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Troubles mentaux

L'égalité n'existe pas

Par Audrey Vaugrente

Prédisposition à la naissance, environnement, la recherche sur les facteurs qui favorisent l’apparition d’un trouble mental avance à grands pas. Avec, à terme, l’objectif d’améliorer le dépistage et la prévention. 

DURAND FLORENCE/SIPA

Nous ne sommes pas tous égaux face aux troubles mentaux. L'origine génétique de certains d’entre eux ne fait plus aucun doute. Grâce aux études sur les jumeaux, elle est évaluée à 90 % dans l’autisme et à près de 60 % dans la schizophrénie et les troubles bipolaires… Mais elle est plus difficile à mettre en évidence dans certaines maladies comme la dépression. « Des études d’association sur l’ensemble du génome ont montré que des variants génétiques communs sont impliqués dans le risque de vulnérabilité à la schizophrénie et aux troubles bipolaires, et dans une moindre mesure à l’autisme, confirme Stéphane Jamain, de l’Institut Mondor de recherche biomédicale. Mais les maladies psychiatriques impliquent plusieurs gènes, il n’est pas donc si simple d’évaluer le rôle de chacun. Et des mutations « de novo », qui apparaissent au moment de la transmission du patrimoine génétique ou plus tard dans la vie, peuvent expliquer certains cas, même dans des familles où aucun malade n’a jamais été recensé. »

Des différences hommes/femmes
L’inégalité des sexes semble également toucher les troubles mentaux. « Ils sont plus répandus chez les femmes que chez les hommes, relève Jan Scott, professeur de psychologie médicale à l’Université de Newcastle, ce qui s’explique surtout par une fréquence plus importante de troubles anxieux ou de dépression. Celle des troubles schizophréniques est un peu plus élevée chez les hommes, chez qui ils débutent d’ailleurs plus tôt. Celle des troubles bipolaires est sensiblement égale, les hommes étant généralement plus touchés par des formes de type 1, plus sévères que celles de type 2. Et l’autisme est quatre fois plus fréquent chez les garçons. » Cette inégalité est une donnée à exploiter pour améliorer la compréhension et la prise en charge de ces pathologies.

Mesurer l'impact de l'envioronnement
Quant aux facteurs environnementaux, ils sont déterminants dans le développement ou l’aggravation aussi bien des troubles psychotiques (1) que des troubles de l’humeur (dépression, trouble bipolaire)… Et ce, d’autant plus qu’il existe déjà une prédisposition génétique. Plusieurs études réalisées en Grande-Bretagne et dans le nord de l’Europe ont, par exemple, mis en évidence les facteurs qui augmentent le risque d’apparition de troubles psychotiques, notamment de schizophrénies : consommation de cannabis, traumatismes crâniens, infections maternelles pendant la grossesse, complications obstétricales, traumatismes psychologiques dans l’enfance, être né ou d’avoir grandi dans une ville… 


Mais aussi être migrant ou descendant de migrant, ce qui pourrait s’expliquer par différents facteurs, comme un niveau de stress élevé dû à la discrimination, ou encore le manque de soleil et donc de vitamine D… L’étude EU-GEI (European Union Genetic environment interraction), projet financé par la Communauté européenne et mis en place en France sous l’égide de la fondation FondaMental par l’équipe de recherche Inserm de Marion Leboyer à Créteil et par Pierre-Michel LLorca à Clermont-Ferrand, permettra de mesurer pour la première fois en France - dans deux populations, l’une rurale (Puy-de-Dôme), l’autre urbaine (Val-de-Marne) - l’impact des facteurs environnementaux sur le risque de troubles psychotiques et de le comparer aux données de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas, de l’Italie et de l’Espagne. « Cette étude s’intègre dans un vaste programme européen d’étude de facteurs de risques environnementaux et de leurs interactions avec les facteurs génétiques, précise Andrei Szoke, coordonnateur de cette étude. Nous mesurerons également sur ces mêmes populations la prévalence de la schizophrénie en France, une information difficile à recueillir compte tenu de la faible proportion de personnes concernées. L’analyse des résultats à deux ans sera publiée à la fin de cette année. »


