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Archéomédecine

Maladie d’Addison : le drame de l’expédition Franklin enfin expliqué

Par Jonathan Herchkovitch

Les 129 membres d’équipage de l’expédition Franklin disparus en 1846 seraient décédés d’une association de maladies : scorbut, tuberculose et maladie d’Addison.

Le HMS Terror prisonnier des glaces (George Back/National Archives of Canada)

Le voyage s’est transformé en véritable légende. Depuis le milieu des années 1840, l’histoire tragique de l’expédition Franklin ne cesse de passionner les amateurs d’exploration et de disparitions inexpliquées. Un nouvel élément vient étayer l’argument de la maladie pour expliquer le décès du capitaine John Franklin et de ses 128 membres d’équipage.

D’après les recherches du Pr Russel Taichman, un professeur de dentisterie de l’université du Michigan, il est fort probable que les passagers des deux vaisseaux commandés par Franklin aient souffert de la maladie d’Addison, une affection qui favorise notamment la perte de poids.

L’arlésienne du Nord-Ouest

L’expédition Franklin visait à tester des routes pour enfin parvenir à trouver le passage du Nord-Ouest, en Arctique, afin de relier Europe et continent américain, mais surtout l’Asie, ouvrant ainsi une nouvelle route des épices.

Deux navires de la Royal Navy britannique, le HMS Erebus et le HMS Terror, avaient quitté Greenhithe (Angleterre) en 1845. Mais arrivés en mer Arctique, au nord du Canada, les deux bâtiments ont été fait prisonniers par les glaces dans le détroit de Victoria, près de l’île du Roi-Guillaume, à l’automne 1846. Une prison que les navires ne quitteront jamais.


Chemin emprunté par les deux navires britanniques (Crédits : Finetooth, Kennonv, U.S. Central Intelligence Agency)

Des notes retrouvées par la suite indiquent que le capitaine Franklin serait décédé en juin 1847. Moins d’un an plus tard, les survivants décident d’abandonner les navires toujours bloqués. Des témoignages d’Inuits signalent le passage d’Européens, sans doute certains matelots, jusqu’en 1951, puis plus rien…


Une accumulation de maladies

L’hécatombe a motivé, outre d’innombrables œuvres artistiques, des expéditions et des recherches scientifiques, destinées à dénouer les fils du mystère. Grâce à des témoignages écrits et aux autopsies de quelques marins retrouvés près des navires, des hypothèses ont été émises au cours des 150 années qui ont suivi le drame.


Tombes de marins retrouvées sur l'île de Beechey (DR)

Froid, faim et surtout maladies auraient tué l’équipage. Le scorbut, dû au manque de fruits et légumes dans l’alimentation, et une intoxication au plomb causée par des conserves défectueuses ont été évoqués. Plus directement, les marins seraient morts de pneumonies, voire de tuberculose. Des traces de cannibalisme ont même été relevées sur des os.

Fasciné par ces histoires depuis son enfance, le Pr Taichman, devenu expert amateur de cette expédition, a décidé de mener ses recherches. En analysant des retranscriptions de témoignages de chasseurs Inuits, il a remarqué une description de symptômes présentés par certains membres d’équipages rencontrés sur la banquise.

Les gueules noires

Les disparus aux visages émaciés avaient des bouches « dures, sèches et noires », d’après les autochtones. En menant des recherches sur ces symptômes, Taichman a pu associer ces manifestations à la maladie d’Addison qui, jusqu’à présent, ne faisait pas l’objet d’hypothèse pour expliquer le décès de l’équipage. L’affection cause en effet une hyperpigmentation des muqueuses, les faisant apparaître noires.

De nos jours, cette maladie très rare est associée à des maladies auto-immunes. Mais « à l’époque, la cause principale de la maladie d’Addison était la tuberculose », souligne le Pr Taichman. Le puzzle semble alors prendre forme.

Moins de mystère, légende intacte

Le scorbut et l’intoxication au plomb ont favorisé les pneumonies et la tuberculose, qui a à son tour provoqué des maladies d’Addison. Celle-ci se traduit par une grande fatigue, une hypotension artérielle, mais surtout un amaigrissement, lié à des dysfonctionnements hormonaux, et cela même avec une alimentation correcte. Toutes ces maladies combinées auraient alors précipité la famine des marins, et leur mort.

« L’hypothèse tuberculose-maladie d’Addison explique bien mieux l’un des plus grands mystères de l’exploration arctique », se réjouit le Pr Taichman, pas mécontent d’avoir pu contribuer à cette histoire qui le passionne. Une explication qui n’enlève rien au côté dramatique de cette expédition, dont la légende devrait toujours continuer à faire rêver les auteurs et leurs lecteurs.