La Ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, signe le 31 octobre l’arrêt relatif à l’étiquetage nutritionnel, aussi appelé « Nutri-score ». Elle sera accompagnée du Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Stéphane Travert, et du Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie et des finances, Benjamin Griveaux. La santé, l’agroalimentaire et la finance. Trois milieux concernés par l’étiquetage nutritionnel. Trois milieux qui, depuis trois ans, tentent de défendre leurs intérêts. Et ce, aux dépens des consommateurs français. Et de leur santé.
Le projet est né en 2014, sous l’impulsion de la Ministre de la santé de l’ère Hollande, Marisol Touraine. Cette dernière souhaite que les consommateurs, d’un simple coup d’œil, sachent si tel ou tel produit est sain. L’objectif : faire diminuer le nombre de maladies cardiovasculaires, de personnes obèses et de diabétiques. L’étiquetage nutritionnel des produits est lancé dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé.
Le Nutri-score, c’est quoi ?
Le fonctionnement de l’étiquetage nutritionnel est simple. Le Nutri-score, appelé aussi « 5-C » (pour « cinq couleurs »), est un logo divisé en cinq catégories. Il va du vert au rouge, et de la lettre « A » à la lettre « E ».
Si votre produit est vert, il correspond donc à la lettre « A » qui signifie « bon ». Si au contraire, il est rouge, il correspond donc à la lettre « E » et est « à éviter ».
Le calcul est fait en fonction de sept éléments entrant dans la composition du produit : énergie, sucres simples, acides gras saturés, sodium, protéines, fibres et pourcentage de fruits et légumes. Plus le score atteint est haut, moins le produit est considéré comme sain.
Le logo, lui, a été conçu par Santé publique France. Il s’appuie sur les travaux de l’épidémiologiste spécialiste de la nutrition Serge Hercberg et de son rapport « propositions pour un nouvel élan de la politique nutritionnelle française de santé publique ».
Seront étiquetés les plats transformés, comme les lasagnes ou le cassoulet. Mais aussi les plats cuisinés en conserve, les viennoiseries, pâtisseries et pains industriels. Les produits frais du rayon traiteur, comme les pizzas par exemple, le seront aussi. Les produits du terroir, quant à eux, ne sont pas concernés.
Dès l’annonce du projet, en 2014, les groupes agroalimentaires et industriels se sont clairement opposés au gouvernement. Jugeant ce système de score « stigmatisant ». Durant trois ans, ils ont donc tout fait pour ne pas être mis en cause par le système d’étiquetage. Et ces marques ou enseignes ont gagné quelques batailles.
La réglementation européenne avec les industriels
Tout d’abord, l’étiquetage nutritionnel repose sur le volontariat des entreprises. En effet, les pays membres de l’Union européenne ne peuvent pas imposer ce dispositif. Les règles de la Commission Européenne les en empêchent.
Ainsi, aucune réglementation n’interdit aux entreprises de proposer leur propre système d’étiquetage. C’est pour cette raison que plusieurs enseignes ont annoncé vouloir créer leur propre logo, à l’image de Coca-Cola, Mars, Mondelez, Pepsi et Unilever.
La chaîne de supermarché Leclerc a voulu aussi jouer les dissidentes. En mai 2016 son PDG, Michel-Edouard Leclerc, annonce l’expérimentation d’un autre système d’étiquetage, avec des étoiles, dans une centaine de drives (points de retrait de marchandises pour les clients). Et uniquement sur les produits « Marque Repère », qui appartiennent à Leclerc. Mais cette année, le groupe s’est finalement engagé à utiliser le logo Nutri-score dès sa mise en place officielle. Avec lui, Auchan et Intermarché.
Ce n’est pas faute d’avoir essayé de faire plier le gouvernement sur le type de logo utilisé. L’année dernière, ils ont obtenu la mise en place d’une étude comparative. Parmi les dispositifs étudiés, le « Nutri-score », défendu par le Haut conseil de la Santé Publique (HCSP), le système utilisé au Royaume-Uni qui comporte, lui, trois couleurs, le « Nutri-repère », conçu par l’industrie agro-alimentaire et un dernier utilisé par la grande distribution, le « SENS ».
Les scientifiques claquent la porte
Un comité de dix scientifiques était initialement chargé de réaliser cette étude comparative en septembre 2016. Quelques semaines avant, quatre experts démissionnent. Le PDG de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), Yves Lévy, en fait partie. Il annonce quitter la table pour mieux informer le consommateur.
Les trois autres chercheurs, eux, démissionnent à cause de la présence, au sein même du comité, de personnes ayant des lien étroits avec l’industrie agro-alimentaire ou la grande distribution. Christian Babusiaux, co-président de ce comité, est en effet à la tête du Fonds Français pour la Santé et l’Alimentation (FFSA), un organisme financé par les industriels.
Marisol Touraine est mise en difficulté à ce sujet par les journalistes de « Cash Investigation », dans une enquête diffusée sur France 2 en septembre 2016. La ministre se défend : cette mission serait entièrement financée par la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie). Donc, par l’Etat. Et non par les industriels.
Les experts finissent par élire le « Nutri-score » pour étiqueter les produits alimentaires. Marisol Touraine l’annonce en grande pompe en mars dernier. C’est un échec donc pour l’industrie agro-alimentaire. Mais dans un article diffusé sur le Huffington Post, Serge Hercberg revient sur sa «bataille homérique » face aux lobbys industriels pour la mise en place de ce logo.
Et la santé, dans tout ça ?
La bataille entre le gouvernement, l’industrie agro-alimentaire et les scientifiques s’est menée aux dépens des consommateurs. De plus, la pertinence même de l’étiquetage est contestée. En janvier dernier, l’Anses (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation) publie un rapport dans lequel elle estime les preuves « insuffisantes » pour démontrer l’efficacité du dispositif.
Coller de simples logos sur les produits ne suffira pas à répondre aux enjeux de santé publique actuels. Selon l’Anses, il faut aller beaucoup plus loin pour réduire le taux d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires. En ciblant les enfants par exemple, pour éviter qu’ils prennent de mauvaises habitudes. Mais faudrait-il encore que les industriels jouent le jeu.