ils pourront retrouver toutes les fonctions perdues »,  a déclaré le Pr Robin Franklin, un des responsables de ces recherches.

Une paralysée réussit à attraper une bouteille et à boire
Pour relever ce défi, d’autres équipes scientifiques font des choix différents de la thérapie cellulaire. Par exemple, une « interface cerveau machine » qui consiste à reconnecter le cerveau d’une personne totalement paralysée à un fauteuil roulant, à un bras articulé, à un exosquelette.
La technique se fonde sur les travaux de la neurostimulation intra-cérébrale profonde initiée par le Pr Alim-Louis Benabid au CHU de Grenoble à la fin des années 80. Avec beaucoup de précaution, la technologie se perfectionne de plus en plus.
Déjà en avril dernier aux Etats-Unis, Cathy, une femme paralysée depuis quinze ans, à la suite d'une attaque cérébrale, a pu redécouvrir une certaine forme d’autonomie. Grâce à un bras externe, robotisé et commandé par son cerveau, cette personne a réussi à attraper une bouteille, la porter à sa bouche et boire le café qu’elle contenait avec une paille… Un exploit humain et technologique réalisé par une équipe de l’institut de cerveau à Providence (Etat de Rhode Island) et rendu possible grâce à un implant électronique.


En France aussi, des équipes d’ingéneurs et de médecins se préparent à ce type d’expérience chez l’homme. Clinatec, un centre de recherche bioclinique unique au monde situé à Grenoble, fondé en 2009, a reçu cet été les premiers feux verts de  de l’agence régionale de santé (ARS) pour mener des protocoles de recherche clinique.


Ecouter le Pr François Berger, neurologue et directeur de Clinatec: 
« Le fait marquant est que Clinatec est labellisé par les instances réglementaires et peut recevoir des malades ».
 


Des implants à la surface du cortex
L’équipe a conçu deux implants biocompatibles que les neurochirurgiens pourront déposer à la surface des cortex moteurs droit et gauche d’une personne. « Notre technique n’est pas invasive comme celle des américains : nos implants ne pénètrent pas dans le cortex, précise le neurologue François Berger, directeur de Clinatec. Il s’agit de deux boîtiers miniatures, composés de soixante électrodes, et enrobés d’un silicone biocompatible. Ils captent l’activité électrique du cerveau, la décodent, et enfin passent la commande via à un dispositif sans fil. « L’analyse du signal de tant d’électrodes a été une grosse partie du travail, décrit François Berger. Les algorithmes ont été validés par des expérimentations précliniques sur des rats puis des singes ».

Mais reste à savoir où disposer précisément à la surface du cerveau de l'homme ces implants ? « Il est probable que la localisation de la fonction motrice dans le cerveau d’une personne tétraplégique ne soit pas la même que celle d’une personne en pleine forme physique,  explique Pr François Berger. C’est pourquoi nous allons réaliser des essais pour personnaliser la localisation des implants chez des volontaires sains et des tétraplégiques, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) nous a donné le feu vert pour démarrer d’ici la fin novembre. » 


Ecouter le Pr François Berger:
 « On a mis en place des algorithmes  pour personnaliser la localisation des implants. »
 


Faire marcher un tétraplégique à l’aide d’un exosquelette
Objectif : capter l’activité cérébrale volontaire de façon efficace, la décoder pour en faire une commande ou une action de plus en plus complexe jusqu’à réussir à faire marcher un tétraplégique à l’aide d’un exosquelette. Autre étape importante, les personnes paralysées, volontaires pour participer à cet essai clinique, vont devoir s’entraîner à faire des tâches mentales, à bouger le bras par exemple, un peu comme des sportifs de haut niveau qui préparent mentalement l’éxécution d’un enchaînement technique ou prévisualise une course.
Cela prendra du temps. Cathy, la patiente américaine a eu son premier implant en 2005 avant de pouvoir saisir une bouteille sept ans plus tard. « Cela demande un travail de sélection pour inclure dans cet essai les malades capables de réaliser cet apprentissage, explique le directeur de Clinatec. Nous travaillons avec un réseau de rééducateurs spécialisés dans le handicap, puis grâce à l’imagerie fonctionnelle les neurochirurgiens pourront vérifier l’état physiologique du cerveau et son activité pour personnaliser la localisation de l'implant » Vingt personnes devraient être inclues dans ce protocole.


