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Lendemain qui chante

Procrastination : comment ne plus succomber ?

Par Stanislas Deve

La procrastination désigne la tendance à remettre au lendemain ce qu’on pourrait faire dans l’immédiat. Un comportement inoffensif à bien des égards, mais qui peut être source d’angoisse pour soi et son entourage, voire pathologique quand il devient chronique. Une psy nous explique comment en finir avec cette fâcheuse habitude. Et pourquoi pas aussi l’apprivoiser.

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« Je le ferais demain. » Combien de fois avons-nous prononcé cette phrase, repoussant une corvée ou une décision à un futur incertain, alors même qu’on pourrait la faire tout de suite ? Tout le monde procrastine : l’étudiant qui reporte ses révisions au matin, le locataire qui laisse sa vaisselle s’accumuler, l’employé qui ne boucle pas son rapport, le quadragénaire qui tarde à prendre rendez-vous pour un dépistage... Ne parlons même pas du dérèglement climatique, sur lequel le monde entier procrastine depuis un demi-siècle. D'après un sondage YouGov publié en 2019, près de 6 Français sur 10 remettent régulièrement des choses au lendemain. Résultat, ils se retrouvent à devoir faire la chose dans l’urgence, au risque de la bâcler. Et de regretter de ne pas s’y être attelé avant. Comment ne plus succomber aux sirènes de la procrastination ?

« La procrastination, c’est d’abord un manque de motivation à l’égard d’un objectif. Pour la retrouver, la première chose à faire est donc d’en identifier les causes, affirme Shékina Rochat, docteure en psychologie et auteure de Vaincre la procrastination – 24 clés pour agir maintenant et éviter de remettre à demain (éd. Mardaga, 2022). Est-ce parce que ce but n’est pas assez important, prioritaire à nos yeux ? Parce que la tâche suscite trop d’émotions désagréables, comme l’ennui ou la peur de l’échec ? Parce que les résistances venant de l’extérieur ou notre manque de compétences génèrent un sentiment d’impuissance ? En fonction de pourquoi on manque de volonté, on peut tenter d’agir dessus de manière spécifique. »

« Sens, plaisir et défi »

Pour retrouver la foi de faire son ménage ou de terminer ce dossier, une solution serait de redonner un peu de sens, de plaisir et de défi aux tâches laborieuses. « Si le but ne nous paraît pas important, replacez-le dans un contexte plus large, un objectif à long terme, qui fait sens à vos yeux », préconise la psychologue. Comme par exemple accueillir son crush dans un logement propre ou assurer une future promotion dans son entreprise. Quant au plaisir et au défi, on peut les trouver partout, même dans la tâche la plus banale, comme faire sa lessive : « Vous pouvez la faire en musique et en chantant, ou de manière la plus écologique possible en fabriquant vos propres produits, ou en un temps record. La tâche n’est alors plus un objectif de bas niveau : elle devient un défi, une activité stimulante. » C’est la même logique pour tout, même pour se remettre au sport après cinq ans sans bouger un orteil : « Voyez-le comme un jeu, une activité de bien-être, un accomplissement en soi plutôt qu’un sacrifice pour une meilleure santé. »

La stratégie est d’autant plus efficace si le labeur est réalisé en fonction des traits de sa personnalité. « Vous pouvez envisager la tâche comme un moyen d’exprimer qui vous êtes sous votre meilleur jour. Si une de vos qualités est la créativité, essayez de l’exprimer à travers la corvée. Si c’est la gentillesse, faites la tâche de manière à ce qu’elle ‘’rayonne’’ sur les autres (conjoint, collègues...). Adapter la tâche à soi – ses besoins, ses désirs, ses intérêts – c’est la clé. » Ce qui exige naturellement « de bien se connaître, voire un certain effort d’imagination ».


Quelques lois « anti-procra »

Garder le meilleur pour la fin. L’organisation, c’est la clé, disent-ils ! Pour en finir avec la procrastination, on peut commencer par... le pire. « Certaines études ont montré qu’on a plus de "self-control" le matin, que les lève-tôt procrastinent moins que les lève-tard. Commencez donc par les tâches qui vous rebutent le plus, et gardez pour la fin les tâches les moins ingrates. » Mieux : regrouper en un seul bloc toutes les obligations les plus plaisantes permettrait de « booster votre bien-être – plus que si vous les distillez tout au long de la journée ».

