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BMJ de Noël

Drogues : pas immorales selon la science

Par Marion Guérin

Les restrictions morales et légales sur les drogues sont injustifiées et hors de propos, puisque l’usage de drogue relève d’un problème éthique, selon une étude.

portokalis/epictura
MOTS-CLÉS :

La drogue, c’est mal ? Eh bien non. Celui qui consomme une substance pour altérer son état ne pose en réalité aucun problème d’ordre moral ; la société qui condamne l’usage, par sa loi ou par son jugement, se fourvoie. Et ce n’est pas un militant de la cause qui s’exprime, mais bien la science.

Le millésime 2016 du BMJ de Noël croustille en pépites scientifiques. Chaque année, la très sérieuse revue britannique publie les travaux décalés de chercheurs qui, entre deux études austères, s’attaquent à des sujets plus légers – en apparence. A la veille des fêtes, un chercheur britannique en sciences humaines s’est donc penché sur l’origine des restrictions légales et morales qui pèsent sur les drogues illicites, entendues au sens large – cannabis, cocaïne, amphétamines, héroïne, solvants…

Verre et gâteau

Première contradiction relevée : s’il était immoral de vouloir modifier sa conscience, alors, toutes les substances psychoactives de notre environnement devraient être bannies. La liste est longue et commence bien sûr par l’alcool mais inclut la caféine, la nicotine ou encore le sucre, « classé parmi les stimulants », rappelle le chercheur.

« Le fait d’avoir un regard moral et de jeter l’opprobre sur certains usages de drogues pose problème. Est-ce immoral de boire un verre de vin ou de mettre du sucre dans votre thé ? Personne ne pense cela. Alors, pourquoi est-ce immoral d’ajouter du cannabis dans votre pâte à gâteau ? Selon un raisonnement paritaire, cela n’a rien d’immoral. »

L’auteur insiste. Dans nos sociétés libérales, l’homme vit et consomme à son gré. Pour résumer, certains optent pour un mode vie sain, font du sport et mangent bio ; d’autres sont plutôt canapé, télé, apéro. Tant que cela n’empiète pas sur les autres – d’où l’interdiction de l’alcool au volant, ou de l’ivresse manifeste sur la voie publique. Alors pourquoi, sur quel fondement rationnel, ne règlemente-t-on pas les autres usages au lieu de les prohiber ? s’interroge-t-il.

"Fait arbitraire"

Certains dirons que c’est parce que les drogues causent beaucoup de dégâts – ce qui est juste, en premier lieu sur le consommateur. L’Etat doit donc protéger ses citoyens du mal qu’ils pourraient se faire, à leur corps défendant s’il le faut. Cette protection passe par une interdiction formelle de ces substances toxiques et dangereuses, et par la pénalisation de leurs consommateurs.

Ruse ! dénonce le scientifique, qui rappelle les données, le savoir tangible que ses pairs ont scrupuleusement établi à travers le temps : le cannabis, moins toxique que l’alcool, et ses vertus thérapeutiques, tout comme les celles des dérivés d’opiacés et de la cocaïne, antalgiques, alors que l’alcool n’en possède que très peu. Et surtout, les multiples ravages sanitaires, économiques et sociétaux de la prohibition de ces drogues, qui creuse « davantage les problèmes qu’elle ne se résout » – le constat est « universel ».

Le fait que les sociétés aient réglementé l’alcool et se soient refusées à aménager les autres consommations n’est rien d’autre que le résultat « arbitraire de la plus grande acceptabilité sociale de l’alcool, qui résulte d’un usage public plus ancien », tout simplement. Un usage moralement inattaquable, la question ne se pose même pas.

Un problème éthique

La conclusion de cette thèse est imparable, selon son auteur : c’est bien sur le terrain injustifiable de la morale que la société se fonde pour bannir les autres drogues, mais elle se trompe de combat. S’ouvre ici l’autre partie de son raisonnement : les consommations de substances psychoactives relèvent d’une problématique éthique et non pas morale, et cela fait toute la différence.

 « L’usage occasionnel récréatif ne nous invite à aucun jugement éthique ; il s’agit d’un choix personnel que certains trouvent stupide, intéressant ou hors de propos (…). C’est autre chose de dire qu’une vie dans la dépendance aux drogues est moins souhaitable qu’une vie sans cette dépendance. Ceci est un jugement éthique. Mais ce n’est pas une raison pour rendre l’usage des drogues illégal ».