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France, Suisse, Luxembourg

Thiotépa : 100 000 doses périmées de cet anticancéreux utilisées en France et le scandale continue

Par le Dr Axel de Saint-Cricq

Plus de 100 000 flacons périmés de Thiotépa, un anticancéreux, ont été vendus, en Suisse et surtout en France (98 000) avec une fausse date de péremption. Le laboratoire responsable Alkopharma fabrique des génériques et est basé au Luxembourg et il passait par un distributeur Genopharm, pour la France. La défaillance des contrôles a permis que ce scandale dure au moins 7 ans.

zlikovec/epictura

Plus de 100 000 flacons de Thiotépa, un anticancéreux périmé, utilisé dans les cancers de l'ovaire, de la vessie et du sein mais aussi chez les enfants, ont été administrés à des malades suisses et français entre 2007 et 2011, dont une moitié d’enfants, ont rapporté Le Matin Dimanche et la SonntagsZeitung. Une histoire ancienne mais qui revient sur le devant de la scène en raison de la légèreté des peines prononcées en Suisse et du procès qui n'est toujours pas d'actualité en France.
Alkopharma, un laboratoire Luxembourgeois de médicaments génériques, basé en Suisse, a falsifié les dates de péremption de flacons périmés de cet anticancéreux. Ceux-ci avaient une durée de vie de 18 mois et ne contenaient donc plus une dose efficace de principe actif : 86% contre une dose minimale acceptée de 95%, voire moins car certains flacons ont été revendus jusqu'à 7 ans après leur date de péremption !
L’affaire date de 2011, mais d'après Le Matin l’organisme en charge de surveiller le marché des médicaments en Suisse, Swissmedic, a déposé cette année un recours contre la condamnation trop légère d'Alkopharma pour falsification des dates de péremption, notamment parce que le juge n’a pas retenu la mise en danger de la santé des patients. 

Défaillance des autorités de surveillance

Ce ne sont pas les autorités réglementaires suisses et françaises qui sont à l’origine de la découverte de ce scandale sanitaire. C'est le laboratoire allemand Riemser, lui-même fabricant du Thiotépa, qui a révélé le problème en 2011.
A la suite d'un accord avec Alkopharma, il avait autorisé ce dernier à fabriquer et commercialiser en France le Thiotépa. Alkopharma semble avoir surestimé les ventes et a dû reprendre les stocks non écoulés par son revendeur en France, les laboratoires Genopharm. Il semble qu'Alkopharma ait ensuite reconditionné les flacons ayant dépassé la date de péremption (normalement de 18 mois) pour les remettre en circulation.
C'est le laboratoire Riemser qui a constaté la fraude après avoir réalisé des dosages : les flacons périmés d’Alkopharma ne contenaient plus la dose de principe actif exigée. L’Autorité suisse de surveillance du marché des médicaments, Swissmedic, a fait appel de la décision des tribunaux suisses car elle soutient qu’il y a eu une mise en danger de la santé des patients.

Une perte de chance pour les malades

Le Thiotépa est utilisé dans le traitement des cancers de l'ovaire, de la vessie et du sein mais également des cancers de l'enfant. Le Tiotépa périmé d’Alkopharma a été utilisé dans la plupart des grands hôpitaux suisses, mais surtout en France où auraient été consommés la majorité des flacons périmés (plus de 98 000 sur les 100 000).
Il s’agit d’une perte de chance pour de nombreux malades français. Mais il est très difficile d’imputer l’échec du traitement des malades à une activité insuffisante du Thiotépa périmé. La baisse d’efficacité du Thiotépa périmé est estimée au alentour de 15% et, dans la mesure où ce médicament est administré conjointement à d’autres médicaments, dans le cadre d’une polychimiothérapie, il va être très difficile, sinon impossible de déterminer quels sont les malades dont la santé et la vie a été mise en danger. D'aucuns affirment même que 15 à 20% de Thiotépa en plus n'auraient rien changé pour les malades et c'est la position de l'ANSM.

Une procédure judiciaire a minima

En Suisse, la justice va rouvrir cette affaire, suite au recours de Swissmedic, tout en concentrant ses efforts sur le laboratoire Alkopharma. Quatre anciens responsables d'Alkopharma avaient été condamnés en juin 2016 à de simples amendes de quelques milliers de francs suisses alors que la fraude porte plus de 200 000 francs en Suisse, mais plus de 3 millions d'euros en France !
En France, c’est plus compliqué. Le fabriquant allemand Riemser, à l’origine de la découverte de cette fraude s’oppose au distributeur du Tiotépa en France, le laboratoire Genopharm.
Une enquête pour « tromperie aggravée, falsification de substance médicamenteuse et faux et usage de faux » a été ouverte par le parquet de Paris, mais on ne sait pas quand la justice va renvoyer l'affaire devant un tribunal ou si elle prononcera un non-lieu. Deux personnes sont toujours mises en examen, dont le patron de Genopharm qui réclame un non-lieu. Il a lui-même contre-attaqué, en déposant fin novembre une plainte contre le laboratoire Riemser pour « tromperie, faux témoignage et dénonciation calomnieuse ».

Une fraude sur un générique

Les seules qui ne soient pas sur la sellette sont, paradoxalement les agences de santé qui ont pourtant autorisé le laboratoire Alkopharma à commercialiser un générique du Tiotépa et qui n’ont pas été capables de découvrir la supercherie, exposant des milliers de malades à courir au devant d’un échec de leur traitement anticancéreux.
Selon l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), après les révélations d'avril 2011, le Thiotépa est resté disponible jusqu’en octobre 2011, soit 5 mois supplémentaire avec le médicament périmé, date à laquelle un autre générique a été rendu disponible. Une lettre à tous les médecins et pharmaciens hospitaliers a été envoyée par l’ANSM pour les informer du remplacement du Thiotépa : « Le sous-dosage, constaté lors des différentes analyses, ne conduit pas à une baisse d’efficacité significative, ni à une toxicité ».
Mardi matin, La Tribune de Genève révèle que le patron d'Alkopharma avait déjà eu des problèmes de non-conformité de ses médicaments en France, « avant qu'il ne vienne s'installer en Suisse ». Et que depuis son départ de la Suisse, il s'est établi au Royaume-Unis, « où il a repris la production de médicaments et a recommencé à mettre des produits non conformes sur le marché français ».