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Sans-papiers

Le délit de solidarité inquiète les médecins

Par Cécile Coumau

L’étau policier se resserre autour des citoyens apportant une aide aux sans-papiers. Pour les médecins, cette criminalisation n’est pas sans conséquence sur la santé de ces personnes.

MOTS-CLÉS :

« Je commence à me demander si je ne mets pas en danger de simples citoyens, en allant frapper à leur porte. » Si le Dr Mady Denantes, médecin généraliste à Paris se pose cette question, c’est parce que pour soigner des sans-papiers, elle s’appuie sur un réseau de professionnels mais aussi d’anonymes, de proches, de voisins… Cette inquiétude, palpable chez les soignants et les travailleurs sociaux, est montée d’un cran ces dernières semaines. Le ministère de l’Immigration a annoncé qu’il comptait interpeller, en 2009, quelque 5500 personnes ayant un jour aidé un sans-papiers. Le 8 avril, une dizaine d’associations comme Médecins du monde et le Comité médical pour les exilés (Comede), appellent donc à manifester devant les palais de justice de toutes les grandes villes. Ils s’insurgent contre cette pénalisation des simples citoyens, appelés les « aidants ». Ces derniers encourent en effet 5 ans de prison et 30 000 euros d’amende en conduisant par exemple un sans-papiers dans un centre de soins. « Alors, demain, votre médecin sera-t-il interpellé pour avoir pris en charge un sans-papiers malade ? », demandent les associations à l’origine de cette manifestation contre « le délit de solidarité ».

Cette question n’est pas qu’une provocation à en croire les médecins qui soignent les personnes en situation irrégulière. « Quand on voit que des professionnels comme des assistantes sociales ont été mises en garde à vue pour avoir fait leur boulot, on peut se demander où cela va s’arrêter », s’insurge le Dr Denantes (écouter interview ci-contre). Et si les médecins sont encore épargnés, ils ressentent malgré tout « la pression ambiante ». « Le médecin, c’est celui qui peut obtenir une régularisation grâce au droit de séjour des étrangers malades, témoigne le Dr Christophe Adam, médecin généraliste au centre de soins de Médecins du monde à Bordeaux. Ils attendent beaucoup de nous. En plus, la situation est par nature compliquée : il y a les barrières linguistique, culturelle, des situations sociales souvent inextricables… Alors, si vous ajoutez la suspicion, nous sommes dans une impasse. »


Une interpellation dans une CPAM

Ce climat ne date pas d’aujourd’hui. « Depuis environ un an, j’ai vraiment le sentiment que la situation des sans-papiers s’est dégradée. Par peur, certaines personnes ne viennent même plus se faire soigner et faire leur demande d’aide médicale d’état », a constaté le Dr Denantes. Dans le domaine sanitaire, plusieurs événements le prouvent. En 2008, le centre de soins de Médecins du monde a par exemple été déserté les jours où il y avait des policiers à la station de métro « Parmentier ».

En début d’année, un sans-papiers venu se renseigner sur l’AME a été interpellé dans les locaux mêmes de la CPAM de l’Yonne. Autre signe inquiétant : un Ivoirien, drépanocytaire de 31 ans, risque de perdre la vue parce qu’il n’a pas pu recevoir les soins appropriés dans le centre de rétention administrative. Selon le Pr Gil Tchernia, responsable du centre parisien de dépistage de la drépanocytose, « c’est une première ». Interrogé par L’Express, il a déclaré : « Ce que je craignais a fini par se produire. Au lieu de soigner correctement des patients particulièrement fragiles, voilà qu'on les met en danger en les envoyant en centre de rétention, alors que l'angoisse majore le risque de crise. » En juin 2008, le Comede avait bien tenté de tirer la sonnette d’alarme en appelant les médecins à signer une pétition pour que le droit au séjour des malades étrangers soit appliqué. « Au cours des derniers mois, de nombreuses préfectures ont commencé à refuser d’instruire la demande lorsque le rapport médical n’émanait pas d’un confrère médecin agréé ou d’un praticien hospitalier », s’insurgeait le Comede. Leur voix n’a manifestement pas été entendue. Les députés socialistes vont présenter une proposition de loi visant à « dépénaliser toute aide au séjour ne faisant l’objet d’aucun commerce et dont l’objet est de préserver l’intégrité et la dignité de la personne humaine ». Seront-ils mieux entendus ?



Questions au 
Dr Mady Denantes, médecin généraliste à Paris

 

Une ambiguïté préjudiciable

 

 
En tant que médecin, la pénalisation de l’aide aux sans-papiers vous inquiète-t-elle ? 

Dr M. D. Aujourd’hui, on entend des débats autour de l’aide aux sans-papiers. A priori, les professionnels du soin ne sont pas concernés par cette pénalisation de l’aide. Mais, tout de même… Quand on apprend que quelqu’un d’Emmaüs a fait une garde à vue, qu’une assistante sociale de France Terre d’Asile a eu des soucis avec la police, bref que des professionnels ont été inquiétés pour avoir exercé le plus loyalement et correctement possible leur métier, on peut se demander où va se situer la limite. C’est terrible si un moindre doute s’instaure. Pour nous, médecins, cela crée une vraie ambiguïté.

 

Cela vous gêne-t-il dans la prise en charge de ces patients en grande précarité ? 
Dr M. D. 
Oui, ce climat de suspicion a un impact parce que, les professionnels du social, nous avons besoin d’eux. Ils font partie de notre réseau de prise en charge. Le premier niveau de notre réseau est donc constitué de professionnels. Mais, le deuxième niveau, c’est la société toute entière. C’est le citoyen qui donne un verre d’eau, qui tend la main, c’est aussi celui qui amène le patient dans mon cabinet, ce voisin que moi-même je peux appeler. D’un point de vue humanitaire mais aussi sanitaire, c’est dramatique. D’ailleurs dans le centres de soins de médecins du monde ou je travaille, j’ai l’impression que ces patients arrivent plus tard et donc en plus mauvais état.

Entretien avec C.C.