Par ailleurs, on sait déjà que les personnes en situation de grande précarité sont particulièrement touchées. En effet, selon l’enquête Samenta (Santé mentale et addictions chez les personnes sans logement d’Ile-de-France) réalisée en 2009-2010 par l’équipe de Pierre Chauvin et l’Observatoire du Samu social à Paris, près d’un tiers des sans-abris présentent au moins un trouble psychiatrique sévère, 13,2 % d’entre eux souffrent de troubles psychotiques, soit dix fois plus qu’en population générale, et 30 % d’addiction à l’alcool ou aux drogues. « Les troubles graves comme la schizophrénie précèdent souvent la perte du logement, tandis que dépression et troubles anxieux découlent de la dureté de vie dans la rue », précise le chercheur en santé publique de l’Inserm.

Les ados vulnérables
Enfin, s’il y a une population qui est particulièrement à risque, ce sont bien les adolescents, dont la personnalité est encore malléable et en construction. En effet, c’est souvent à cet âge qu’apparaissent les premiers épisodes dépressifs ou psychotiques, les troubles du comportement alimentaire… Les conduites à risque, notamment la consommation d’alcool et de cannabis, de même que les rythmes de sommeil irréguliers, n’arrangent rien.

Les premiers épisodes psychotiques surviennent en général entre 15 et 30 ans, une période cruciale où l’on est censé faire des études, choisir un métier, construire sa vie de couple et son cercle d’amis… Les conséquences sur la vie entière sont donc potentiellement considérables ! « Or, on peut repérer avant l’émergence du premier épisode les jeunes présentant des symptômes « prodromiques » -tous premiers symptômes présents de façon atténuée ou transitoire-, à très haut risque de transition psychotique. Si rien n’est fait, environ 30 % de ces jeunes deviennent schizophrènes dans les deux à cinq ans, alors que, grâce à une prise en charge adaptée, ils ne seront plus que 10 à 15 %. Un dépistage et un suivi précoces sont essentiels pour prévenir la maladie », souligne Marie-Odile Krebs, spécialiste des troubles psychiatriques (unité 894, Inserm).

Les troubles de l’humeur - dépression, mais surtout troubles bipolaires - démarrent aussi très souvent en fin d’adolescence ou au début de l’âge adulte (âge moyen 21 ans). Jan Scott s’intéresse aux vulnérabilités qui permettent d’identifier les personnes à haut risque de développer un trouble bipolaire. « Nous recrutons une cohorte de jeunes, âgés de 16 à 25 ans, apparentés à des patients atteints de troubles bipolaires suivis au sein des centres experts de la fondation FondaMental. L’objectif est d’identifier le plus tôt possible les sujets qui risquent de développer la maladie pour leur proposer des interventions nouvelles : aménagement du style de vie, en particulier du rythme de sommeil, de l’humeur, psychoéducation, etc. » Âge de tous les risques, l’adolescence est aussi la période de tous les possibles, où les stratégies thérapeutiques peuvent avoir un impact important et éviter qu’un trouble débutant ne devienne chronique. D’où l’importance d’un repérage précoce.

(1) Trouble psychotique : caractérisé par un rapport perturbé à la réalité et un déni de la maladie, la schizophrénie étant le plus fréquent.
Sciences et Santé, le magazine de l'Inserm

 

Fréquence des maladies mentales *

Trouble anxieux : 14 %

Insomnie : 7 %

Dépression : 6,9 %

Démence : 5,4 %

Trouble de déficit de l’attention/hyperactivité : 5 %

Trouble de somatisation : 4,9 %

Dépendance à l’alcool : 3,4 %

Troubles du comportement : 3 %

Syndrome de stress post-traumatique : 2 %

Trouble de la personnalité : 1,3 %

Trouble psychotique (psychose), dont la schizophrénie : 1,2 %

Dépendance au cannabis : 1 %

Trouble du comportement alimentaire : 0,9 %

Trouble obsessionnel compulsif (TOC) : 0,7 %

Résultats de l’étude publiée par H. U. Wittchen et al. rassemblant des enquêtes épidémiologiques réalisées entre 1980 et 2010 auprès de 514 millions de personnes, dans 30 pays (l’Union européenne plus la Suisse, l’Islande et la Norvège).