Pourquoi Docteur : Le film Joy retrace les années de recherches des médecins britanniques, Dr Patrick Steptoe et Dr Robert Edwards ainsi que de l'infirmière embryologiste Jean Purdy, qui ont développé la Fécondation In Vitro (FIV) et permis la naissance du premier bébé éprouvette au monde en 1978. Comment la FIV est-elle arrivée en France ?
Pr Frida Entezami, médecin biologiste de la reproduction et co-cheffe de service : Les scientifiques français se sont intéressés à la FIV lorsque les recherches ont commencé à prendre en Angleterre. C’est la maternité de l'hôpital Antoine-Béclère à Clamart – qui avec une collaboration du gynécologue René Friedman et du biologiste Jacques Testard – a réussi à avoir le premier bébé éprouvette français. Il s’agit d’Amandine qui est née en 1982, soit 4 ans après Louise Brown dont parle le film Joy.
Pr Nathalie Massin, gynécologue et co-cheffe de service : En fait, il y avait plusieurs équipes françaises qui travaillaient sur la Fécondation In Vitro à cette époque. La première grossesse n’a pas été obtenue à Clamart. De mémoire, elle avait eu lieu à la Clinique Marignan, une structure privée qui n'existe plus aujourd’hui. Cette dernière n’est pas arrivée à terme. En réalité, il y a eu plusieurs fausses-couches avant la naissance d’Amandine.
Ce qu’il faut retenir, c’est que plusieurs équipes se sont mises “dans la compétition” pour réussir à mettre en place une technique innovante pour donner la possibilité à des personnes qui n’arrivaient pas à concevoir, à avoir un enfant. C’est quand même extrêmement précieux.
“Aujourd’hui, en France, l’assistance médicale à la procréation représente 3 à 4 % des naissances annuelles”
Plus de 40 ans après la naissance de Louise Brown et Amandine, combien de bébés ont vu le monde grâce à la FIV et l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) en France ?
Pr Nathalie Massin : 40 ans après la naissance d’Amandine, on estime que plus de 400.000 enfants ont été conçus par FIV en France. Dans son dernier rapport publié en 2023, l'Agence de la biomédecine a recensé 158.826 tentatives d’AMP (regroupant les inséminations intra-utérines, les FIV et les décongélations d’embryons congelés avec gamètes et embryons issus ou non d’un don, NDLR) pour l’année 2022.
Ainsi aujourd’hui, en France, l’assistance médicale à la procréation représente 3 à 4 % des naissances annuelles. C’est beaucoup.
D’ailleurs, si j'observe mon entourage, je connais de nombreux couples qui ont dû suivre un parcours d’Assistance de Procréation Assistée pour avoir un enfant. Est-ce un hasard ou il y a, en effet, une hausse des consultations pour infertilité ?
Pr Nathalie Massin : On voit tranquillement progresser le nombre d'AMP annuelles, mais on a tendance à voir un plateau ces dernières années. Cette impression de hausse importante des cas vient, en partie, du fait que les gens en parlent aussi plus. PMA, fausse-couche… La parole se libère autour des troubles de l’infertilité. Les couples partagent plus facilement leurs difficultés avec leur entourage. C'est un sujet moins tabou qu’il y a quelques années.
Mais, est-ce qu’il y a plus de cas d’infertilité ? La réponse est oui. D'une part, parce que les femmes repoussent leurs projets de conception plus tard. C'est un facteur très important pour les chances de conception.
Pr Frida Entezami : L'autre élément est une baisse de qualité du sperme continue depuis ces 30 dernières années. La concentration en spermatozoïde a baissé de 50 %. La part de l'infertilité masculine ne fait qu'augmenter en réalité dans les indications d'assistance médicale à la procréation.
À cela, s'ajoutent les conditions environnementales avec tous les perturbateurs endocriniens que nous avons autour de nous dans l'eau, dans les aliments, dans l'air aussi. Les produits ménagers et les cosmétiques que nous utilisons. Ces trois causes se donnent la main et entraînent des recours à l'assistance médicale à la procréation plus importants.
