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Débats de table

Comment gérer les désaccords politiques en famille et entre amis ?

Parce qu’elle déchaîne les passions et révèle les fractures idéologiques, la politique est sujet à controverses et disputes au sein du cercle intime. A l’aube de la présidentielle, comment débattre des choses qui fâchent sans abîmer ses relations ?

Comment gérer les désaccords politiques en famille et entre amis ? JackF / iStock

  • Publié le 24.01.2022 à 12h00
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Un dîner de famille qui se conclut par des assiettes par terre, un débat convivial qui tourne au dialogue de sourds, une soirée qui dégénère à cause d’une simple remarque partisane... En famille, entre amis, voire entre collègues, les discussions d’ordre politique ont tendance à vite s’envenimer. D’après une étude OpinionWay de 2018, plus de la moitié des Français (54 %) avouent ainsi se disputer avec leur entourage sur des questions d’actualité, et en particulier la politique. Pour une personne sur deux (49 %), celle-ci est même le sujet qui divise le plus les membres d’une famille, devant l’héritage (42 %) et la religion (32 %), selon un autre sondage Viavoice publié en 2017. Et aujourd’hui, à l’heure de la campagne présidentielle, du pass sanitaire et des vaccins contre le Covid, il y a de quoi s’inquiéter pour les assiettes.

Pour trouver des issues à ces débats qui empoisonnent les repas, il faut d’abord comprendre pourquoi on se dispute autant avec ses chers et tendres sur la question politique. « C’est justement parce que deux sujets particulièrement sensibles se rencontrent : la politique et la famille, explique Dominique Picard, psychosociologue et auteure de Les conflits relationnels (éd. PUF, 2012). Les divergences politiques sont des divergences d’opinion. Mais ce que l’on pense être une simple opinion (par exemple être populiste/mondialiste, ou libéral/conservateur) recouvre aussi et surtout une idéologie, une vision du monde, un système de valeurs. Or ces valeurs font partie de notre identité, de notre personnalité, de l’intime : quand on participe à un conflit d’opinions, notamment politiques, on parle en réalité de nous-mêmes. Et nos valeurs sont parfois irréconciliables avec les valeurs portées par d’autres. »

Politique et famille, un combo explosif

Sans surprise, les sujets politiques qui font le plus d’étincelles sont donc ceux qui polarisent le plus les systèmes de croyances des gens. Comme les questions de racisme, de patriarcat, de répression policière, d’inégalités, les affaires de violences sexuelles, le conflit israélo-palestinien, les réformes sociétales, les flux migratoires, le Rassemblement national et maintenant un polémiste d’extrême droite à la course à l’Elysée... Bref, des thèmes clivants qui poussent chacun à se positionner « pour » ou « contre » en fonction de ses propres valeurs, et donc sur lesquels il est difficile de trouver des compromis et tenir un débat constructif. Ce n’est pas nouveau, rappelle Dominique Picard. « Même l’affaire Dreyfus [un capitaine de l’armée française, juif, accusé de trahison et finalement innocenté début XXe siècle] divisait sur les valeurs : il y avait d’un côté les pro-Dreyfus, attachés aux valeurs de justice et de droit, de rationalité et de preuve (et dont certains se déclaraient même antisémites), et de l’autre les anti-Dreyfus qui défendaient les valeurs de l’armée. »

Si les clivages ont un peu changé depuis, la politique (au sens large) échauffe toujours autant les esprits. « Elle catalyse tous les problèmes qui peuvent exister dans la société, et le contexte actuel (présidentielle, vaccination...) ne peut que renforcer les positions autoritaires ou extrémistes. » Et a fortiori les disputes. Mais pourquoi ça explose à ce point entre les membres d’une famille ou entre amis, pourtant intimes les uns des autres ? « C’est difficile de parler avec quelqu’un qui est proche de nous et en même temps du camp adverse, car toute discussion est chargée d’une histoire entre les interlocuteurs, une histoire avec des anecdotes, des péripéties, des affects, explique la psychosociologue. Or, les familles ont, de fait, une histoire particulièrement chargée en affects, qu’ils soient positifs ou négatifs. Les sujets qui posent problème, comme l’opinion politique ou être anti-vaccins, vont en quelque sorte réactiver ces affects. Finalement, la politique est parfois un prétexte pour se décharger des tensions familiales dont on ne parle pas en temps normal. »

