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Expérience

Confinés 40 jours dans une grotte : “Au moment de sortir on a eu l'impression qu'on nous enlevait quelque chose...”

Par Jean-Guillaume Bayard

Depuis samedi dernier, les 15 volontaires de l’expédition Deep Time ont refait surface après 40 jours passés sans horloge ni lumière dans la grotte de Lombrives, en Ariège. L'objectif était de comprendre comment l’être humain s’adapte à des conditions extrêmes. L’expéditeur franco-suisse Christian Clot, à l’origine de cette expérience à laquelle il a pris part, nous fait partager ses impressions et précise quelles pourront être les retombées scientifiques de cette aventure.

Human Adaptation Institute

- Pourquoi Docteur - Comment allez-vous à l'issue de ces quarante jours sans lumière naturelle et sans repère de temps ?

Christian Clot – Je vais pas mal, même s’il y a de la fatigue physique et mentale. Compte tenu de l’expérience que l’on a vécu, je vais très bien. On a l’impression d’avoir été balloté entre différents mondes et territoires. C’était très intense.

- Comment avez-vous réagi quand il vous a été annoncé, jeudi dernier, que l’expérience était finie et qu’il ne vous restait que deux jours avant la sortie de la grotte ?

Cela a été une immense surprise. Personne ne s’attendait à ce que l’expérience se termine si vite. Pour nous, cela faisait 30 jours que l’on était dans la grotte. On avait plein de projets, des choses à faire. Il y a eu un grand désarroi. On avait l’impression qu’on nous enlevait quelque chose. Il y a eu beaucoup de tristesse au moment de sortir. Certains s’étaient accrochés à la grotte et ne voulaient pas la quitter. D’ailleurs, quasiment personne ne voulait sortir. Revoir le soleil, le ciel et les oiseaux, forcément cela nous a fait du bien mais on garde un goût d’inachevé.

- Que vous restait-il à faire ?

Il nous restait pas mal de travail pour finir de visiter la grotte. On avait encore des expéditions de prévues pour découvrir certains coins. Nous avons également fait un gros travail de répertoire de toutes les inscriptions murales et de nettoyage mais tout cela n’était pas fini. Tout le monde était engagé et donc on voulait le terminer.

- Comment comptiez-vous les jours ?

Nous considérions qu’un cycle représente une journée de 24 heures. Ce cycle durait du réveil au moment où l’on allait se coucher et, donc, chaque réveil correspondait à un nouveau cycle. Le problème c’est que sans moyen d’avoir l’heure, il est impossible de savoir combien de temps durait chaque nuit.

- Comment occupiez-vous vos journées ?

Elles étaient divisées en trois grandes activités. Il y avait d’abord tous les travaux scientifiques avec beaucoup de protocoles et de tests à passer individuellement ou en groupe. Ensuite, il y avait tout le travail dans la grotte : répertorier les inscriptions murales, faire la topographie en 3D de la grotte, la nettoyer, répertorier les insectes, s’occuper des plantes que l’on a fait pousser et de la gestion du camp et de la nourriture. Enfin, il y avait le temps libre que l’on occupait avec de la lecture, des discussions, la visite de la grotte, des jeux… En se coupant du temps passé à traiter les mails, à regarder son téléphone et autres, les moments de loisir sont plus importants qu’en temps normal !

- Qu’est-ce qui a été le plus dur ? 

Il n’y a pas vraiment eu une chose plus dure qu’une autre. La température de 10 degrés et les 100% d’humidité n’étaient pas faciles pour le corps. Beaucoup de participants ont eu froid. La première nuit a été difficile parce qu’on ne savait pas quelle heure il était. Ensuite, cela s’est très bien passé. 

- Quel était l’objectif scientifique de l’expédition ?

Nous travaillons à l’adaptation aux nouvelles contraintes de vie, au fait de changer de mode de vie. Nous souhaitons comprendre comment cela se passe, y a-t-il une seule manière de s’adapter ou plusieurs manières ? Nous voulons faire vivre plein d’expériences différentes pour savoir si le même processus adaptatif se met en route à chaque fois ou bien s’il diffère.

