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Morphine à base de sucre : une découverte à double tranchant

Par Stéphany Gardier

Et de trois ! La publication scientifique parue dans la revue Science ce vendredi est la troisième depuis la fin avril à s’intéresser à la production synthétique de la morphine. Et comme le relate Le Monde, cette fois-ci, l’équipe de Thilo Winzer, de l’université d'York, apporte le chaînon manquant qui pourrait permettre de produire dans les prochaines années de la morphine à base de … sucre !

 

La morphine est un outil de longue date dans la pharmacopée, comme le rappelle Paul Benkimoun dans les colonnes du Monde. Découverte en 1804, la molécule extraite du latex de pavot a vite convaincu le corps médical par ses propriétés sédatives et analgésiques. Des vertus fort utiles dans une période marquée par de nombreuses guerres. Mais la multiplication des addictions à la substance l’a fait tomber en désuétude, avant qu’on ne parvienne à comprendre comment en tirer les bénéfices sans rendre les patients accros, il y a 25 ans environ.
Mais, plus de 200 ans après sa découverte, la molécule continuait de donner du fil à retordre aux chimistes du monde entier. Ainsi, au XXIe siècle, la production de morphine reste dépendante de la culture du « pavot à oeillette »… Culture qui, dans certains pays, alimente aussi les réseaux de production d’héroïne. Parvenir à produire de la morphine de manière synthétique pourrait donc permettre de s’affranchir de cette culture, et de créer des antalgiques avec des effets secondaires moins importants.

Si les chimistes planchent depuis un bon quart de siècle sur une morphine sans pavot, leurs avancées avaient été jusqu’ici assez limitées. Comme le souligne Arnaud Aubry dans Le Temps, cette « quête » a connu une réelle accélération au printemps avec un premier article dans Plos One, puis une autre publication de l’université de Berkeley (Californie) dans la revue Nature Chemical Biology. Les chercheurs y expliquaient comment une levure génétiquement modifiée pourrait être capable de produire un précurseur de la morphine, à partir de sucre. 

Ces travaux, mis en commun, permettent de synthétiser de la morphine sans pavot. En théorie du moins. « Si toutes les étapes ont bien été découvertes de manière indépendante, il n’existe pas encore de souche de levure capable de synthétiser à elle seule de la morphine », rappelle Arnaud Aubry. Mais selon les chercheurs interviewés par le quotidien suisse, cela pourrait se concrétiser d’ici deux à trois ans.
Les scientifiques prennent donc les devants, et attirent l’attention des autorités sur le danger potentiel de ces découvertes, si utiles soient-elles. Les levures en question sont faciles à se procurer, presque autant que le sucre, la seule limitation technique sera la modification génétique de la souche. Mais aujourd’hui, nombre de biohackers sont capables de faire de la biologie synthétique en dehors de tout laboratoire académique.
Un risque de détournement de cette voie de production de la morphine existe bel et bien, et il ne reste que peu de temps aux autorités pour trouver la parade. Or, « les contrôles actuels ne marchent pas, souligne Didier Jayle, titulaire de la chaire d’addictologie au Conservatoire national des arts et métiers, interviewé par Le Monde. La diminution de consommation d’héroïne n’est pas due aux contrôles mais à la politique de réduction des risques par les traitements de substitution aux opiacés, qui remplacent l’injection ».