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Santé publique

Amiante: tous concernés

Par La rédaction

Une exposition, même passive à l'amiante, se révèle dangereuse. Une situation d'autant plus inquiétante qu'il n'existe aucun recensement des zones amiantées.

L'amiante sortirait-elle des murs de Jussieu et de quelques établissements pour devenir une menace qui concerne tout le monde ? La question est désormais clairement posée avec la publication coup sur coup de plusieurs enquêtes de l'Institut de veille sanitaire (InVS) démontrant qu'une exposition même passive à ce toxique peut entraîner mésothéliomes et cancers bronchiques. En quelques jours, cette reconnaissance officielle des dangers de l'amiante de l'environnement a fait prendre une nouvelle dimension à ce dossier déjà bien lourd. Et pour la première fois, la médecine du travail, montrée du doigt depuis longtemps par les associations, est appelée à rendre des comptes. Cette semaine, un médecin du travail employé pendant plus de 20 ans dans les usines Férodo-Valeo à Condé sur Noireau (Calvados), a été mis en examen par la juge d'instruction Marie-Odile Bertella-Geoffroy pour « homicides et blessures involontaires, et non assistance à personnes en danger ». Il aurait failli à ses obligations d'informer et de protéger les salariés des dangers de l'amiante. A l'époque, ce praticien était membre et expert du Comité permanent amiante, groupe de pression des industriels de l'amiante.

 

Plus de cent ans après la première prise de conscience des risques liés à l'utilisation de ces fibres, dix ans après leur interdiction (en 1997), médecins et citoyens ne sont encore pas à l'abri des mauvaises surprises. Le 19 octobre, une antenne de l'InVS a publié un rapport admettant que l'activité d'une usine de broyage d'amiante à Aulnay-sous-Bois avait entraîné de lourds dégâts chez les riverains. Cette production d'amiante, durant une cinquantaine d'années, « a engendré une exposition environnementale à laquelle on peut rattacher de façon totale ou partielle 11 cas de maladies liées à l'amiante, dont 4 mésothéliomes et 7 cas de plaques pleurales », constate le rapport.
Un bilan déjà lourd, mais probablement pas définitif, vu le long délai de latence (plusieurs décennies) entre l'exposition aux fibres et la survenue de pathologies broncho-pulmonaires. Un numéro vert a d'ailleurs été mis en place par le ministère de la santé pour les personnes ayant habité à proximité de l'usine pendant sa période d'activité, entre 1938 et 1975. « C'est la première fois en France qu'un rapport officiel valide une contamination environnementale par l'amiante », constate l'Andeva, l'association nationale de défense des victimes de l'amiante, qui se bat depuis plus de dix ans pour faire reconnaître les droits des malades et améliorer la prévention .

 

Une contamination passive

 

Dans la foulée, un numéro spécial du bulletin épidémiologique hebdomadaire consacré entièrement à l'amiante révèle une autre « première » tout aussi inquiétante. Cinq scientifiques travaillant à l'université de Jussieu ont présenté un mésothéliome. Si tous étaient présents au moment de la construction du bâtiment, et y ont travaillé plus de dix ans, « aucune exposition professionnelle active, domestique ou environnementale n'a pu être identifiée, excepté l'utilisation rare de produits de protection pour certains », notent les auteurs du BEH. En clair, ces enseignants-chercheurs n'ont pas été exposés activement à l'amiante par leur activité professionnelle, mais passivement par leur présence régulière dans des bâtiments floqués et mal entretenus. Plusieurs d'entre eux se sont plaints de devoir fréquemment dépoussiérer leur bureau de fibres tombées du faux-plafond, écrivent les auteurs de l'article, qui ont été prévenus de ces cas par le comité anti-amiante Jussieu. Au total, celui-ci a déjà recensé 130 cas de maladie professionnelle liée à l'amiante sur le campus, ceux-ci concernant avant tout des travailleurs exposés de façon active. Selon Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur, le chantier de désamiantage a déjà été réalisé aux 2/3 et devrait être terminé d'ici fin 2011…

 

« On sait depuis longtemps qu'il y a des contaminations environnementales, mais ce qui est nouveau c'est la reconnaissance officielle, assure François Desriaux, président de l'Andeva. Notre préoccupation majeure, c'est que, dix ans après l'interdiction de l'amiante, des gens y sont encore exposés, parfois sans en avoir conscience». Et de citer l'exemple d'une femme qui a découvert en même temps que son mésothéliome qu'elle avait été en contact avec de l'amiante en travaillant dans des bureaux d'une tour.

 

Aucun recensement des bâtiments

 

Michel Parigot, vice-président de la même association et président du comité anti-amiante de Jussieu confirme le manque d'informations fiables des citoyens sur leur exposition éventuelle à ce toxique. « En pratique, il n'existe pas de recensement des bâtiments et zones amiantés. Les propriétaires sont soumis a une obligation de repérage de l'amiante, mais il n'y a ni centralisation, ni contrôle de ces diagnostics », relève-t-il. Depuis des années, le président du comité anti-amiante de Jussieu réclame que ces données soient accessibles à tous, sur internet. En vain. Pourtant, il y a d'autres Jussieu et Aulnay-sous-Bois, selon les experts du dossier.

Un exemple ? Le CHU de Caen. Fin 2006, Michel Parigot est allé y faire une visite sauvage. Au 23e étage, siège de locaux techniques, il a découvert une situation « inimaginable » . « Le sol était jonché de fibres, et les rondiers passaient au milieu comme dans un chemin de neige, sans aucune protection. Pourtant, le CHU avait été contrôlé en 1997, avec obligation de travaux dans un délai d'un an », raconte-t-il. A la suite de ce «contrôle inopiné », des mesures de protection des personnels ont été mis en place.
Le cas extrême, mais pas unique. « Tous les bâtiments importants construits dans les années 70 ont été floqués à l'amiante. Jussieu est caricatural, car mal entretenu, mais ce n'est pas la seule université où on voit tomber de la poussière d'amiante des faux plafonds », renchérit le Pr Marcel Goldberg, épidémiologiste (Inserm, InVS). D'après les prévisions de ce spécialiste, environ 800 à 900 cas de mésothéliome sont recensés chaque année, des chiffres qui devraient doubler dans les vingt années à venir. Quant aux cancers bronchiques, entre 16 et 33% seraient liés à une exposition professionnelle à l'amiante, selon l'Institut de veille sanitaire. Une origine à laquelle les médecins doivent apprendre à penser, pour permettre à leurs patients d'avoir une reconnaissance professionnelle de leur maladie.


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