Bannir certaines expressions. Le vocabulaire a son importance quand il s’agit de ne plus remettre à demain. « Oubliez les "il faut que", "je dois" ou "je vais", qui mettent une pression externe. Mieux vaut privilégier les "j’aimerais" : je n’ai pas envie de passer du temps sur ma déclaration d’impôts, mais j’aimerais que ce soit fait ou j’aimerais ne pas avoir de pénalités », explique Shékina Rochat. Un conseil à suivre aussi pour la rédaction des « to-do » listes : « Plutôt que d’énumérer les choses à faire, listez celles que vous aimeriez faire ou avoir fait aujourd’hui, ou encore les raisons qui rendent cette tâche primordiale. Vous serez ainsi poussé par votre motivation intrinsèque, et non pas seulement la contrainte. »

Se donner du temps plutôt que des échéances. Se fixer des deadlines, c’est bien quand il y a une échéance réelle, comme rendre un article à temps : « On finira toujours par faire la chose, même si c’est au dernier moment. » Toutefois, s’imposer des échéances n’est pas aussi efficace lorsqu’il s’agit de continuer l'écriture d'un livre ou de prendre rendez-vous chez le dentiste, soit des tâches qui « n’auront aucune véritable conséquence négative » si on ne les fait pas dans l’immédiat. « Plutôt que se fixer une date butoir, il est plus pertinent de se fixer un temps durant lequel on va se consacrer à la tâche dans la semaine, par exemple deux heures le samedi », selon la psychologue.

Imaginer le pire. Place aux « scénarios catastrophes ». L’idée ici est de se focaliser sur le verre à moitié vide, sur le négatif, et pourquoi pas, le pire. Que se passerait-il si, finalement, je n’accomplissais jamais cette tâche ? A quoi est-ce que je ressemblerais si je ne lavais pas mes vêtements pendant deux mois ? « Imaginer les pires conséquences de notre inaction peut nous donner une décharge d’adrénaline, plus susceptible de nous faire passer à l’action que la seule perspective du linge propre. » Attention, stratégie à double tranchant, car « anticiper le pire avant un dépistage chez le médecin peut nous paralyser et finir par nous empêcher d’y aller ». A user avec modération, donc !

Miser sur les rituels. Pour ne pas succomber à la procrastination, une solution est de s’imposer une routine. Pas celle synonyme de vie plate et répétitive, non : celle qui cadence le quotidien par des rituels. « A chaque fois qu’on se pose la question (est-ce que je prendre les escaliers ou l’ascenseur ?), on se laisse une chance de choisir la facilité (l’ascenseur), alors que si c’est intégré à une routine, on ne s’interroge même plus : on prend les escaliers et c’est tout. Fini le doute, l’hésitation », assure la docteure en psychologie, qui prend l’exemple du brossage de dents : « On a pris l’habitude de le faire, même si on est très en retard ! » Ménage le mardi, lessive le jeudi, courses le vendredi, sport le lundi... L’idée est de prendre un rythme et de s’y tenir quelques semaines, pour que l’habitude soit bien ancrée. « Cela vous fera gagner du temps et de l’énergie, car plus on prend de décisions par jour, même anodines, plus on se fatigue. »

De la bienveillance envers soi, s’il vous plaît !

Avec la procrastination vient souvent la culpabilité. A tort, car cela ne ferait qu’empirer le phénomène. « Le problème n’est pas tant qu’on procrastine mais que l’on culpabilise de procrastiner. Or, des études montrent que plus on culpabilise d’avoir procrastiné, plus on risque de procrastiner à la prochaine occasion... C’est un cercle vicieux ! A l’inverse, si on fait preuve de compassion ou de bienveillance envers soi-même, on n’a moins tendance à procrastiner par la suite », explique Shékina Rochat. « Soyez aussi indulgent avec vous-même que si c’était un ami : jamais cela nous viendrait à l’idée de le faire culpabiliser parce qu’il n’a pas fait sa vaisselle ! »

La bienveillance envers soi, c’est aussi « se donner le droit de ne pas toujours être dans l’action, de se laisser du temps pour réfléchir à la tâche, ou de ne pas tout terminer en une fois », selon la psy. « Si vous prenez la décision de faire votre nettoyage de printemps la semaine prochaine plutôt qu’aujourd’hui, vous n’avez pas procrastiné : vous avez simplement prévu de la faire un autre moment ! Se donner ce droit-là, c’est aussi éviter la culpabilité et donc se donner plus de chances de passer à l’action le moment venu. »