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Clémentine Lequillerier

Anti-vaccins : une contre-attaque juridique fragile

Par Marion Guérin

ENTRETIEN – Pour cette spécialiste du droit de la santé, les arguments juridiques des opposants à la vaccination ont peu de chance d’aboutir.

Esbenklinker/epictura

Les opposants à l’extension de la vaccination obligatoire se rassemblent ce samedi pour manifester devant le ministère de la Santé. Réunis sous un collectif baptisé « Ensemble pour une vaccination libre », les organisateurs appellent les autorités à revenir sur leur projet de rendre obligatoires 11 vaccins. Dans un communiqué, l’association évoque trois principes juridiques, qui pourraient leur servir d’argument pour contester devant les tribunaux la validité de ce projet.

Le premier se rapporte à la loi Kouchner sur le droit des patients, qui indique qu’« aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ». Le deuxième relève de la Convention d'Oviedo, qui entérine la « primauté de l'être humain » : « l'intérêt et le bien de l'être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science ».

Enfin, les opposants se réfèrent à l'arrêté Salvetti (Italie) de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui a rappelé « qu’en tant que traitement médical non volontaire, la vaccination obligatoire constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales ». Clémentine Lequillerier, maître de conférences à Paris Descartes et spécialiste du droit de la santé, revient sur ces arguments.


Ces arguments juridiques peuvent-ils compromettre l’obligation vaccinale ?

Clémentine Lequillerier : Ils ont à mon sens peu de chance d’aboutir. La loi Kouchner pose en effet le principe du consentement éclairé des patients, qui ont le droit de refuser un soin. Toutefois, certains actes médicaux peuvent être imposés, notamment pour des raisons de protection de la santé publique. C’est précisément le cas des vaccinations obligatoires, imposées par la loi et codifiées dans le Code de la santé publique. Des sanctions pénales sont d’ailleurs prévues en cas de refus de se soumettre, ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l'autorité parentale, aux obligations vaccinales.

Quant à l’article 3 de la Convention d'Oviedo, je doute que les opposants rencontrent un grand succès en invoquant ce texte. Dans la mesure où la vaccination présente un bénéfice tant individuel que collectif, il me semble en effet délicat d'invoquer cet argument.


Ont-ils plus de chances de contester l’obligation vaccinale devant les juridictions européennes ?

Clémentine Lequillerier : C’est peut-être là qu’ils ont une carte à jouer, mais rien n’est moins sûr et il faut rester prudent. La CEDH ne peut être saisie qu’après épuisement des voies de recours internes. Dans l’affaire Salvetti, elle a bien considéré qu’« en tant que traitement médical non volontaire, la vaccination obligatoire constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée ». Mais, elle s'est jugée incompétente et n'a pas recherché si, en l'espèce, cette ingérence était ou non justifiée.

Or, la Convention européenne des droits de l’homme dispose qu’il peut y avoir ingérence d’une autorité publique si elle se justifie, notamment par des questions de sécurité nationale, de sûreté publique, de bien-être économique, de protection de la santé… Toutefois, c’est probablement l'argument le plus « solide » des opposants aux obligations vaccinales dans la mesure où a émergé dans l'ordre juridique européen, depuis quelques années déjà, le concept d' « autonomie personnelle ».


Les opposants pourront-ils saisir le Conseil Constitutionnel pour contester la loi ? 

Clémentine Lequillerier : Une fois la loi promulguée, il sera possible aux justiciables, dans le cadre d’un litige, de contester la constitutionnalité de la loi en soulevant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Ainsi, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, par exemple pénale, le justiciable pourra soutenir que la disposition légale prévoyant des obligations vaccinales et à laquelle il refuse de se soumettre porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Les opposants à l’obligation vaccinale ont toutefois peu de chance d’obtenir gain de cause en invoquant une atteinte au droit à la santé, également garanti par la Constitution. En effet, le Conseil Constitutionnel [saisi par les époux Larère qui avaient refusé d’administrer le vaccin DTP à leur fille, ndlr] s’est déjà prononcé en mars 2015 sur cette question (1) et a jugé l’obligation vaccinale conforme à la Constitution.


Vous avez participé à la consultation citoyenne. Qu'en est-il de la clause d'exemption invoquée un temps ?

Clémentine Lequillerier : Le Comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination, dans son rapport du 30 novembre 2016, a en effet recommandé l’élargissement temporaire des obligations vaccinales de l’enfant avec une possibilité d’invoquer une clause d’exemption (qui ne doit toutefois pas être confondue avec les contre-indications médicales). Cette option avait pour avantage « une meilleure acceptabilité par une partie de la population » de la proposition d’étendre les vaccins obligatoires.

Prévoir une telle clause n’est toutefois pas sans risque. Aussi est-ce la raison pour laquelle le comité avait suggéré que cette option fasse l’objet, si elle était retenue, d’une évaluation régulière qui pourrait conduire à sa remise en cause en cas de couverture vaccinale insuffisante ou de résurgence d’infection évitable. Il faut toutefois reconnaître que dans la mesure où l’extension des obligations vaccinales est fondée sur un impératif de santé publique il peut paraître paradoxal (voire incohérent) d’autoriser des personnes à invoquer une telle clause. Un temps envisagée par le gouvernement, cette clause semble d’ailleurs être tombée aux oubliettes…

 

(1) « En imposant ces obligations de vaccination, le législateur a entendu lutter contre trois maladies très graves et contagieuses ou insusceptibles d'être éradiquées », a-t-il statué à l’époque.