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Mort naturelle à domicile

Constat de décès : pourquoi les médecins ne veulent plus en faire

Par Marion Guérin

Les médecins qui acceptent de remplir à domicile des constats de décès se font rares, faute de main d'œuvre et de rémunération d’un acte dont la réglementation reste floue.

Jochim Gary/SUPERSTOCK/SIPA

Un jour d’automne, un octogénaire est retrouvé à son domicile, sans vie. Les voisins ont donné l’alerte ; les officiers de police sont sur place pour recueillir les traces et indices confirmant qu’il s’agit d’une mort naturelle. Ils contactent un médecin, seul habilité à rédiger le constat de décès, et attendent sa venue. Une heure, deux heures. Cinq heures.

A Nancy, cette étrange situation survient régulièrement. « En ce moment, c’est trois-quatre fois par mois, soupire Abdel Nahass, secrétaire départemental du syndicat Unité SGP-Police-FO. Ce n’est pas plus possible. Nos équipes prennent de forts risques psycho-sociaux en restant des heures près d’un cadavre. Et lorsqu’elles sont ainsi mobilisées, elles ne peuvent pas travailler sur d’autres dossiers ».

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Abdel Nahass, secrétaire départemental d'Unité SGP-Police-FO : « Cet été, nous avons attendu des heures près d’un corps, en pleine canicule… Quand nous l’avons rendu à la famille, il était en très mauvais état ».

Un acte non rémunéré

Dans cette commune de Meurthe-et-Moselle, comme ailleurs en France, établir un certificat de décès à domicile relève parfois du casse-tête chinois. Autrefois, cette mission incombait au médecin d’état civil, mais avec la disparition de cette profession au début des années 2000, elle a été transférée aux libéraux.

Avec de nombreuses difficultés. De fait, les praticiens qui acceptent de remplir le fameux papier bleu ne cessent de se raréfier sur le territoire. Et pour cause : l’acte n’est pas rémunéré, puisque l’Assurance Maladie ne prend en charge que les soins fournis aux vivants. Ce geste, fondé sur la générosité des médecins traitants, ne fait pas partie de la Permanence des Soins (PDS) qui permet aux instances sanitaires régionales de réquisitionner des médecins en cas de besoin – moyennant salaire, bien entendu.

En fait, autour du certificat, il existe une sorte de vide réglementaire qui ne convient plus aux généralistes. « Tant que nous faisions le gros dos, tout le monde s’en fichait, relève Roland Rabeyrin, du syndicat MG France. Sauf que pour des raisons de démographie médicale, les zones d’astreintes ont été élargies au gré des réformes. Pour dresser un constat, il nous faut parfois faire trois heures de route sans même être indemnisés pour le carburant ! »

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Roland Rabeyrin, médecin généraliste MG France : « Les médecins continuent d’assurer cette mission pendant les horaires d’ouverture du cabinet. En dehors, c’est plus compliqué. »

Des morts peu rentables

Pour pallier le manque de main-d'œuvre, la société SOS Médecins a investi ce terrain délaissé de la médecine post-mortem. En Meurthe-et-Moselle, par exemple, elle a conclu un partenariat avec la police, qui peut la solliciter afin de remplir dans un moindre délai le constat. La rémunération est fixée par un texte réglementaire à une cinquantaine d’euros. Lorsque c’est la famille qui appelle, alors, les médecins tarifent selon l’heure d’intervention (de 50 à 80 euros la nuit et les week-ends).

Sauf que cette bonne entente semble rencontrer ses limites. « Lorsque nous appelons SOS Médecins, la première question qu’ils nous posent, c’est : est-ce que la famille est sur place ? Si la réponse est négative, alors, ils ne se déplacent pas », accuse Abdel Nahass, qui suspecte l'entreprise de ne voir que son intérêt financier.

De fait, récupérer ses honoraires auprès de la famille semble plus aisé que de passer par l’administration judiciaire, qui peut mettre des mois, voire des années, avant de payer les praticiens de SOS Médecins. De plus, seules les morts « non naturelles » (suspectes) sont rémunérées, puisqu’elles induisent une réquisition judiciaire. « Nous nous sommes déplacés tant de fois pour que la police conclue à une mort naturelle et nous renvoie chez nous, rappelle Joseph Fabre, président de SOS 54. En l’absence de réquisition, nous ne sommes pas tenus de nous déplacer. Personne en France ne travaille gratuitement ! ».

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Joseph Fabre, président de SOS Médecins 54 : « Nous avons passé cette convention pour rendre service, alors que rien n’oblige un médecin à se déplacer lorsque la police appelle. »

Des vivants à la morgue ?

Cet été, pendant l’épisode de canicule, la situation a atteint un tel point critique que le parquet de Nancy a autorisé des officiers de police judiciaire (OPJ) à réquisitionner des médecins légistes et à commander le transport du corps à la morgue de l’Institut Médico-Légal par une compagnie de pompes funèbres.

Un dispositif exceptionnel qui a choqué Abdel Nahass. « Outre les frais liés à cette procédure, de l’ordre de 2 000 euros par décès, le risque d’envoyer une personne vivante à la morgue est bien réel ! Le légiste vient constater le décès plusieurs heures après que le corps a été mis au frigo… Mais nous, nous ne sommes pas médecins ! La personne peut aussi bien être dans le coma ! »

La situation lorraine est loin d’être isolée. Partout en France, des difficultés s’accumulent autour du constat de décès. « Parfois, c’est un véhicule du Samu qui doit se déplacer parce qu’aucun médecin ne daigne le faire, fulmine Christophe Prudhomme, porte-parole de l'AMUF (Association des Médecins Urgentistes Hospitaliers de France). C’est 350 € la demi-heure pour la voiture, et ce n’est pas notre rôle. L’Etat n’assure pas cette mission publique ».

Parler d’argent autour d’un cadavre peut choquer. Pourtant, c’est bien là le cœur du problème, et il serait difficile de jeter la pierre à ceux qui réclament rémunération contre labeur. L’Etat en a d’ailleurs bien conscience. Des amendements au projet de loi santé et au projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) ont été déposés afin d’intégrer le certificat de décès à la Permanence des Soins, ou encore pour mettre en place une rémunération forfaitaire.