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Un an après la loi

Les non fumeurs respirent

Par Cécile Coumau

Deux études démontrent les bénéfices de l'interdiction de fumer dans les cafés. Mais cette mesure est insuffisante pour réduire le nombre de fumeurs. 

Depuis un an, griller une cigarette dans un café est interdit. « La mise en œuvre de cette mesure était l'occasion unique de montrer scientifiquement, dans la vie réelle, les effets du tabagisme passif sur la santé des individus », raconte le Dr Jean-Pierre Cambou, au service de médecine vasculaire de l'hôpital de Rangueil (Toulouse). Pour analyser ces effets, il s'est penché sur la fonction endothéliale des artères, autrement dit leur capacité à se dilater. « La vasomotricité est un bon indicateur de l'impact du tabac sur la santé , explique le Dr Cambou. Lorsqu'une personne fume une cigarette, sa fonction endothéliale diminue dans l'heure qui suit, ce qui peut provoquer un infarctus ». Pour son étude, 23 barmen ont été choisis selon des critères stricts. Ils sont non fumeurs, non exposés à leur domicile au tabagisme passif et sans pathologie affectant l'état de leurs artères. L'équipe du Dr Cambou a mesuré deux fois la vasomotricité de leurs artères brachiales avant et après l'interdiction de fumer : en décembre 2007, puis, en avril 2008. Un bilan biologique et un recueil d'urine a été également effectué.

« On a utilisé le protocole Flow Mediated Dilatation (FMD), décrit le Dr Cambou. On mesure le diamètre de l'artère par échographie avant et après une compression de quelques minutes. Pour une personne en bonne santé, un taux normal de vasomotricité doit être égal ou supérieur à 7 %. ». En comparaison, ces mesures ont été aussi réalisées en janvier et en juin 2008 sur un groupe témoin de non fumeurs en bonne santé, qui ne sont pas exposés au tabagisme passif sur leur lieu de travail, ni à leur domicile.« Les résultats sont très positifs, constate le Dr Cambou. Entre décembre et avril, les 23 barmen ont vu leur taux médian de vasomotricité s'améliorer de 37 %, alors que le groupe témoin progressait de 4 % ».

Une autre étude devrait aussi démontrer les effets bénéfiques du décret anti-tabac dans les cafés. L'étude EVINCOR, dirigée par le Pr Daniel Thomas, chef de service de cardiologie à l'hôpital de La Pitié Salpêtrière, vise à mesurer l'impact de l'interdiction de fumer sur les syndromes coronaires aigus. En interrogeant la la base de données d'activité des hôpitaux (PMSI), il est prévu de comparer le nombre d'admissions pour infarctus du myocarde en 2007, puis en 2008. « Mais pour le moment, nous n'avons pas fini l'analyse et la validation de notre étude, témoigne le Pr Thomas. Il faut attendre encore quelques mois. » Mais il s'attend déjà à des résultats positifs. « Ils ne seront peut-être pas ausssi spectaculaires que ce qui a été observé en Irlande ou en Italie, où les admissions pour infarctus ont baissé respectivement de 11 et 17 %, tempère le Pr Thomas. Dans ces deux pays, le changement a été plus radical. En France, l'interdiction a connu deux étapes, la loi Evin puis le décret sur les cafés, bars, hotels, restaurants et discothèques (CHRD). »


D'autres indicateurs ont montré les bénéfices de cette interdiction. En décembre 2007, plus de 50 % des établissements du secteur CHRD dépassaient les niveaux d'alerte à la pollution de l'air des villes. « Parfois de plus de 40 fois, souligne le Pr Bertrand Dautzenberg, chef de service de pneumologie et réanimation à La Pitié-Salpêtrière, et président de l'Office français de prévention du tabagisme (OFT). Des discothèques et des bars à chicha avaient plus de 1000 mcg/m3 de pollution par les micro-particules ». En janvier 2008, les dépassements avaient chuté de plus de 80 %. « Parallèlement les symptômes respiratoires des employés du secteur CHRD ont baissé de 16 à 75 %, précise le Pr Dautzenberg.

Cependant, si l'interdiction de fumer dans les bars est un succès pour la protection des non fumeurs, « son effet sur le tabagisme actif a été nul», juge le Pr Dautzenberg. Les jeunes collégiens parisiens fument plus en 2008 qu'ils ne fumaient en 2007. Les ventes de tabac sont très voisines de 54 milliards de cigarettes en fin 2008, un chiffre équivalent à ce qu'il était en 2005. Et l'activité des 649 consultations de tabacologie, les appels à la ligne d'arrêt tabac info service (0825 309 310) et les achats de substituts nicotiniques ont peu évolué depuis 2007.

Questions au Pr Bertrand Dautzenberg, pneumologue et président de l'OFT (1)

"Les bars sont moins pollués que la rue"
 



Etes-vous satisfait par les effets du décret anti-tabac dans les bars ?
Pr Bertrand Dautzenberg. Les effets sont très bons pour la prévention du tabagisme passif. La pollution intérieure de ces établissements aconsidérablement diminué. Ils sont devenus moins pollués que la rue. Cette mesure profite aussi aux fumeurs. Ceux qui travaillaient dans les bars avaient plus de symptômes qu'aujourd'hui. Des études menées par la médecine du travail l'ont démontré. Le problème du tabagisme passif est en phase d'être réglé, si l'on garde une vigilance minimum. Reste à régler le problème du tabagisme actif. C'est une maladie évitable, qui continue pourtant à tuer 15 fois plus que les accidents de la route.


Quelles mesures proposez-vous ?
Pr B. D. 
Comme pour la Prévention routière, les politiques doivent surveiller l'évolution des chiffres du tabac afin de pouvoir réagir au quart de tour dès qu'il y a une anomalie. Ensuite, pour lutter plus spécifiquement contre le tabagisme actif, il faut une nouvell  augmentation des prix de tous les types de tabac, en particulier le
tabac à rouler qui est moins taxé. Le paquet de cigarettes, comme outil publicitaire, doit aussi disparaître. Il faut des paquets génériques, gris, uniforme. Les avertissements sanitaires sont aussi une bonne chose, on peut améliorer leur impact en affichant des photos. Les Belges l'ont fait récemment. L'aide au sevrage tabagique devrait aussi être prise en charge complètement par l'assurance maladie.

Quel rôle doivent jouer les généralistes ?
Pr B. D. 
On le sait, les fumeurs voient plus souvent un médecin que la moyenne de la population. Les généralistes sont des acteurs essentiels. Malheureusement, le tabac est encore trop considéré par certains médecins comme une mauvaise habitude. Cette appréciation est valable pour les adolescents qui commencent. Pour ces jeunes, il y a souvent plus des problèmes sociaux et psychologiques à régler. Mais, une personne, qui fume un paquet par jour, est quelqu'un de malade. Si on l'envoie dans un centre spécialisé, on verra qu'il a un cerveau modifié, il a plus de récepteurs à nicotine. Il faut le considérer comme un malade, et l'aider comme tel.

Entretien avec CC

(1) Office français de prévention du tabagisme