En famille et entre amis, parce que nos interlocuteurs ont grandi avec nous, tout débat serait plus intense, plus sensible, et donc plus susceptible de dégénérer en pugilat entre la poire et le fromage. Mais il y a quelques solutions pour débattre sans mettre en péril nos relations.

Assumer, accepter et méta-communiquer

Eviter le conflit dès lors qu’il est politique, c’est la première des stratégies choisies par les Français : 51 % d’entre eux changent de sujet de conversation et 37 % continuent la discussion mais sans aller jusqu’à se fâcher, selon l’enquête du Cevipof « Amour, famille et politique » publiée en 2011. Seuls 8 % s’entêtent à défendre leurs idées au risque de se disputer et seuls 3 % quittent la table. « Pour calmer le débat, le plus simple est de ne pas le lancer, abonde Dominique Picard. Si vous avez l’habitude de vous disputer avec votre sœur, vous pouvez déterminer ensemble, en amont d’un dîner familial, les sujets à éviter coûte que coûte, pour ne pas empirer vos relations. Quand on se connaît bien, il vaut mieux instaurer un minimum de prévention. »

Autre solution à l’amiable : assumer sa part d’ambivalence. « Tous les liens familiaux et souvent amicaux sont traversés par des mythes (on s’aime, on s’entend bien, on ne se quittera jamais...) où chacun se cache les ambivalences, les aspects de soi que l’on pense négatifs. Or, c’est à l’occasion d’événements, comme la présidentielle ou la lutte anti-Covid, que ces aspects négatifs de soi se révèlent et peuvent cliver. Mais si on est dans un milieu où l’ambivalence est à peu près assumée et respectée, alors on est capable de dépasser les conflits. » Autrement dit, n’attendez pas dix ans avant de révéler à votre entourage que vous avez un penchant pour les thèses extrémistes, la nouvelle leur apparaîtra moins brutale.

Les outils de la Communication non violente peuvent être aussi pertinents en cas de profonds désaccords. « Au lieu de se fixer sur l’attitude de l’autre, c’est-à-dire de sur son propre désir de dominer l’autre, il faut s’introduire dans le débat : qu’est-ce que, moi, j’espère tirer de cette discussion, comment je me sens face devant le comportement de l’autre, de quoi j’ai besoin, que peut-on faire pour trouver une solution ensemble ? Et cela passe par la parole : écouter l’autre jusqu’au bout, ne pas juger, ne pas bouder, ne pas se lever de table, ne pas insulter... Si les deux respectent cela, c’est déjà bien parti. » A ce titre, les autres convives autour de la table ne participant à la discussion peuvent aussi aider les débatteurs à sortir du tête-à-tête, afin d’éviter que celui-ci ne s’enlise dans un concours de « qui va dominer l’autre ».

Dernier conseil, et pas des moindres : faire de la méta-communication, c’est-à-dire prendre du recul et parler de ce dont on est en train de parler. « Lors d’une discussion houleuse avec sa sœur, par exemple, on peut dire "Attends une seconde, de quoi on parle, là ? Est-on vraiment en train de parler de Macron et de Zemmour, ou est-on encore en train de parler de nos vieilles rancœurs liées à notre enfance ?". Ou encore dire : "Tu te souviens quand on s’était disputé des heures sur ce sujet la première fois ?" Si les deux interlocuteurs sont intimes, il y a de fortes chances que cela désamorce immédiatement la dispute. » Bref, un flash du passé pour éviter les frasques du présent. Et les assiettes cassées.
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