En réalité, entre les causes sociétales qui conduisent à observer une réelle baisse de désir d'avoir une famille et l'infertilité, notre population va décroître sous peu.
FIV : "En laboratoire, on est vraiment passé de la nuit au jour"
Comment se passe une FIV maintenant ? Cela a dû beaucoup évoluer depuis 40 ans ?
Pr Nathalie Massin : Pour la partie clinique, il y a eu peu d'évolution. Il y a eu des améliorations au niveau des protocoles qu'on utilise. Mais globalement, la base reste la même. C'est-à-dire que la femme doit faire plusieurs jours d'injection. Ensuite, elle doit subir une intervention chirurgicale avant de pouvoir avoir un transfert d'embryon. Globalement, il n'y a pas eu énormément de changements.
Pr Frida Entezami : Il y en a eu un assez important, tout de même. Au début de la FIV, on récupérait les œufs par cœlioscopie. Désormais, c'est vraiment un geste mini-invasif. Il se fait par voie vaginale. C’est une amélioration énorme. De plus, jusqu'en 1991-92, les patientes dont les ovules devaient être ponctionnés, avaient de nombreuses prises de sang parce qu'on ne pouvait pas déclencher l’ovulation correctement. Elles pouvaient, par exemple, faire leurs dosages à 3 h du matin. En fonction du moment où elles avaient leur pic d'ovulation, elles devaient passer au bloc opératoire en cœlioscopie au milieu de la nuit. Il y a eu un vrai changement de paradigme à partir des années 1995. Les gynécologues sont parvenus à mieux stimuler, mieux maîtriser l'ovulation et le prélèvement.
Et concernant la partie laboratoire et la fécondation des ovules prélevés ?
Pr Frida Entezami : En laboratoire, on est réellement passé de la nuit au jour. Au tout début de la Fécondation In Vitro, à la fin des années 70, la culture embryonnaire se faisait dans de l'eau salée. Alors qu'aujourd'hui, nos milieux de culture sont enrichis avec des nutriments pour mimer au plus près les conditions naturelles du corps de la femme.
En 1992, est arrivée une technique révolutionnaire qui s'appelle l'ICSI. Il s’agit de l'injection d’un spermatozoïde choisi au microscope dans un ovule. Cela a révolutionné la prise en charge des troubles de la fertilité masculine quand la qualité du sperme est très basse.
Le troisième point le plus marquant au niveau du laboratoire a été l'amélioration des techniques de congélation d'embryons, notamment avec l’arrivée de la vitrification. C'est important parce que mine de rien, on n'est plus obligé de placer tous les embryons dans l’utérus. Cela limite au maximum le risque de grossesses multiples qui peuvent entraîner des risques pour la mère ou les bébés.
Infertilité : "Il y a aussi des recherches sur le vieillissement ovarien et le rajeunissement des ovocytes"
Quels sont les prochains défis pour la recherche en termes de FIV ?
Pr Frida Entezami : Notre prochain défi en termes de biologie est d'obtenir – dans la mesure du possible – la capacité de tellement bien choisir l'embryon qu'il n'y ait pas d’échec. Cela passera certainement par des analyses métaboliques et génétiques qui permettront de sélectionner de façon très précise les meilleurs embryons.
Il y a aussi énormément de recherches sur le vieillissement ovarien et le rajeunissement des ovocytes. Il faut savoir que chez la femme, la fertilité décline énormément à partir de l'âge de 37 ans. Si on arrivait à trouver le moyen de stopper ce temps – autrement qu'en congelant des ovocytes – ou de rajeunir un œuf qui a déjà vieilli, on pourrait rendre une fertilité aux femmes d’âge avancé.
