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Cancer : le cri d'alarme des cancérologues français sur le déremboursement des médicaments

Par Tribune de la société civile

Le déremboursement des médicaments du cancer est un symptôme du déclassement français. C'est un véritable cri d'alarme que poussent les malades et les cancérologues français, qui appellent à un sursaut, voire à un véritable New Deal.

GeorgeRudy/istock

Pour une pathologie grave et chronique comme le cancer, notre système de soins n’assure plus à ce jour aux malades un accès rapide et équitable aux médicaments les plus innovants – sans parler d’autres indispensables technologies du soin telles que scanners et IRM. Certains médicaments majeurs du cancer du sein, du col de l’utérus, de la prostate, du poumon, du rein et de la vessie, de l’estomac, des maladies du sang… ne sont tout simplement pas accessibles aux patients français, faute d’être agréés ou financés par notre système de santé.

On a vu en 2017 une malade atteinte d’un cancer du sein lancer une souscription sur internet pour financer son traitement, brutalement interrompu faute de remboursement. On a vu l’association Imagyn réunir huit mille signatures pour demander l’accès des personnes atteintes d’un cancer du col de l’utérus à un médicament – le bevacizumab - qui prolonge leur vie… Sans résultat. Dans chaque cas, le Ministère de la Santé, sous le quinquennat précédent, s’est contenté de répondre qu’il avait "identifié le problème", alors qu’en réalité il en est à l’origine.

Les mécanismes de cette régression sont complexes et subreptices. Ils commencent avec la réduction de l’accès aux traitements innovants, permise par l’allongement invraisemblable des procédures d’évaluation et de fixation des prix - plus de 400 jours en moyenne, 180 étant la norme européenne – par les organismes d’Etat. Le système ingénieux inventé par la France – la "liste en sus" - pour financer l’accès des patients à ces innovations, dysfonctionne aujourd’hui complètement au nom d’une vision comptable dénuée de sens.

Traitements purement et simplement interrompus

Résultat : en 2016 et 2017, de nombreux malades ont vu leur traitement purement et simplement interrompu faute de moyens. Les inégalités ainsi générées sont anti-républicaines. Elles instituent des possibilités de traitement variables d’un établissement à l’autre, d’une région à l’autre, d’un malade à un autre – y compris en fonction de son "importance sociale"… Nul pourtant ne conteste la nécessité d’une maîtrise des dépenses, mais certains des choix opérés laissent les soignants désemparés, eux qui sont en face des patients et qui savent que des solutions existent. Les raisons profondes de cette situation largement méconnue du grand public sont triples.

D’une part, notre pays consacre environ 12% de la richesse qu’il produit (PIB) à sa santé, plus des trois quarts de cette dépense étant couverts par l’assurance-maladie. Mais, si cette dernière est en déficit, ce n’est pas du fait des traitements du cancer. En effet, la prise en charge des cancers (responsables de 30% des décès en France), compte pour un peu plus de 10% des dépenses de santé et les anticancéreux pour moins de 2%.

Ne raisonner qu’en termes comptables et de dépenses, c’est méconnaître les fondements de l’économie réelle : un malade maintenu dans une vie active contribue positivement à l’économie ; il a été démontré que la perte de productivité liée au cancer coûte plus cher à notre pays que les traitements eux-mêmes. Cette gestion comptable et court-termiste influe malheureusement sur les décisions prises par les structures chargées de l’évaluation des médicaments, où le souci principal est devenu l’économie budgétaire là où il devrait n’être que scientifique.

Une autre erreur économique, sociologique, voire technocratique, est la mise en cause systématique et manichéenne de l’industrie du médicament, qui pourtant prend seule le risque financier du développement des anticancéreux. Or, cette industrie crée de l’investissement, de la croissance et de l’emploi.

Il y a 10 ans, notre pays était leader européen en matière d’industries de santé. Il a aujourd’hui reculé au 4ème rang, derrière l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, tout juste devant l’Irlande. En 2017, l’Agence Médicale Européenne a autorisé 91 nouveaux médicaments ; seuls 6 d’entre eux seront produits en France !

La troisième raison est une crise profonde de l’expertise, sous-tendue par la question devenue paralysante des liens d’intérêt avec les industriels du médicament. Les véritables spécialistes du cancer, les chercheurs, sont tenus à distance par les organismes d’évaluation pour cette seule raison. Les résultats de cette expertise sans expert sont trop contestables pour que nous ne réfléchissions pas à leur indispensable amélioration.