Pour faire cette sélection et suivre au plus près, ce qui se passe dans leur cerveau, le centre dispose d’une plateforme d’imagerie ultra performante. « Nous disposons d’un bloc opératoire équipé des toutes dernières technologies d’imagerie médicale afin de vérifier l’efficacité et l’innocuité de la technologie chez l’homme, décrit François Berger. Par exemple, le bloc est équipé d’une IRM intra opératoire de 1,5 tesla, une première en France, qui permettra de réaliser des images du champ opératoire très précises pour assurer un parfait répérage des implants et de leur impact au sein des tissus ».
La spécificité de Clinatec (voir ci-dessous) est de concentrer sur un même lieu, la recherche médicale et technologique. La conception et la réalisation des implants a été faite sur le site. Aujourd’hui, celui-ci accueille des équipes du CEA LIST de Saclay spécialisées dans la robotique interactive pour concevoir l’exosquelette de leur rêve. « Mais il existe déjà sur le marché des exosquelettes qui fonctionnent, indique le directeur de Clinatec qui rappelle qu’une société japonaise a fait des démonstrations d’un exosquelette baptisé HAL en 2011. Mais sans commande directe à partir du cerveau d’une personne, donc là le travail qu’il y a à faire c’est de relier l’agorithme de signature électrique du mouvement, issu de l’implant cérébral, à l’exosquelette pour le commander ».
Autrement dit relier le cerveau à la machine. « Ce sont des protocoles qu’on est en train de finaliser actuellement ». Sous réserve des autorisations nécessaires, les essais pourraient commencer d’ici la fin 2013.

  

Clinatec
Un centre français qui rapproche l’innovation technologique du lit du malade

Le projet interface cerveau machine est un des projets phares de Clinatec, mais ce n’est pas le seul loin de là. Par exemple, le centre de recherche bioclinique a développé un nouveau dispositif médical pour explorer le cerveau. Il devrait permettre de capturer des cellules du cerveau sans faire de biopsies. «  Il n’est pas concevable de faire une biopsie dans la substance noire, ou dans l’hippocampe d’une personne atteinte d’Alzheimer, explique François Berger, le directeur de Clinatec.
Comment comprendre les mécanismes moléculaires en jeu dans les maladies neurodégénératives en évitant les dommages liés à une biopsie ? Pour cela, les équipes de médecins, de biologistes et d’ingénieurs ont mis au point un stylet très fin recouvert de silicium micro-nano-structuré, un matériau qui a la propriété de capter de l’information moléculaire sans abîmer les tissus.


Ecouter le Pr François Berger: « On va faire une empreinte un peu comme de la biologie moléculaire en criminalogie, c’est-à-dire on va capter quelques cellules dans le cerveau du fait des propriétés de ce matériau. »
 


La technique a été expérimentée et validée chez l’animal. Reste à faire des essai chez l’homme. « La première application sera d’explorer les régions autour des tumeurs cancéreuses intra-cérébrales pour comprendre comment un tissu normal accepte le développement d’une tumeur, poursuit le Pr Berger. Dès qu’on aura montré chez ces patients que la technologie n’est pas dangereuse, on passera aux pathologies qui sont abordées par la neuro-stimulation intra-cérébrale, c’est-à-dire la maladie de Parkinson, les troubles du mouvement, et pourquoi pas certains pathologies psychiatriques où là aussi les mécanismes restent peu connu du fait de l’inaccessibilité au cerveau malade ».
D’autres projets sont en cours. Clinatec prépare un essai pour valider des technologies capables de détecter des biomarqueurs à partir de l’air expiré par une personne. D’autres équipes travaillent sur la délivrance ciblée de médicaments… Les technologies développées par Clinatec peuvent aussi concerner d’autres organes que le cerveau, en particulier en cancérologie. En bref, ce centre développe les outils de la médecine de demain.


Un bloc équipé des nouvelles technologies

Il est né en 2009 d’un partenariat entre le CHU et l’université de Joseph Fournier de Grenoble, le CEA et l’Inserm. Depuis 2012, il a intégré de nouveaux locaux adaptés pour développer cette synergie entre médecins, biologistes, ingénieurs… Une synergie indispensable pour accélérer dans les meilleures conditions de sécurité le passage des nouvelles technologies au lit du malade. Cela permet de parler le même langage et de réinventer les protocoles nécessaires pour encadrer ces recherches innovantes. « Ce qui est unique au monde c’est que nous avons sur un même site toute la chaîne pour développer les technologies, avec un secteur pré-clinique, qui dispose notamment d’une animalerie avec des grands animaux comme des porcs ou des singes, qui vont mimer les interventions à l’identique de ce qu’on va faire chez l’homme », décrit le Pr François Berger. Le centre a à sa disposition toutes les dernières techniques d’investigation et de suivi utilisant l'imagerie et la biologie pour vérifier l’efficacité et l’innocuité. « Le but est d’anticiper et de prédire les effets secondaires et le fonctionnement d’une technologie innovante » souligne -t-il.


Eouter le Pr François Berger:
 « On a placé le centre là où se conçoit les technologies pour deux raisons.»


Le centre dispose de six chambres pour accueillir les patients. Le secteur clinique est assuré par les équipes médicales du CHU de Grenoble. Sécurité et éthique sont les mots clés. « Humilité aussi, il ne faut surtout pas générer des espoirs infondés, ni vendre des miracles, déclare François Berger. Nous voulons traiter des personnes qui ont des pathologies qui ne répondent pas au traitement conventionnel, avec deux principes l’analyse des bénéfices/risques et le consentement éclairé. » Le centre participe aux réflexions éthiques menées au niveau européen sur les dispositifs médicaux implantables et les nanotechnologies.


Ecouter le Pr François Berger:
 « Il ne faut surtout pas générer d'espoirs infondés chez les patients, il faut rester extrêmement humble."
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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