Pour les hommes qui n'ont absolument pas de production de sperme, nous cherchons le moyen de transformer soit des cellules qui se trouveraient dans leurs testicules, soit des cellules somatiques (c'est-à-dire des cellules du corps) en spermatozoïdes.
Procréation assistée : “un peu comme dans Bienvenue à Gattaca, la question de la meilleure compatibilité pourrait être posée”
Et les défis pour l’aspect clinique ?
Pr Nathalie Massin : Le vieillissement ovarien est aussi un challenge en clinique, puisqu'on voit des patientes qui arrivent avec des demandes de plus en plus tardives. Comme la réussite de nos traitements est essentiellement basée sur le nombre d'ovocytes ou de spermatozoïdes qu'on va récupérer, si on a un seul ovocyte, on ne pourra pas forcément bien faire les choses. Il faut donc progresser sur ce champ-là.
La génétique sera probablement au cœur de ce système. Elle pourra nous aider à déterminer quel protocole de soins va être le plus adapté pour une patiente et ses gamètes. Les choix pourront également se faire en fonction des gamètes du conjoint. On n'est pas encore au stade de pouvoir dire si deux personnes sont compatibles ou pas. Mais effectivement, un peu comme dans Bienvenue à Gattaca, la question de la meilleure compatibilité pourrait être posée.
Des progrès sont aussi attendus dans la prise en charge. Quand on fait une Fécondation In Vitro. La patiente doit faire au moins 3-4 prises de sang, 3-4 échographies. Elle se déplace à chaque fois. Il y a ainsi de plus en plus de développement de projet de “At-home monitoring”, c'est-à-dire des objets connectés qui suivent les patientes et simplifient un peu le parcours.
La question du profiling clinique se pose aussi. Toutes nos patientes ne se ressemblent pas : entre celles qui ont l'endométriose, celles qui ont un syndrome des ovaires polykystiques, ou encore des problèmes d'obésité... Pourtant, aujourd'hui, on applique quasiment les mêmes protocoles à tout le monde. Grâce à la big data et l’intelligence artificielle, on va aller vers une médecine de précision de plus en plus personnalisée.
Désir d’enfant : “On va vers une reproduction de choix qu’on le veuille ou non”
Qu’est-ce que l’avenir nous réserve sur la question de la progression, selon vous ?
Pr Frida Entezami : En 1998, à la sortie du long-métrage Bienvenue à Gattaca, un de mes professeurs nous a dits : “Allez voir ce film, c’est notre avenir”. Je ne l’ai finalement vu qu’en 2022 et j’ai été scotchée. Il est vraiment prémonitoire. Dans 150 ans, l'humanité ne se reproduira presque plus qu'à l’aide de la FIV, c'est sûr.
En effet, beaucoup de pays qui ne sont pas réglementés comme la France, en particulier la Chine et les États-Unis, ont déjà commencé à proposer des choix d'embryons. Cela a débuté par le sexe et la dernière option en date est le QI. Il y a aussi la possibilité d’éviter telle ou telle maladie, ce qui peut s’entendre. Toutefois, les projets en cours montrent qu'on se dirige de plus en plus vers des choix d'apparence également. Ces sélections seront difficiles à éviter car les personnes qui pourront se le permettre, feront du tourisme médical pour profiter de ces dispositifs.
Pr Nathalie Massin : Il y a besoin d'une vraie discussion éthique autour de cette question. On ne peut pas considérer qu’on pourra faire blocage, car il y a une vraie demande. Il faut faire attention au blocage de principe, car la société évolue quoi qu’il en soit. On va vers une reproduction de choix qu’on le veuille ou non.
Finalement, il est intéressant de remettre le film Joy qui retrace la création de la FIV en perspective avec ce qu’on fait aujourd’hui, et s'interroger vers ce sur quoi on pourrait aller par la suite avec l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies. On n'acceptera certainement pas d’être traité demain comme on l’est aujourd’hui que cela soit pour le cancer, l'AMP ou les troubles métaboliques.