Dans la société du trop fameux scandale du Mediator, la défiance systématique et le totalitarisme vérificateur l’emportent sur la sollicitude et l’énergie créatrice. Demander, comme le font les agences, à des cancérologues inexpérimentés – mais sans lien d’intérêt – de produire des recommandations qu’ils font valider ensuite, sous le manteau, par des experts avec liens d’intérêt, est tout simplement risible et pourtant c’est une réalité.

Vers un système moins kafkaïen

Un autre monde est possible ; avec certes une dose de confiance, donc de risque. Les cancérologues ont une certitude : ce monde-là serait plus favorable aux malades. Notre système de santé, lui, n’est favorable qu’à la bureaucratie vérificatrice.
Il déploie à l’envi des agences censées évaluer, quantifier, réguler les activités de soins et de recherche, dont les effectifs et le budget global sont passés respectivement de 600 fonctionnaires et 100 millions d’euros environ au début des années 2000, à 6000 fonctionnaires et 1.8 milliards d’euros dix ans plus tard (Rapport du député Yves Burr, 2011).

Un rapport de l’Inspection Générale des Finances (Juéry et coll, 2012) avait pointé de nombreuses redondances entre les missions des agences de l’état, mais pour autant, ni la pléthore bureaucratique, ni la dépense – somptuaire – n’ont jamais été réduites. Les compétences des fonctionnaires de ces structures et leur engagement – qui n’est nullement contestable – méritent mieux que les règles étriquées et archaïques dans lesquelles ils sont enfermés.

Au moment même où la Ministre de la Santé souhaite une révision des méthodes d’évaluation et de financement de l’innovation en santé, incluant le raccourcissement des procédures et l’évaluation en "vie réelle", nous voulons appeler à un indispensable "New Deal" qui préservera la qualité de notre système de soins.

La France décroche. Déjà, nos voisins italiens, suisses, néerlandais et espagnols, offrent aux malades du cancer un meilleur accès à l’innovation que nous, plus rapide et plus équitable. Déjà, notre pays n’est plus regardé dans le monde comme un terrain propice à l’innovation et à l’investissement.

Si, demain, on décidait d’aller vers un système moins kafkaïen, il nous semble que nombre de professionnels pourraient se mettre au service d’un projet porteur d’une espérance nouvelle. Les signataires de ce texte, comme de très nombreux autres cancérologues, n’attendent qu’un signe de la part des autorités de santé, en tout altruisme et toute sollicitude. Pour nos malades, pour notre pays.

AUTEURS


• Jean Marc Classe : cancérologue à Nantes, Président de la Société Française de Chirurgie Oncologique (SFCO)
• Stéphane Culine : cancérologue à Paris, président du Groupe d’Etude des Tumeurs Urogénitales (GETUG)
• Dominique Debiais : Vice-Présidente de l’association Europa Donna France
• Nadine Dohollou, cancérologue à Bordeaux, membre du bureau de l’Union Nationale Hospitalière Privée de Cancérologie (UNHPC)
• Gilles Freyer : cancérologue à Lyon, membre du bureau du Groupe d’Investigateurs Nationaux pour l’Etude des Cancers de l’Ovaire (GINECO), enseignant de Sciences Humaines et Sociales à l’Université Lyon 1
• Ivan Krakowski : cancérologue à Bordeaux, Président de l’Association Francophone pour les Soins Oncologiques de Support (AFSOS), Président du groupe recherche UNICANCER-AFSOS
• Jean-Pierre Lotz : cancérologue à Paris, Président de la Collégiale des Oncologues de l’AP-HP
• Didier Mayeur : cancérologue à Versailles, secrétaire de l’AFSOS
• Pierre Michel, cancérologue digestif à Rouen, Président de la Fédération Francophone de Cancérologie Digestive (FFCD)
• Hervé Naman : cancérologue à Mougins, Président du Cercle de Réflexion de l’Oncologie Libérale (CROL)
• Jean-Marc Phelip : cancérologue digestif à St Etienne, Secrétaire Général de la Fédération Francophone de Cancérologie Digestive (FFCD)
• Henri Roché : cancérologue à Toulouse, président de la Société Française d’Oncologie Médicale (SOFOM)
• Frédéric Selle : cancérologue à Paris, Président du Groupe d’Investigateurs Nationaux pour l’Etude des Cancers de l’Ovaire (GINECO)
• Pierre-Jean Souquet : oncologue thoracique au CHU de Lyon, Président de l’Intergroupe Français d’Oncologie Thoracique (IFCT)
• Jean-Jacques Zambrowski, médecin interniste à Paris, économiste de la santé.

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