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Guide associatif

Alcool : comment le lobby construit son discours

Dans un guide, l'Association de Prévention en Alcoologie détaille les méthodes rhétoriques du lobby de l’alcool pour griser les consommateurs.

Alcool : comment le lobby construit son discours COLLECTION YLI/SIPA




Déconstruire le discours du lobby de l’alcool, qui cherche à pousser à la consommation sous couvert d’une approche scientifico-responsable. Voilà la mission que s’est donnée l’A.N.P.A.A (l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) dans sa dernière publication.
 

Prendre la place des acteurs de santé

« Le lobby de l'alcool, imitant en cela l'exemple de celui du tabac, aujourd'hui totalement discrédité, développe une stratégie visant à délégitimer les acteurs de santé, et à prendre leur place sur les champs de la production scientifique (avec l'IREB), de l'information, et de la prévention en santé (avec le programme Avec Modération !) », note l’association.

Ce puissant lobby s’est ainsi doté d’outils visant à promouvoir une approche préventive, fondée sur la distinction entre usage et abus – comme le témoigne la dernière campagne de Vin et Société. Une attention louable, pourrait-on penser, si elle ne visait pas à semer le trouble sur les risques sanitaires liés à l’alcool, et si son unique but ne consistait pas à promouvoir ses produits auprès des consommateurs. « La démarche est transparente, note l’association. Plutôt que de laisser les acteurs de santé mettre en place des programmes de santé qui pourraient gêner le marché, le lobby préfère contrôler toute initiative ».

« L’Education au goût », version lobbying

Ainsi, l’industrie de l’alcool, et surtout celle du vin en France, a fondé sa rhétorique sur l’idée d’une « éducation au goût », qui préviendrait d’une dérive vers l’alcoolisme. Au Québec, le concept s’est érigé en tant que programme de « prévention », baptisé « Educ’Alcool ».

« L'éducation au goût est un euphémisme pour éviter d'employer "éducation à la consommation d'alcool", précise l’ANPAA. Il est ainsi promu en France, supposée terre de référence pour l'élégance et le raffinement. En effet, "éduquer [les enfants et les adolescents] à consommer de l'alcool" peut induire l'idée perturbante qu'on les y incite. Cela compliquerait la communication. L'éducation au goût introduit une nuance de distinction et de sophistication difficiles à refuser ».

L’idée est aussi de légitimer la consommation d’alcool au moment de l’éducation – soit pendant l’enfance et l’adolescence. La fameuse « larme de vin » pour « éduquer le palais »… Le concept permet également de placer les consommations sur l’unique plan individuel (l’alcoolique, c’est le mal-éduqué) en esquivant tout questionnement collectif, et notamment industriel. Pratique !
 

Grandeurs et décadences françaises

L’autre grand argument qui fonde l’idée d’une « éducation au goût » repose sur la tradition de la France, qui cultive des vignes sur son sol depuis la nuit des temps, dit-on. Chercher à limiter la consommation de vin par habitant reviendrait presque à sacrifier la culture de la nation sur l’autel de l’hygiénisme ! Ainsi entend-on, ça et là, les envolées lyriques des défenseurs du libre-boire.

« Jean-Robert Pitte, membre du conseil scientifique de l'IREB, regrette l'époque bénie où les enfants buvaient du vin à table avec leurs parents, ce qui leur permettait, selon lui, d'affiner leur goût et de prévenir les excès futurs, rappelle l’ANPAA. Ce thuriféraire enflammé oublie curieusement que cette époque lointaine était avant tout celle où la consommation d'alcool, en particulier de vin, était particulièrement élevée en France, particulièrement dommageable sur le plan social et sanitaire, et que cette éducation idéalisée se faisait surtout au gros rouge ».

En fait, il ne s’agit pas tant de nier les éléments de la culture française, ni même de les dévaloriser. Mais tout simplement de rappeler que cette approche historique et gustative ne peut fonder la nécessaire rigueur scientifique. « La santé n’est pas une affaire d’opinion ou de goût, mais de science ».
 

Décrypter les éléments de langage

Le lobby de l’alcool voit souvent le verre à moitié plein. L’une de ses stratégies consiste à passer sous silence des mots à connotation négative ou ambiguë, pour leur substituer des termes plus attractifs, et à répéter ces formules pour qu’elles deviennent réalité. C’est ce qu’on appelle des « éléments de langage » - bien connus des politiciens et communicants.

L’ANPAA en cite quelques-uns. Pour ne pas parler d’excès, la notion de « modération » est privilégiée. Ainsi, on ne dit pas « consommer sans excès », mais « avec modération ». « Pourtant, chacun sait qu'il n'y a pas de frontière stricte entre l'un et l'autre, mais un continuum de comportements d'ailleurs variables pour une même personne et selon le contexte », note l’association.

Le « goût » (ou dégustation) vaut mieux que la « consommation » : le premier « est une qualité qui suppose une démarche d'élévation dans la recherche de distinction, tandis que la consommation est une attitude quasi passive, qui renvoie à un comportement de masse ».

La « responsabilité » permet de moins parler d’ « ivresse ». « Le qualificatif responsable est particulièrement employé pour atténuer la portée négative d'autres mots, par exemple la consommation responsable ».

Quant aux « gêneurs », ces acteurs de santé publique qui appellent à légiférer pour protéger les populations, ils sont régulièrement dénigrés à travers des termes tout en nuance : « intégristes », « sectaires », « ayatollahs ». Habile…

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