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Cancer, maladies cardiovasculaires

Les femmes « trinquent » plus que les hommes

Par Cécile Coumau

En 2008, l’espérance de vie des Françaises a reculé. Elles se rapprochent de celle des hommes dont elles copient les comportements à risques.

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En 2035, le combat des féministes sera définitivement gagné. Le fossé entre les hommes et les femmes sera comblé… en matière d’espérance de vie. Les deux courbes se rejoindront, nous prédisent des chercheurs américains. Mais que l’on se rassure, les Etats-Unis auront sans doute une bonne longueur d’avance sur nous. « Je ne crois pas du tout à cette échéance de 2035, prévient France Meslé, chercheur à l’Institut national des études démographiques. Les écarts vont disparaître mais pas à si brève échéance », analyse la démographe. Il faut dire qu’aux Etats-Unis, quatre petites années d’espérance de vie séparent les hommes des femmes alors que dans l’Hexagone, la gent féminine a presque 7 ans d’avance sur le sexe dit fort.

L’espérance de vie des Françaises marque cependant le pas. Le phénomène n’est pas vraiment nouveau. Depuis 1992, l’écart entre les deux sexes se réduit. Mais, tout récemment, l’Insee a enregistré dans ses dernières statistiques une petite baisse de l’espérance de vie des femmes, passant de 84, 4 ans en 2007 à 84, 3 ans en 2008, alors que celle des hommes continuait à grimper. Pas de quoi s’affoler, selon la chercheuse de l’Ined. « Ce n’est pas la première fois que l’on constate des petits dérapages. Mais d’habitude, il y a une explication. La dernière fois, c’était la canicule de 2003. Cette fois, nous n’en avons pas. Il faudra surveiller les chiffres de l’année prochaine pour voir si la tendance se confirme.»


Pourquoi les femmes perdent-elles du terrain ? Démographes et professionnels de santé s’accordent sur ce point : c’est avant tout parce que les hommes prennent mieux en charge leur santé. Plus prompts à fumer, ils ont été aussi plus rapides à arrêter. « Je suis désolée quand je constate que les campagnes de prévention contre le tabac ont plus d’effet sur les garçons que sur les filles, déclare le Dr Tabassome Simon, pharmacologue et spécialiste des maladies cardiovasculaires chez les femmes. Il suffit de passer devant un lycée pour que cela vous saute aux yeux : aujourd’hui, les filles fument davantage. » Car si les hommes sont plus vertueux, les femmes ont, elles, tendance à adopter des comportements à risque, réservés historiquement au sexe masculin. Le baromètre santé de l’Inpes en apporte la preuve : « En l’espace d’un demi-siècle, l’âge à la première cigarette a baissé de sept ans pour les femmes et de deux ans pour les hommes ».


Du coup, le cancer du poumon explose chez les femmes. Si les hommes sont encore les plus sévèrement touchés, « la fréquence de ce cancer a été multipliée par 4 en 10 ans chez les femmes de 35 à 45 ans », note l’Inca. « Au cours de ma carrière, j’ai vu de plus en plus de femmes souffrant d’un cancer du poumon, avoue le Pr Albert Hirsch, pneumologue et vice-président de la Ligue nationale contre le cancer. Mais mes jeunes confrères en verront beaucoup plus que moi et chez des femmes de moins de 50 ans, affirme ce dernier. L’épidémie de tabac est la principale responsable du ralentissement de l’espérance de vie. » Côté obésité, les deux sexes sont renvoyés dos à dos.

Selon l'enquête Mona Lisa, 20, 6% des hommes et 20, 8% des femmes seraient obèses (IMC supérieur ou égal à 30). Résultat : « Contrairement à une idée reçue qui a la vie dure, les femmes ne sont absolument pas protégées contre les maladies cardiovasculaires », déclare le Pr Daniel Thomas, ex-président de la Fédération française de cardiologie. « En France, une femme sur deux va en mourir et aux Etats-Unis, les décès sont même majoritairement féminins. Il faut qu’elles sachent qu’après la ménopause, elles ne sont plus protégées », alerte le Dr Tabassome Simon (voir vidéo ci-contre). Sous-estimées par les femmes elles-mêmes, elles le sont aussi par le corps médical.

L’Euro Heart Survey de 2005 a mis en évidence que les femmes ont 20 % de chances en moins de se voir proposer un test d’effort que les hommes et 40 % de moins pour une angiographie inférieure. Et même après un an de suivi médical à la suite d’une angine de poitrine, elles ont deux fois plus de risques de mourir ou d’être victimes d’une crise cardiaque. Pour le Pr Thomas, la prise en charge ne s’améliorera que si les médecins généralistes prennent toute la mesure du problème. « Ils sont en première ligne pour repérer les facteurs de risque. Bien sûr, ils ont souvent le sentiment que la prévention ou l’éducation thérapeutique sont chronophages. Mais, le plus efficace, c’est de répéter les messages au cours de plusieurs consultations. Le généraliste est donc le mieux placé ».


Le sexe faible aurait bien besoin de campagnes de prévention spécifiques. C’est en tout cas l’avis de plusieurs experts, et notamment de Marie Choquet, directeur de recherche à l’Inserm et spécialiste des comportements à risques chez les adolescents (écouter interview ci-contre). « J’en suis convaincue depuis plus de 20 ans, clame cette dernière. Les raisons pour lesquelles les filles fument ou boivent ne sont pas les mêmes. Avec l’alcool, elles recherchent l’ivresse alors que les garçons sont plutôt dans une consommation régulière et festive. On ne pourra donc pas combattre ces comportements avec les mêmes armes. »

Peu à peu, cette idée fait son chemin. En 2007, Act’Up avait enfourché ce cheval de bataille à l’occasion du 1er décembre. « Dans le monde, 48 % des séropositifs sont des séropositives. Il est temps que les campagnes de prévention s’adressent aux femmes. Combien savent que les risques de transmission par voie sexuelle de l’homme à la femme sont plus importants que de la femme vers l’homme ? », interpellait l’association. En 2008, la Fédération mondiale du cœur a ouvert la voie en lançant le premier programme international de prévention des maladies du cœur chez les femmes à l’occasion de la Journée mondiale de la femme le 8 mars. Concernant le tabac, le Pr Hirsch n’est pas sur la même longueur d’onde. Pour les conduites à risques, son credo, c’est la « dénormalisation ». « Il faut faire des campagnes de prévention tout public pour que la norme sociale change. Donc tout le contraire des actions ciblées. »

Quant à l’épidémiologie, elle a déjà choisi son camp. « Nous étudions depuis toujours les différences de prévalence entre les hommes et les femmes mais depuis peu, nous faisons aussi cette distinction pour les facteurs de risques. Et nous observons de vraies différences dans beaucoup de domaines, indique Marie Choquet. Pourtant, j’ai l’impression de prononcer un gros mot quand je dis à l’Eduction nationale qu’il ne faut pas faire la même prévention auprès des garçons et des filles. » L’égalité des sexes ferait donc des dégâts collatéraux.