Dans ce cas précis, il y a également eu une question de synchronicité du groupe à qui nous avons retiré les marqueurs majeurs de la vie de tous les jours. Nous voulions savoir ce qui se passe lorsqu’ils ces marqueurs sont enlevés. Depuis le début de la crise sanitaire, nous suivons plusieurs milliers de Français au travers de l’étude Covadapt. Nous nous sommes rendus compte de la perte de notion du temps, que les gens n’arrivaient plus à se projeter. Les confinements ont eu un impact fort sur notre rapport au temps. J’ai voulu aller plus loin et monter une expédition dans laquelle les participants sont plongés dans un nouveau territoire de vie et dépourvus de marqueurs de temps.

- En quoi ont consisté les tests ?

Nous suivons les participants depuis 2 ans. À l’origine, nous devions les emmener dans quatre endroits différents, pendant 30 jours à chaque fois, avec des conditions climatiques différentes. J’ai réaffecté cette équipe sur la mission Deep Time. Des tests plus poussés ont été réalisés avant d’entrer dans la grotte avec des IRM, des tests génétiques, des questionnaires sur les modes de vie… Il y a ensuite eu une batterie d’examens dans la grotte et à la sortie. Chaque membre de l’expédition est suivi de manière intense pendant 40 jours et au long cours sur une période de deux ans pour étudier leur réadaptation.

Dans la grotte, il y avait trois grands groupes de tests. Il y avait d’abord les examens objectifs où des données étaient collectées avec différents appareils pour obtenir un maximum d’informations sur nos mouvements, notre sommeil, etc… Ensuite, chaque participant devait indiquer tout ce qu’il faisait, les émotions que cela lui procurait et les perceptions qu’il en avait. On a bien vu, au moment de l’annonce de la fin de mission, le décalage entre la perception de notre sommeil et la réalité. Enfin, des tests de plus haut niveau ont été menés. Il y avait un endroit spécifique dédié avec des ordinateurs pour collecter des données précises sur le processus de prise de décision, les odeurs, le toucher… On réalisait également des prélèvements sanguins pour obtenir des informations sur la biologie et la génétique.

- Quelles seront les applications de ces données scientifiques ?

Il y a deux niveaux : de manière générale, comment un groupe humain est capable de recréer un système de fonctionnement dans un environnement nouveau, comment les personnes travaillent ensemble et s’organisent. Il y a ensuite une application plus concrète pour préparer de futures expéditions lunaires et martiennes. L’expérience est quasiment analogue et nous sommes en lien avec le CNES et, de manière plus sporadique, la NASA. Les résultats pourront également servir pour ceux qui travaillent dans des conditions similaires comme les mineurs ou les sous-mariniers.

- Quand connaîtra-t-on les résultats ?

J’ai bon espoir que l’on sorte les premiers résultats, notamment ceux qui portent uniquement sur la grotte, d’ici la fin de l’année. En ce qui concerne les travaux en sciences sociales, comme la coordination de groupe et le fonctionnement social, cela peut intervenir dès l’automne. Pour l’évolution biologique et les perceptions situationnelles, il faudra plus de temps car ce sont des analyses complexes.

- De nouvelles expériences sont-elles prévues ?

Nous allons reprendre ce que nous avions initialement prévu, c’est-à-dire envoyer ces volontaires dans quatre situations climatiques différentes pendant 30 jours et étudier leurs réactions. De manière plus générale, la mission de Deep Time doit être reconduite. Nous ne pouvons pas obtenir des résultats définitifs sur un seul groupe. J’aimerais le faire mais j’espère aussi que d’autres équipes scientifiques le feront pour comparer.

- Que retenez-vous de ces 40 jours ?

Il était important de monter cette expérience maintenant. On a vu avec la curiosité qu’elle a suscitée que les Français ont besoin que nous leur donnions de l’espoir. Nous nous en sommes rendus compte dans la grotte : un groupe humain ne fonctionne pas bien s’il n’a pas de but, d’espoir. Il est important de créer des choses malgré la situation actuelle pour ne pas baisser les bras. Nous sommes plusieurs, et j’en faisais partie, à avoir fait pousser des plantes. Tous les matins, j’allais allumer les lumières pour qu’elles aient de la lumière et je l’éteignais en allant me coucher. Lorsque les premières pousses, que l’on n’imaginait pas possible dans un tel environnement, sont apparues, cela nous a procuré beaucoup de bonheur. Trouver des raisons d'aimer quelque chose pour se donner de la volonté est quelque chose qui fonctionne.