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Bioéthique

Des embryons chimériques humain-singe créés pour la première fois: enthousiasmant ou inquiétant ?

Par Charlotte Arce

Une équipe de chercheurs chinois et américains est parvenue à injecter des cellules souches humaines dans des embryons de primates et à les faire se développer jusqu’à vingt jours.

smirkdingo/iStock
L'équipe sino-américaine est parvenue à créer 132 embryons chimères à partir de cellules souches humaines injectées dans des embryons de singes et à les faire croître jusqu'à 19 jours.
Si ces travaux ont d'importantes implications biomédicales avec, à terme, la possibilité par exemple de générer des organes transplantables, elle suscite aussi des d'importantes questions éthiques.

C’est le genre d’expérience qui soulève de nombreuses questions éthiques mais qui offre l’espoir de progrès scientifiques et biomédicaux d’envergure. Pour la première fois, une équipe sino-américaine et une équipe française ont créé des embryons chimères humain-singe. Il s’agit de la première chimère inter-espèce réussissant à croître sur une période aussi longue. Des cellules souches humaines ont été injectées dans des embryons de primates et ont été cultivées en laboratoire jusqu’à dix-neuf jours pour l’équipe sino-américaine. Le détail des travaux vient d’être publié dans la revue scientifique Cell.

132 embryons en développement

Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont créé des embryons de singe, à qui ils ont injecté 25 cellules humaines six jours après leur création. Les cellules injectées, appelées cellules souches pluripotentes étendues, ont le potentiel de contribuer aux tissus embryonnaires et extra-embryonnaires.

Après un jour, des cellules humaines ont été détectées dans 132 embryons. Après 10 jours, 103 des embryons chimériques étaient encore en développement. La survie a rapidement commencé à décliner et, au 19e jour, seules trois chimères étaient encore en vie. Toutefois, le pourcentage de cellules humaines dans les embryons est resté élevé pendant toute la durée de leur croissance.

"Historiquement, la génération de chimères humain-animal a souffert de la faible efficacité et de l'intégration des cellules humaines dans l'espèce hôte, explique Juan Carlos Izpisua Belmonte, professeur au Gene Expression Laboratory du Salk Institute for Biological Sciences et auteur principal. La génération d'une chimère entre l'humain et un primate non humain, une espèce plus proche de l'homme sur la ligne de temps de l'évolution que toutes les espèces utilisées précédemment, nous permettra de mieux comprendre s'il existe des obstacles imposés par l'évolution à la génération de chimères et s'il existe des moyens de les surmonter."

De multiples implications biomédicales… mais un questionnement éthique

Les chercheurs ont ensuite effectué une analyse du transcriptome sur les cellules humaines et de singe provenant des embryons. Objectif : identifier les voies de communication entre les cellules inter-espèces. "Comprendre quelles voies sont impliquées dans la communication des cellules chimériques nous permettra éventuellement de renforcer cette communication et d'augmenter l'efficacité du chimérisme dans une espèce hôte plus éloignée de l'humain sur le plan évolutif."

La prochaine étape importante consistera à évaluer plus en détail toutes les voies moléculaires qui sont impliquées dans cette communication inter-espèces, avec pour objectif immédiat de trouver quelles voies sont vitales pour le processus de développement.

À plus long terme, les chercheurs espèrent pouvoir étudier le développement humain précoce et modéliser des maladies, mais aussi mettre au point de nouvelles méthodes de dépistage des médicaments, ainsi que pour générer des cellules, des tissus ou des organes transplantables.

Les auteurs de l’étude évoquent aussi les considérations éthiques potentielles entourant la génération de chimères de singes et d’humains. "Il est de notre responsabilité, en tant que scientifiques, de mener nos recherches de manière réfléchie, en suivant toutes les directives éthiques, juridiques et sociales en vigueur", affirme le Pr Izpisua Belmonte, ajoutant qu’avant de commencer ce travail, "des consultations et des examens éthiques ont été effectués tant au niveau institutionnel que par le biais de contacts avec des bioéthiciens non affiliés. Ce processus approfondi et détaillé a permis de guider nos expériences".